Art Basel Miami Beach déchaîne les passions

La première édition de la foire d’art contemporain américaine a tenu toutes ses promesses

Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2003 - 1097 mots

Pour sa première édition, la foire Art Basel Miami Beach a connu un succès fracassant tant au niveau de la fréquentation que des ventes. Une énergie frénétique a émané de l’événement qui a d’emblée situé la foire d’art contemporain comme l’une des toutes premières aux États-Unis.

MIAMI - Le palais des congrès de 60 000 m2, qui a accueilli pour la première fois Art Basel Miami Beach, était bien aménagé, voire élégant. Située en plein centre-ville, à quelques pas des hôtels, la foire, qui brillait de tous ses feux, a pris des airs de fête. Cent soixante galeries, venues du monde entier et triées sur le volet, ont présenté toute une gamme d’œuvres plus intéressantes les unes que les autres, depuis des Vuillard des années 1890 jusqu’aux pièces réalisées sur place par un artiste de vingt-cinq ans.
Près de 30 000 visiteurs ont parcouru les allées de la foire entre le 5 et le 8 décembre, et 7 000 “VIP” ont assisté au vernissage sur invitation. La culture artistique des visiteurs laissait parfois à désirer. Le premier soir, Anne Faggionato a été plusieurs fois sollicitée par des curieux désireux de savoir qui pouvait bien être “ce Francis Bacon”, et un artiste a même expliqué qui était Jackson Pollock à un groupe d’Américains.
Les œuvres récentes de ces dix dernières années ont été très demandées. Pour l’anecdote, certains collectionneurs munis de niveaux à bulle se sont faufilés pendant l’installation des stands en se faisant passer pour des ouvriers, et les acheteurs se sont précipités dès le premier soir ; la galerie new-yorkaise D’Amelio Terras a d’ailleurs vendu sans attendre une aquarelle de John Currin pour 40 000 dollars (39 000 euros). Au cours de la première heure, le chiffre d’affaires de la Lisson Gallery a dépassé le million de dollars, en cédant notamment un grand format d’Anish Kapoor au prix de 375 000 dollars, et ses deux éditions de Julian Opie (dix exemplaires connus) au prix de 30 000 dollars chacune. Mais après le pourcentage versé aux artistes et déduction faite des frais relatifs à la foire, au minimum 100 000 dollars, sans oublier bien sûr les frais généraux de la galerie, Nicholas Logsdail estimait le bénéfice net à seulement 100 000 dollars.

Des frais exorbitants
Le coût élevé de la participation à cette foire a provoqué la grogne de la plupart des galeries. En comptant le transport et les tarifs plutôt hauts cette année, le moindre stand a coûté au minimum 50 000 dollars. L’organisation n’avait visiblement pas pris en compte la qualité déplorable de la main d’œuvre à Miami, qui serait, de notoriété publique, lente et chère. Art Basel semblait avoir sous-estimé ces charges, et tout porte à croire que la foire ne réalisera pas de bénéfice. Pour les galeristes, le moindre équipement supplémentaire sur les stands s’est payé au prix fort : 180 dollars pour les spots ajoutés, et 400 dollars pour les prises électriques. À ce rythme, les frais sont vite devenus exorbitants. Les exposants devront aussi verser pour l’édition de l’année dernière – annulée à cause du 11 Septembre – une contribution de solidarité s’élevant à 18 % du prix du stand, mais qui ne remboursera pas les frais alors supportés par les organisateurs, “4 millions de dollars” selon Samuel Keller, le directeur de la foire.
Malgré cela, et le désistement de certains collectionneurs européens qui avaient pourtant promis de venir, la foire a réellement battu son plein. Les organisateurs d’Art Basel ont fait des efforts remarquables : ils ont su jouer avec la macroéconomie keynésienne pour attirer les collectionneurs – théorie stipulant que la dépense engendre la dépense – en offrant à certains d’entre eux trois soirées au Shore Club pour près de 700 dollars par personne.
Les exposants étaient tout simplement heureux, certains ne pouvaient en croire leurs yeux tant les visiteurs ont dépensé. Marian Goodman a écoulé tout son stock au cours des premières quarante minutes, Sean Kelly n’avait plus rien à vendre après deux jours. La galerie londonienne Modern Art, qui n’avait apporté qu’une seule œuvre de Tim Noble & Sue Webster, occupait le stand le plus petit qui soit. Elle a cédé la pièce dès l’ouverture au prix de 80 000 dollars. Marianne Boesky a vendu trois immenses chiens en fibre de verre de Yoshitomo Nara au prix de 75 000 dollars à des collectionneurs locaux tout contents de trouver des œuvres pour leur jardin. La Gagosian Gallery a déçu : son stand assez médiocre et sa présentation bâclée laissaient penser que la galerie exposait trois œuvres destinées à des clients précis. Même la Liz Taylor d’Andy Warhol, provenant de la suite de Nicholas Berggruen au Pierre Hotel, est restée invendue.
À l’opposé, Peter Freeman avait, comme à son habitude, monté un espace confiné et superbe, articulé autour de quelques pièces anciennes parfaitement sélectionnées et exposées, parmi lesquelles le premier tableau de Robert Mangold. Un collectionneur européen, qui avait fait le trajet avec son jet privé, s’est offert pour près d’un million de dollars une sculpture en acier d’Ellsworth Kelly, de 1979. Peter Blum a trouvé acquéreur pour deux tableaux grand format d’Alex Katz, à respectivement 160 000 et 200 000 dollars, et Timothy Taylor a lui aussi vendu une œuvre du même artiste, celle qui faisait récemment la couverture du dernier catalogue de la Saatchi Gallery. Gisela Capitain, qui partageait un stand de 35 000 dollars avec Friedrich Petzel, a cédé Fontainebleau de Sarah Morris pour 38 000 dollars, ainsi qu’un Jorge Pardo pour 35 000 dollars. Le portrait d’Elizabeth Grubman, signé Richard Phillips et peint cette année, est parti dès l’ouverture au prix de 17 000 dollars, même si Gisela Capitain a dû se renseigner sur l’identité du modèle. Un Martin Kippenberger de 1986, intitulé Against False Penny Pinching, a très vite trouvé acquéreur à 210 000 dollars.
Les œuvres chères, du second marché, n’ont pas déchaîné autant les passions que celles proposées dans “Art Positions”, une série de containers aménagés près de la plage où vingt jeunes galeries étaient installées. Ces espaces branchés étaient à l’image des autres événements satellites, depuis “Art Video Lounge” jusqu’à la foire concurrente Scope Art Fair et les projets in situ, sans oublier les conférences en tout genre, qui ont fait salle comble.
La bataille pour l’hégémonie des foires d’art contemporain est lancée aux États-Unis. Art Chicago, c’est un fait, n’ayant plus que quelques années à vivre, elle se joue aujourd’hui entre l’Armory Show de New York et Art Basel Miami Beach. Laquelle de ces deux villes, qui regorge chacune de plaisirs et de distractions, saura maintenir la passion ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Art Basel Miami Beach déchaîne les passions

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