Des dénicheurs de talents

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 16 avril 2014 - 1089 mots

Avec le très prisé Salon de Montrouge, expositions des écoles d’art, société des amis de centres d’art et bourses de talents permettent de suivre la création en train de naître.

Etre un tremplin pour des artistes encore inconnus du milieu de l’art, telle est l’ambition du Salon de Montrouge, qui ouvre le 30 avril. Sous l’impulsion de Stéphane Corréard, son directeur artistique depuis 2009, cet événement jadis considéré comme poussiéreux est devenu le rendez-vous à ne pas manquer des férus d’art contemporain et des collectionneurs désireux de découvrir avant tout le monde les artistes qui seront incontournables demain, et d’acquérir une de leurs œuvres à un prix encore… abordable. Ces artistes seront 72 cette année, sélectionnés parmi près de 3 000 dossiers par un « collège critique ». Aucune limite d’âge, aucune obligation de parcours. Ainsi, on a pu voir émerger en 2010 un garde forestier de Guyane – Julien Salaud est aujourd’hui courtisé par tous les centres d’art et invité d’honneur du Salon de Montrouge. « Le Salon permet à ceux qui n’auraient pas eu leur chance autrement de se faire connaître et d’intégrer un milieu dont ils ne possèdent pas toujours les codes », explique Stéphane Corréard. Car débusquer un artiste talentueux ne suffit pas. Il faut, pour le faire émerger, parvenir à lui faire intégrer les réseaux de l’art contemporain, tissés par les collectionneurs, les galeristes, les critiques, les commissaires ou les directeurs de centres d’art. C’est précisément l’opportunité qu’offre le Salon de Montrouge. Ainsi, Mathieu Cherkit, exposé en 2010, y a été repéré par Jean Brolly, dont il a intégré la galerie. « Ce dernier est tombé en pâmoison devant l’un de ses tableaux, qu’il a acheté immédiatement », se souvient Corréard. De même, après le Salon, le jeune Ivan Argote a-t-il intégré la Galerie Perrotin.

Les élèves des Beaux-Arts
Permettre les rencontres et offrir une vitrine aux jeunes artistes, c’est aussi le but des expositions consacrées aux jeunes diplômés félicités par le jury de leur école d’art. Ainsi, Gunnar B. Kvaran, commissaire de la Biennale de Lyon, a invité à La Sucrière Alice Lescan et Sonia Derzypolski, découvertes lorsqu’il avait été commissaire de l’exposition des Félicités de l’École des beaux-arts de Paris. « Intégrer nos jeunes artistes au milieu de l’art nous semble essentiel et nous essayons de donner le plus de visibilité possible à nos jeunes talents », insiste Kathy Alliou, chef du département du développement scientifique et culturel de l’école. Ainsi, depuis son arrivée à la tête des Beaux-Arts de Paris, en 2011, Nicolas Bourriaud expose en outre de jeunes artistes de l’école dans le « Belvédère », au sein du Palais des beaux-arts. Du 19 mars au 12 avril, cette même école présentait également, dans sa première « Biennale du dessin », 23 jeunes plasticiens, dont Marcella Barceló, née en 1992, en quatrième année de formation aux Beaux-Arts et dont son professeur Bernard Moninot dit le plus grand bien.
Les associations d’amis – du Palais de Tokyo, de la Maison Rouge… – comptent aussi parmi les plus influents dénicheurs d’artistes. Composés de nombreux collectionneurs, ils peuvent permettre à un artiste qu’ils ont repéré de monter une exposition dans leur musée ou leur centre d’art. Ainsi, chaque « ami » du Palais de Tokyo peut proposer et défendre un dossier d’artiste qui se verra récompensé par un prix et une exposition dans un module du Palais de Tokyo. « Je découvre les jeunes artistes que je défends par le bouche-à-oreille, mais aussi en ratissant moi-même les lieux dédiés à la jeune création », confie Sylvie Fontaine, directrice artistique de l’association Artaïs, qui entend faire découvrir des artistes émergents à des non-initiés. Pour dénicher les talents, Sylvie Fontaine épluche les programmations des lieux ou événements dédiés aux artistes émergents – le Salon de Montrouge, bien sûr, mais aussi le Patio de la Maison Rouge, l’exposition Jeune création au Centquatre, la jeune création présentée par la Biennale de Bourges, l’espace Primo Piano à Paris ou les expositions de l’association Premier Regard, ainsi que les lieux consacrés à l’art contemporain de banlieue ou en régions, de l’église de Chelles à La Station à Nice. Et cette passionnée, « amie » du Palais de Tokyo, de la Maison Rouge, du Jeu de paume, mais aussi membre de l’Adiaf, a en effet du flair. Deux de ses protégés – Emmanuel Régent en 2009 et Cécile Beau en 2012 – ont été lauréats du Prix découverte des amis du Palais de Tokyo, qui lance en général la carrière de ceux qui le remportent et leur permet souvent d’entrer dans une galerie.

Cette année, les découvreurs de talents comme Sylvie Fontaine pourront ajouter un événement à leur agenda : la Bourse révélation Emerige, qui permettra à un jeune artiste de créer une œuvre, faire éditer un catalogue et exposer dans une galerie parisienne partenaire, en l’occurrence cette année Fabienne Leclerc. « Une façon de mettre le pied à l’étrier », explique Angélique Aubert, directrice du mécénat et des projets artistiques du groupe Emerige. En outre, douze artistes sélectionnés seront exposés dans les locaux de la Villa Emerige. En espérant pour eux que la sauce prenne. 

ZEVS & l’image de marques

Une marque/un artiste

Et comment réagissent les marques lorsqu’un artiste joue, sans leur demander leur avis, avec leur image ? Différentes réactions s’offrent à elles, comme le montre l’exposition  RETROVIZEVRS » actuellement consacrée à ZEVS [La Vitrine, du 30 avril au 24 juin 2014], connu pour ses interventions urbaines et son travail de « liquidation » de logos – littéralement des logos dégoulinants. Première réaction : protester. C’est le cas d’Armani lorsque l’artiste, en 2009, liquide à Hong Kong un logo Chanel géant sur la façade de la griffe italienne. L’histoire prend des allures d’imbroglio diplomatique et se conclut par quelques jours de prison et le nettoyage de la façade. Notons que l’incident a bien plus de retentissement que le kidnapping, quelques années auparavant, du mannequin de l’affiche Lavazza, sur l’Alexander Platz, à Berlin. ZEVS avait alors demandé une rançon à la marque et remis un chèque d’exaction symbolique au Palais de Tokyo : sympathique mais médiatiquement moins payant. Autre réaction possible, celle de Nike, dont le logo est le premier à faire l’objet d’une liquidation en 2006, performance immédiatement recyclée sous la forme de t-shirts, sans que l’artiste ait été consulté. Le détournement est un art difficile. C’est peut-être la raison pour laquelle les interventions comme celles de ZEVS demeurent rares alors même que les images publicitaires autour de nous sont autant de supports disponibles prêtant le flanc à la subversion.

Anne-Cécile Sanchez

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Des dénicheurs de talents

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