Constitué d’une production rare et complexe, le marché du sculpteur animalier affiche une progression régulière, dominée par les pièces d’époque.
L’actualité récente a replacé François Pompon (1855-1933) au centre de l’attention : record aux enchères, exposition à la galerie Univers du bronze à Paris et publication chez Norma (Pompon, l’œuvre complète, rédigé par Liliane Colas, en collaboration avec Côme Remy). Autant de signaux qui dénotent un marché aujourd’hui en phase de croissance. « La cote du sculpteur est en hausse régulière, particulièrement pour ses sculptures animalières emblématiques », témoigne Liliane Colas, experte de François Pompon.
Chez Pompon, la modernité n’est pas une posture mais un langage plastique immédiatement lisible. Silhouettes dépouillées, volumes réduits à l’essentiel, reconnaissance instantanée des espèces nourrissent sa désirabilité auprès des collectionneurs. « Pompon, c’est le premier à prôner le lisse. À contre-jour, on ne voit qu’un contour et l’on sait de quel animal il s’agit », observe le marchand Xavier Eeckhout. Entre 1910 et 1930, cette esthétique s’affirme progressivement, du naturalisme encore perceptible de la Pintadeà l’absence totale de détail du Grand-Duc ou du Pélican. Alain Richarme (Univers du bronze) nuance cependant une lecture trop stricte de la simplification : « Il anime le lisse : creux d’œil, mouvement des plumes… simplification sans réduction. » L’esthétique de Pompon, mêlant épure formelle et justesse zoologique, explique la constance de l’intérêt qu’il suscite.
Cet attrait durable se heurte toutefois à une donnée essentielle : la rareté structurelle de la production, qui fait de Pompon un marché étroit par nature. En effet, Pompon ne commence réellement à éditer des sujets animaliers – après l’échec de ses figures – qu’à la fin de sa carrière, entre 1922 et 1933, « période durant laquelle il surveille de près fontes et patines », précise l’expert Côme Remy. « On dénombre 71 figures et 163 animaux, chacun décliné en plusieurs variantes et fait de divers matériaux. Certaines créations n’existent qu’en très peu d’exemplaires, d’autres ont été largement éditées, comme l’emblématique Ours blanc [voir ill.], décliné en plusieurs matériaux. L’ensemble forme un corpus difficile à recenser avec précision », soulignent les experts – ce qui contribue à tendre le marché.
Pour s’orienter dans ce dédale, trois critères sont décisifs. Le premier est la fonte de son vivant : les tirages d’édition ont été réalisés par la galerie A.-A. Hébrard ; les tirages d’artiste par la fonderie de Claude Valsuani. Les fontes Valsuani exécutés, sous le contrôle de Pompon, font autorité tandis que les fontes posthumes, en plusieurs vagues – contre le souhait du sculpteur – sont à écarter. « Cote en X : l’époque monte, le posthume s’effondre… Ces fontes vont disparaître du marché », résume Alain Richarme. En salle, les posthumes se situent entre 5 000 et 15 000 euros, quand les fontes du vivant s’arrachent.
Le deuxième critère est la patine et, surtout, l’« œil ». « Envoyez la photo de l’œil : on ne peut pas se tromper », insiste Richarme, rappelant que la main de l’artiste se lit le plus souvent dans l’exécution de cet organe.
Le troisième critère est la provenance : numérotation d’époque, archives, collectionneurs identifiés. « Comme il y a beaucoup plus de faux que de vrais Pompon, dans l’esprit des acheteurs, acheter un Pompon, c’est risquer le faux ; seule la provenance sécurise », confirme Xavier Eeckhout.
La demande, enfin, s’internationalise : acheteurs américains et européens, âgés de 40 à 80 ans, constituent le socle principal, tandis que les Français demeurent plus prudents.
Dans ce contexte, les prix dessinent une sinusoïde resserrée, ponctuée de pics. « Les biscuits s’obtiennent autour de 20 000-30 000 euros. Un bronze du vivant de bonne qualité se situe autour de 85 000 euros, tandis que les grandes pièces d’époque atteignent 120 000 à 140 000 euros. Les modèles majeurs, notamment le Grand cerf, évoluent entre 500 000 et 800 000 euros », détaille Xavier Eeckhout. L’Ours blanc (jusqu’à 400 000 €), conserve un statut à part, lié à son importance symbolique et à sa visibilité dans l’espace public. Le récent record pour Tigresse jouant (1,1 M€, [voir ill.]), « un sujet idéal par son motif félin, la justesse du mouvement, la patine, la fonte d’époque, la provenance établie et une pièce inédite sur le marché », souligne Liliane Colas (autrice du certificat d’authenticité), témoigne d’un prix doublé en dix ans. « La tendance est à la hausse des prix. Si davantage d’œuvres arrivaient sur le marché, je suis certain que les prix grimperaient encore. Au cours des dix dernières années, nous avons vendu plusieurs pièces “trophées”, à des prix en progression constante », rapporte Edward Horswell, directeur de Sladmore Gallery (Londres).
La différence d’approche entre les ventes publiques et les galeries contribue à la construction des prix. Les maisons de ventes privilégient des estimations faibles, qui stimulent la concurrence et limitent leur exposition en cas d’erreur d’attribution. Un Ours blanc en bronze – l’une des 20 premières épreuves réalisées entre 1923 et 1925 –, a été adjugé le 26 novembre 198 600 euros, sur une estimation haute de 30 000 euros chez Artcurial. « Les marchands, eux, peuvent vendre au-dessus des adjudications, surtout pour les pièces uniques, pour lesquelles les prix restent libres. Pour les modèles édités, les comparables [leur caractère de « multiple », ndlr] limitent ces écarts », note Liliane Colas. La qualité (patine, état d’origine, absence de restauration, présentation en foire) influe fortement sur la valeur, souvent davantage qu’en salle.
Côté institutions, malgré des collections publiques riches (Orsay, Dijon, Saulieu), François Pompon n’a bénéficié d’aucune grande rétrospective récente. L’année 2033, centenaire de sa mort, pourrait être l’occasion d’une célébration. D’ici là, des expositions ciblées, à l’image de celle du château de Frontenay (Jura) prévue l’été prochain, contribuent à entretenir la flamme.
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François Pompon : les prix grimpent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : François Pompon : les prix grimpent





