Foire & Salon

Ce que l’on aimerait voir à la Fiac… mais où est donc passée la poésie ?

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 1493 mots

PARIS

La Fiac est devenue une référence en matière de foire internationale. Mais cet événement, incontournable dans le champ de l’art contemporain, représente-t-il la création actuelle dans sa diversité et répond-il vraiment à ce que le public aimerait en voir ?

Pour Jennifer Flay, directrice artistique de la Fiac, la foire répond à un souci d’ouverture et de diversité : développer les propositions avec le programme Hors les murs, renouveler les membres du jury, représenter les grandes galeries, les émergentes et celles de taille intermédiaire et mêler les enseignes internationales, européennes et françaises. Quant à la nature des œuvres proposées, la foire ne se limite pas, selon Jennifer Flay, à certaines formes d’expression mais représente des esthétiques différentes ; elle est ouverte à divers médiums et techniques traditionnelles et à des identités culturelles variées. Et, précise-t-elle, on peut y croiser l’œuvre d’artistes inconnus et découvrir des choses surprenantes, très engagées politiquement. En somme, pour Jennifer Flay, la Fiac est plus qu’un « événement marchand », elle se visite comme « un grand musée » où « l’art est représenté dans sa diversité, des origines du modernisme à nos jours ».

Bien sûr, on trouvera à la Fiac des œuvres intéressantes. Là, la Galerie Templon montre Omar Ba. Ici, la Galerie Obadia présente les percutants dessins de Jérôme Zonder. Mais ces exceptions ne sont pas le reflet de l’esthétique dominante qui, à nos yeux, domine la foire. De façon plus globale, en effet, en déambulant dans le Grand Palais, nous ressentons une ennuyeuse impression de déjà-vu. Expression d’un art international répondant moins à des critères qualitatifs qu’aux lois du marché ? Règne des puissantes galeries au détriment d’autres enseignes de qualité ? Diktat de l’argent dans une foire où les emplacements demeurent très onéreux ? Survalorisation des artistes internationaux par rapport aux artistes français ? Suprématie des grands noms surcotés au détriment de la découverte ?
 

Du principe d’imitation comme nouvel académisme

Malgré l’apparent souci de diversité invoqué par les organisateurs, en effet, les stands qui scandent le Grand Palais nous donnent à voir majoritairement des formes qui se répètent : abstraction formaliste, ready-made, art conceptuel, figuration kitsch et, avec elles, leur lot de cynisme, de non-sens, de désincarnation. Des propositions lisses qui invitent à confondre consommation de l’objet et expérience de l’œuvre.

Pour Olivier Kaeppelin, auteur et commissaire d’expositions, « les foires ont un rôle de divertissement, elles favorisent la consommation et font oublier que l’art est une expérience de sens, créant une confusion entre l’art et l’objet d’art, la valeur culturelle d’une œuvre et son coût : c’est terrifiant de retrouver, dans les foires internationales, le même type de valeur financière, l’art est devenu un lieu d’investissement et de spéculation, l’œuvre est défendue par un langage de communication qui la légitime non pas pour sa qualité, mais pour sa cote. » Comme le précise Kaeppelin, « il ne faut pas confondre l’art et le système de circulation des objets d’art : l’un est une expérience esthétique, philosophique, poétique, l’autre relève de la sociologie. C’est le sociologue Gabriel Tarde qui évoque la façon dont notre société périt, perd ses capacités de création parce que nous procédons par imitation. Alors que dire des foires d’art contemporain… Elles sont le reflet d’un art international qui est basé sur cette procédure d’imitation ; le plus ennuyeux, ce sont les œuvres mais aussi les collectionneurs, les critiques, les galeristes, les institutionnels qui s’imitent les uns les autres. »

Le hic ? Que ce type d’événement influent finisse par régir les instances de consécration et de validation de l’art, que cela soit perçu comme représentatif de l’art actuel. Pour Kaeppelin, « ce qui est terrible, ce n’est pas que les foires existent, mais c’est qu’on puisse les voir comme les seuls lieux où l’on croit comprendre l’art de son époque et, en ça, on retombe dans les mêmes errances que ce qu’on a appelé l’académisme : des facilités qui ont une cause sociologique et non pas artistique. Le danger est ainsi de se limiter à un micro-milieu dont l’objet est de se reproduire lui-même en rejetant toute découverte qui ne serait pas dans l’imitation du goût du moment. »

S’il réside une réception sociétale de ce phénomène, si les foires attirent le grand public, sans doute du fait de l’influence des médias et d’un langage de communication qui créent une confusion entre consommation de l’objet d’art et expérience de l’art, il demeure important, conclut Olivier Kaeppelin, qu’il y ait « résistance » et que l’on considère « l’art en dehors de ce micro-milieu, car des artistes de grand talent n’y ont pas leur place. » Ce qui implique de chercher des alternatives en visitant les ateliers, les galeries et toutes sortes de lieux où l’échange et le temps passé avec l’artiste permettent une réelle compréhension de l’œuvre.
 

