Ventes aux enchères

Belles carrosseries et jolies cylindrées

Deux ventes publiques et un salon international mettent à l’honneur l’automobile de collection

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 février 2003 - 1477 mots

Tandis que le marché de l’art tend à hiberner en ce début d’année, les ventes de voitures de collection accaparent toute l’attention. Le champion français des ventes d’automobiles de prestige, Hervé Poulain, menant désormais "marteau battant" ses vacations sous les couleurs d’Artcurial, est rejoint depuis un an dans ce secteur spécialisé par son concurrent Christie’s, qui a pris ses quartiers, le temps d’une vente, au salon international Rétromobile à Paris, porte de Versailles. Le marché des belles cylindrées constitue pour ces deux acteurs une part non négligeable de leur chiffre d’affaires.

PARIS - Le 8 février, Christie’s organise pour la seconde année consécutive à Paris une vente de voitures de collection à l’occasion du salon Rétromobile, une des plus importantes manifestations internationales autour de la voiture de prestige (plus de 110 000 visiteurs en 2001) avec le salon d’Essen en Allemagne, qui se tient chaque année en avril. Pour sa deuxième vente parisienne, Christie’s propose quelques beaux spécimens italiens tandis qu’Artcurial-Briest-Poulain-Le Fur donnera le change le 10 février avec une trentaine de Mercedes issue de la succession Rolf Meyer, une collection que l’auctioneer français se targue d’avoir “soufflé à Christie’s”.

La vente de voitures de collection a une longue tradition en France avec Hervé Poulain, l’un des trois mousquetaires de la maison de ventes Artcurial, qui est non seulement un as du marteau en matière d’automobiles mais aussi un amateur d’art, auteur de L’Art et l’Automobile (éd. Les clefs du temps, 1973) et pilote amateur confirmé. Ce réputé “fou du volant” qui connaît bien son affaire – il a dirigé la première vente de voitures de collections en 1973 et récupéré le département spécialisé de Sotheby’s à la suite d’un partenariat avec la maison américaine il y a trois ans – ne craint pas la concurrence de Christie’s en France. L’activité de la multinationale sur le territoire français ne peut qu’être profitable à ce marché. Tout juste entrée dans la course en France, elle mène plusieurs ventes régulières de par le monde : trois vacations annuelles à Londres dont la prochaine a lieu le 24 mars, une à New York le 5 juin, une cinquième sur la Côte est des États-Unis à Pebble Beach le 17 août, et une autre pour la première fois à Het Loo, en Hollande, le 31 août.

L’automobile est un marché relativement lucratif. En 2002, la vacation du 12 février a rapporté 5,6 millions d’euros à Christie’s, soit 10 % du montant global des ventes françaises de l’auctioneer. La reine de la vente, une Bugatti T51 Grand Prix (1932), a frôlé le million d’euros, soit déjà un bon prix pour un bolide. Le record en vente publique revient à une Ferrari 250 GTO de 1962 qui s’est envolée à plus de 9 millions d’euros en 1990 à Londres, chez Sotheby’s. Mais, il y a une douzaine d’année, une Mercedes W196, championne du monde en 1954 grâce au pilote Juan Manuel Fangio, a été cédée de gré à gré pour près de 20 millions d’euros : c’est apparemment encore aujourd’hui le plus gros prix jamais atteint par une voiture. Outre quatre à cinq vacations annuelles intermédiaires d’automobiles de luxe ou de sport, Hervé Poulain dirige deux ventes régulières de prestige par an, sans compter la dispersion de collections importantes ou de musées privés qui a lieu presque tous les ans.

Les collections d’automobiles se transmettant difficilement, la marchandise réapparaît sur le marché au plus tard au bout d’une génération.

Aujourd’hui, la voiture de collection, particulièrement les modèles de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre victorieuses de grandes courses, fascine beaucoup d’amateurs. Un peu comme un gros jouet, les collectionneurs achètent les voitures qui les ont fait rêver lorsqu’ils étaient adolescents. En revanche, le marché est beaucoup plus restreint pour l’automobile ancienne, appelée “ancêtre”.
Les critères d’achat pour une automobile de collection sont à peu de choses près les mêmes que pour un objet d’art : le nom du constructeur – il équivaut à celui de l’artiste –, la rareté (il s’agit de prototypes ou de petites séries), l’état (de préférence “dans son jus” sans trop de restaurations) et la provenance. À cela s’ajoute la beauté mécanique et la ligne extérieure. Enfin, le palmarès est déterminant. Entre une automobile qui a gagné les 24 Heures du Mans et la même voiture qui n’a jamais gagné aucune course, les sommes en jeu vont du simple au double.

