Jurisprudence

Authenticité : la balance penche du côté de l’objectif

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2006 - 762 mots

Les juges mettent les points du décret de 1981 sur les i du code civil par deux arrêts de la Cour de cassation des 15 novembre 2005 et 7 février 2006.

PARIS - Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2005 à propos d’un « tableau-piège » de Daniel Spoerri, la Cour de cassation a mis un terme à la résistance de la cour d’appel de Paris en visant les dispositions du décret du 3 mars 1981 : le catalogue de la vente aurait dû mentionner expressément que l’œuvre n’était pas de la main de l’auteur (lire le JdA no 228, 6 janvier 2006).
Le 7 février, la 1re chambre civile a récidivé en tranchant un pourvoi dans un litige portant sur un plâtre de César, La Poule Rosine, que le même commissaire-priseur avait retiré d’une vente, compte tenu de discussions sur le descriptif du catalogue.
La cour d’appel de Paris avait condamné le commissaire-priseur à verser des dommages-intérêts au vendeur pour ce retrait fautif, en estimant que la sculpture était bien une « pièce unique », comme cela était mentionné au catalogue. La Cour de cassation a donné raison à la cour d’appel, qui a déduit « souverainement […] que le plâtre n’existait qu’en un seul exemplaire, ce dont elle n’a pu que déduire que celui-ci était une pièce unique, et que le fait que ce plâtre n’était ni numéroté ni signé n’était pas de nature à la priver d’authenticité ». La Cour de cassation a néanmoins cassé l’arrêt parce que les juges d’appel n’avaient pas recherché « si le caractère erroné de la mention portée au catalogue [à la demande du vendeur] relative au nombre d’éditions en bronze de la sculpture à partir du moulage en plâtre n’était pas de nature à justifier la décision du commissaire-priseur de retirer l’œuvre de la vente ».
Position cohérente qui manifeste, comme l’arrêt Spoerri, l’importance « objective » des mentions du catalogue dans la question de l’authenticité, mais aussi dans celle des responsabilités.

Valeur probante plus forte
Jusqu’alors, en matière d’authenticité, les termes du décret n’étaient au mieux que des indices parmi ceux qui sont susceptibles d’établir la conviction intime des parties au moment de la transaction ; en quelque sorte, une goutte d’objectivité dans l’océan de subjectivité qu’était devenue la jurisprudence française de l’authenticité, en particulier depuis un arrêt du 27 juin 2000 de la 1re chambre civile, rendu dans le cours de l’affaire du Poussin des frères Pardo. La Cour de cassation avait alors écarté les moyens du pourvoi tirés des termes du décret de 1981. Elle relevait que : « loin de se fonder sur le décret du 3 mars 1981, la cour d’appel, procédant au contraire à une appréciation subjective, a retenu que les termes du catalogue de vente évoquant la disparition de l’œuvre originale puis sa réapparition chez un collectionneur excluaient toute possibilité d’attribution à Poussin lui-même et levaient [pour le vendeur] toute possibilité d’attribution à Poussin dans le cas où la simple mention “atelier de Nicolas Poussin” aurait pu en inclure un… » L’arrêt concluait que la cour d’appel a « recherché, à bon droit, quelle était la conviction intime [du vendeur] […] et légalement justifié sa décision ».
On peut se satisfaire de l’affirmation, désormais sans ambiguïté, de la portée du décret de 1981.
Cela constaté, il est sans doute trop tôt pour déduire d’une attention plus soutenue au décret de 1981 que la jurisprudence a « viré à l’objectif ».
La Cour de cassation mesure certainement l’insécurité juridique régnant en matière de contentieux sur l’authenticité, enfermé dans le mécanisme rigide de la nullité pour erreur sur la substance qui permet difficilement de concilier les impératifs contradictoires de la sécurité des transactions et de la « défense du consommateur ». Elle a d’ailleurs insisté de plus en plus vivement sur la responsabilité des commissaires-priseurs et des experts du fait des descriptifs et catalogues. Elle a nécessairement constaté aussi que les juges du fond étaient plus exigeants qu’elle dans l’examen des éléments prouvant la conviction erronée et sa relation avec la décision d’acheter ou de vendre une œuvre d’art. Enfin, si les plaideurs se prévalent du décret dans leurs pourvois, c’est que ce texte est désormais une référence connue, acceptée et incorporée dans les échanges par les professionnels et par les amateurs.
Il ne restait sans doute plus qu’à lui reconnaître une valeur probante plus forte dans l’appréciation des transactions en matière d’échanges d’œuvres d’art. Le marché y gagne en lisibilité.

CA Paris, 1re ch. sect. A, 5 nov. 2003 ; Cass., 1re ch. civ., 7 févr. 2006.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Authenticité : la balance penche du côté de l’objectif

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