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RENCONTRE

Claire Gastaud, une galeriste entre Clermont et Paris

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2022 - 1120 mots

PARIS & CLERMONT-FERRAND

Elle a bâti son succès depuis l’Auvergne, en défendant des artistes de générations et d’univers variés, et sans jamais se penser comme une galerie régionale. Depuis un an, Claire Gastaud partage à mi-temps un espace rue Chapon, à Paris.

Claire Gastaud. © Margot Montigny
Claire Gastaud.
© Margot Montigny

Paris. Plus de vingt-cinq ans après la fermeture de son antenne de la rue Debelleyme, Claire Gastaud est de retour à Paris. La galeriste a toujours conservé un pied-à-terre dans la capitale, et le rêve d’y rouvrir un espace. Longtemps identifiée comme « la galerie de Clermont-Ferrand », elle affirme ne pas attacher d’importance à cette étiquette réductrice. « D’autant qu’aujourd’hui, avec les foires et les réseaux sociaux, vous pouvez vendre à des gens qui n’ont jamais mis les pieds en Auvergne », souligne-t-elle. Clermont, c’est son QG, sa base. Elle y a créé la galerie au milieu des années 1980 avec son mari, dont elle est à présent séparée. Elle avait fait des études de droit, lui des études d’art, ils n’avaient aucun modèle mais ne doutaient de rien. Ensemble, ils ont surfé sur le succès de Rémi Blanchard, ce peintre un peu à part dans la Figuration libre, lancé par Yvon Lambert. « On a eu les bons artistes au bon moment. À l’époque le magazine VSD consacrait une page aux expositions, et parlait des nôtres. » Après son divorce, elle a repris la direction des opérations et ajouté en 1996 son prénom au fronton de l’enseigne. Depuis 2002, Caroline Perrin travaille à ses côtés ; elle doit à cette directrice discrète et efficace d’avoir approché des artistes comme Erik Schmidt, auquel elle offre sa première exposition en France depuis quinze ans (simultanément à Paris et Clermont), ou le sculpteur Vladimir Skoda, dont, à 80 ans, la notoriété reste selon elle encore à construire.

Une galerie en garde partagée

Depuis mai 2021, donc, Claire Gastaud partage rue Chapon, dans le Marais, 80 mètres carrés en alternance avec la galerie marseillaise Double V. Un modèle original, et une bonne affaire puisque les charges de cette vitrine assez stratégiquement située se trouvent ainsi divisées par deux. Le tout en bonne intelligence : « Le livre d’or des expositions est commun, mais on ne mélange pas nos fichiers clients. »

Bien moins grande que son lieu clermontois, cette succursale parisienne est importante pour conserver les artistes. Claire Gastaud leur est fidèle, mais en a perdu quelques-uns, comme la Finlandaise Henni Alftan, qu’elle avait été une des premières à montrer en 2014 et qui est aujourd’hui représentée par Sprüth Magers, à Berlin. « Les artistes sont contents d’exposer à Paris, ici un conservateur du Centre Pompidou peut passer en voisin, se félicite-t-elle. Mais l’espace reste une annexe. Tout est stocké à Clermont, c’est là que nous produisons les projets. »À Paris, le prochain solo, après celui d’Erik Schmidt, sera consacré en octobre à Alain Josseau, qui suit une carrière à rebours de peintre d’histoire. « La galerie a toujours mélangé des artistes locaux avec d’autres, des talents émergents et des noms plus établis », souligne sa fondatrice.

« Collectionneuse dans l’âme », elle ne croit pas tant aux théories esthétiques – « il n’y a pas de vérité en art »– qu’aux rencontres et aux intuitions. Cela lui vaut de défendre le photographe plasticien Georges Rousse, comme l’artiste proche du land art Nils-Udo. Elle représente Tania Mouraud depuis sept ans, et a travaillé avec le peintre Henri Cueco (1929-2017) de son vivant, dont elle conserve la gestion de la succession artistique. Récemment, elle a intégré une jeune diplômée des Beaux-Arts de Saint-Étienne, Milène Sanchez, dont les tableaux avaient déjà attiré l’attention du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne et du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Auvergne. Cette nouvelle recrue talentueuse contribue à pallier le « manque de peintres » de la galerie, qui, outre Cueco, en représente seulement trois, Jean-Charles Eustache, Coraline de Chiara et MC Mitout. Sa première exposition personnelle aura lieu à Clermont à la rentrée prochaine.