Découverte et expérience sensible : quelles alternatives ?

Pas sûr, en ,effet que la Fiac réponde aux attentes de tous : il demeure des curieux qui aimeraient voir autre chose. Comme le souligne le collectionneur Jean Mairet, « cela ne me dérange pas que les gens aiment acheter à la Fiac de belles choses ou spéculer sur un Jeff Koons. Ce qui me dérange, c’est que cet aspect-là soit considéré, y compris par les institutions, comme un élément déterminant de la création et qu’il devienne le paradigme de ce que devrait être l’art de notre temps. Personnellement, je n’ai rien contre la Fiac ou Bâle, mais ce n’est pas mon truc… C’est luxe, calme, un peu de volupté mais pas trop. Il y a de la qualité, c’est rassurant et bien encadré, mais tout est bienséant, il n’y a pas de dérangement, pas de recherche philosophique ni de questions posées dans l’essentiel des œuvres présentées à la Fiac, hormis quelques exceptions. Pourtant, il y a bien d’autres artistes qui interrogent d’autres choses, plus savantes, plus énigmatiques, et qui soulèvent des questions. »Ce qu’on retrouve dans la collection de Jean Mairet ? Une intelligence de la main, de la provocation, de l’humour, une certaine force expressive. Des œuvres qui interrogent l’amour, la vie, le corps, la mort, l’ambiguïté du langage, les problèmes de communication. À travers sa façon de combiner les œuvres, Jean Mairet exprime une manière « d’appréhender le monde » et mêle des artistes reconnus (de Vincent Corpet à Nicolas Darrot) à d’autres moins connus (comme Charles Dreyfus). Des œuvres dont le prix ne fait certes pas la qualité, certaines ne pouvant coûter que quelques centaines d’euros. Ayant exposé sa collection dans des musées, Jean Mairet souligne le succès de certaines œuvres : « Le public en redemande ! » Ainsi, conclut-il, il est « important que des lieux montrent autre chose et il en existe qui font des choses formidables ; il faut être curieux et ne pas aller uniquement dans les endroits officiels. »
 

les off, alternatives à la fiac

De nombreux salons et foires ont été pensés en off comme alternatives à la Fiac, de Slick Art Fair à Outsider ArtFair, en passant par AKAA et Bienvenue. Comme le note la galeriste Céline Moine, « pour le public, la Fiac a peut-être perdu son âme, les galeries ne sont plus des “passeuses” mais des caisses enregistreuses. Pauvreté du discours, martelage des prix sans prendre le temps de faire découvrir l’œuvre, dictature du “tout déco” sur certains stands : c’est le problème quand les galeries cherchent à anticiper une demande plutôt que de prendre le risque de s’ouvrir à de nouvelles propositions. » D’où, précise-t-elle, la nécessité « de renouveler les propositions, d’offrir des alternatives intelligentes, sensibles, créatives et engagées ». Un constat partagé par Romain Tichit, fondateur de YIA, qui devient Paris International Art Show cette année.

Un rassemblement comme Bienvenue (créé à l’initiative des galeries qui étaient présentes à la Fiac en 2010) rompt avec le système stand de foire pour des scénographies plus libres qui instaurent avec les œuvres un rapport plus intime, favorisant la discussion avec les artistes et les galeristes et rendant la contemplation et la découverte possibles. Si la Fiac est devenue plus « internationale » et « commerciale », favorisant le « déjà-vu et le m’as-tu-vu aux dépens de la découverte », note Tichit, il est important de repenser d’autres événements qui ne soient pas sous une telle « pression de la force spéculative du marché international et des galeries surpuissantes qui sont tenues par le luxe », des rassemblements off moins onéreux pour les participants et favorisant les galeries « en marge de la route » qui défendent « des artistes émergents dont l’œuvre est d’une qualité certaine ».

De façon générale cette année, Romain Tichit salue la forte présence de la peinture figurative et de la photographie, l’importance de démarches engagées et regards poétiques portés sur le monde : telles les propositions singulières faites par les galeries Valérie Delaunay (présente au salon Bienvenue), Analix Forever ou Vincent Sator (qui seront présents à Galeristes, en Novembre). Métissage des cultures et des techniques, découvertes atypiques, œuvres poétiques et dérangeantes qui renouent avec le sens, le politique, le corps sont autant de propositions qui ne donnent pas une sensation de répétition et qui offrent une résistance au formatage international ambiant.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Ce que l’on aimerait voir à la Fiac… mais où est donc passée la poésie ?

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