Bugatti, Ferrari et Mercedes
La vente de Christie’s du 8 février fait surtout honneur aux marques italiennes. Un des lots les plus attendus est sans doute la Bugatti T55 super sport de 1932, à carrosserie Roadster Jean Bugatti dans deux tons de bleu avec intérieur cuir noir, estimée autour d’un million d’euros. Ce modèle  de sport rare et recherché compte parmi les plus attirants de l’époque. La voiture, restée “dans son jus”, est équipée de presque tous ses accessoires d’origine, dont certains sont numérotés tels l’essieu avant, la boîte et le pont arrière. On notera aussi une Bugatti type 35B de 1928, de carrosserie bleue avec intérieur noir, estimée environ 900 000 euros. Sur quatre années de production, environ 45 exemplaires de ce type ont été assemblés. Un bon nombre d’entre eux ont disparu, notamment au cours de leurs carrières sportives particulièrement actives. Ayant participé à de nombreuses compétitions, la Bugatti 35B fut pilotée entre autres par Divo, Lepori et de Graffenried. En parfait état de marche, le bolide a subi en 1998 une restauration mécanique complète par Tim Dutton, un des meilleurs restaurateurs de Bugatti. Autre trésor de la vacation, une Ferrari 250 GT Berlinette “Tour de France” de 1959, estimée 1,2 million d’euros, qui demeure pour l’expert Philip Kantor, “une pièce historique avec sa carrosserie d’origine, son intérieur et son moteur d’origine dans un état exceptionnel ainsi qu’un fantastique palmarès”. Gagnante des Mille Miglia en 1959 avec Carlo Abate, puis 5e au Tour de France la même année, elle ne cessera de cumuler les victoires en Grand Tour jusqu’à sa vente en 1962 à un collectionneur anglais. “Elle est aujourd’hui prête à prendre part à tous les événements les plus prestigieux de la planète, tels des concours d’élégance dans la classe des véhicules d’origine ou la rétrospective des Mille Miglia, le challenge historique Ferrari ou encore le Tour de France Automobile dont elle porte si fièrement le surnom”, précise le spécialiste.

Chez Artcurial-Briest-Poulain-Le Fur le 10 février, les Mercedes de la collection Rolf Meyer – un chef d’entreprise allemand décédé en 2000 – présentent beaucoup d’intérêt. Le fleuron de la vente est une SSK de 1928, l’un des 33 exemplaires sortis d’usine entre 1928 et 1932. La moitié de cette production était destinée à la compétition comme la voiture de la vente portant la mention “voiture de course” et qui doit son palmarès au pilote Carlos Zatuszek. Il s’agit surtout de la dernière SSK originale retrouvée, à l’heure où l’on en recense près de 130 dans le monde, soit quatre fois le nombre original de voitures authentiques produites !  Bien qu’il n’y ait pas de prix de réserve, l’expert Marc Souvrain en attend au bas mot 6 millions d’euros. Les amateurs remarqueront en outre deux autres “bêtes de concours” : deux Mercedes 500 K, estimées 500 000 euros chacune. Pour la première, un cabriolet de la série A W29 de 1936 au moteur de 160 chevaux avec une carrosserie acier bleu profond, une restauration d’une très grande qualité lui a redonné son aspect d’origine. La seconde, qui a aussi bénéficié d’une restauration dans les moindres détails, coûteuse et parfaite, est issue d’une série de convertibles W 29 de 1935 avec une carrosserie en aluminium (sauf les ailes en acier) peinte dans un noir profond. Elle s’est distinguée au concours d’élégance de Monte-Carlo en 1996. Parmi les autres modèles réunis par Rolf Meyer, une Mercedes 300 SL de 1957 offre en outre une particularité.

Présenté dans un état remarquable après des restaurations d’usage, cet exemplaire servit de voiture de développement (un stade plus avancé que le prototype) de 1957 à 1963. Toutes les améliorations possibles ont donc été testées sur cette automobile pour laquelle il faudra prévoir un budget d’environ 200 000 euros.

- AUTOMOBILES DE COLLECTION INCLUANT LA COLLECTION ALFRED H. HEINEKEN, le 8 février à 19 h 30, Christie’s, au salon Rétromobile, Parc des expositions, porte de Versailles, 75015 Paris. Renseignements : 01 40 76 85 85, www.christies.com. Exposition : le 7 février 11h-18h et le 8 février 10h-19h. - SUCCESSION ROLF MEYER, le 10 février à 20 h 30, Artcurial-Briest-Poulain-Le Fur, hôtel des ventes du Palais des congrès (grand auditorium), porte Maillot, 75017 Paris, rens. 01 58 05 06 07, www.artcurial.auction.fr. Exposition : du 7 au 10 février 11-18h. - RÉTROMOBILE, du 7 au 16 février, Parc des expositions, Hall 2/1, Porte de Versailles, 75015 Paris, rens. 01 48 44 30 30, 10h-19h les samedi-dimanche, 11h-22h les mardi-vendredi, 11h-19h les lundi-mercredi-jeudi, www.retromobile.fr, entrée : 11 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°164 du 7 février 2003, avec le titre suivant : Belles carrosseries et jolies cylindrées

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