Une détermination à toute épreuve

La clientèle est elle aussi diverse. Des collectionneurs auvergnats à l’ancienne, des nouveaux amateurs apparus dans les années 1980, au moins deux PME fidèles dans leurs acquisitions, puis des contacts noués sur les foires auxquels se sont ajoutés ces dernières années ceux qui suivent ses posts sur Instagram. « J’adore les nouveaux modèles», module-t-elle d’une voix douce qui contraste avec son regard clair perçant. On se doute qu’après des débuts où le succès et l’argent ont d’abord été au rendez-vous, elle a dû surmonter plus d’un revers, notamment quand, au creux de la récession des années 1990, « alors que l’art ne valait plus rien », il a fallu revendre les murs de la galerie rue Debelleyme puis solder les comptes avec son ancien mari. Claire Gastaud n’a pas baissé les bras, elle s’est reconstruite avec une détermination à toute épreuve. « Je suis très admiratif du fait qu’elle soit encore là, ancrée à Clermont quand nombre de ses confrères en régions ont fermé ou ont mis le cap sur Paris, observe Emmanuel Latreille, qui fut son voisin entre 1990 et 1996 en tant qu’administrateur du Frac Auvergne. L’actuel directeur du Frac Occitanie à Montpellier lui acheta à l’époque un ready-made sensuel et ironique de Dennis Oppenheim (Revolving Kissing Racks, 1990) et garde de loin un œil sur l’activité de la galerie. Celle-ci, assure Claire Gastaud, a traversé la crise du Covid sans « trop déstocker, au contraire », et, sans faire de miracle, a continué à faire des ventes, « en particulier sur [la plateforme] Artsy ».

Le plus dur semble passé. Sa mine resplendissante au sortir de l’hiver, Claire Gastaud la doit à un séjour au Brésil, son quatrième. « J’adore le Brésil. À Rio, il y a des quartiers entiers fermés… Mais c’est super. Les Brésiliens aiment l’art, l’architecture… ». On déplore les errements du président Jair Bolsonaro, mais, assure-t-elle : « Quand vous êtes là-bas, vous n’avez pas ce ressenti. » Parlons d’art, plutôt. Au Brésil, elle a visité le somptueux Institut Inhotim, dont l’isolement géographique lui a fait penser au château de la Trémolière, où elle organise depuis plus de dix ans une exposition monographique chaque été. « Inhotim est loin de tout, dans une région assez rurale. Le château de la Trémolière, c’est la même chose, au fin fond du Cantal. Une fois arrivé à Clermont, il faut encore faire deux heures de route. Mais c’est ça qui est passionnant. » D’ici l’été, elle va enchaîner les foires : Art Paris, Art Brussels, Drawing Now… Quand la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) existait, elle n’a jamais été sélectionnée, et elle guette ces jours-ci l’ouverture de la sélection d’Art Basel au Grand Palais éphémère. « Nous sommes prêtes à foncer, mais pour l’instant on n’a aucune information. Les galeries ne se donnent pas tant de tuyaux que ça entre elles. » Ce qui n’empêche pas les solidarités ponctuelles, comme celle qui lui permet de revenir à Paris.

1986
Ouverture de la galerie Gastaud rue du Terrail, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
1990
Ouverture d’une galerie rue Debelleyme, Paris-3e.
1996
La galerie est rebaptisée « galerie Claire Gastaud ».
2021
Ouverture du 37, rue Chapon à Paris-3e, en alternance avec Double V Gallery.
2022
Erik Schmidt, « Revisiting », double exposition aux galeries Claire Gastaud de Clermont-Ferrand et Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Claire Gastaud, une galeriste entre Clermont et Paris

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