Les manuscrits de Tombouctou cachés et sauvés par les habitants

Par Romain Bouvet · lejournaldesarts.fr

Le 19 février 2013 - 653 mots

TOMBOUCTOU (MALI) [19.02.13] – Les islamistes n’ont détruit qu’une infime partie des collections du centre Ahmed Baba. Dissimulés, cachés, sortis clandestinement de la ville par plusieurs habitants, la plus grande partie des manuscrits de Tombouctou avaient quitté la ville aux 333 saints bien avant l’arrivée des troupes françaises et maliennes.

Depuis le départ précipité des islamistes fin janvier – refluant devant l’avancée des troupes françaises et maliennes – Tombouctou se relève lentement et commence l’estimation de ses pertes. La population a souffert. La cité et son histoire aussi. Les destructions de mausolées mises en scène par les djihadistes ne laissaient aucun doute concernant le devenir du patrimoine architectural de la « ville aux 333 saints ». De même, les quelques photographies d’archives pillées et de restes calcinés récemment diffusées par la presse avaient laissé craindre un autodafé complet des célébrissimes manuscrits de Tombouctou. Mais tout n’est pas noir à l’heure du bilan. À présent que la charia est levée, les langues se délient, et certains habitants on fait savoir que dès le printemps 2012, ils s’étaient employés à dissimuler ou évacuer de nombreux documents historiques afin de les protéger de « la barbarie » des islamistes.

Opérant en toute discrétion dès le début de l’occupation de la ville, prenant le risque d’être emprisonnés ou mutilés, certains employés du Centre de Documentation et de Recherches Ahmed Baba (CEDRAB) vont d’abord déplacer la plus grande partie des manuscrits dans les anciens locaux du centre, supposés être désaffectés. Mais il devient rapidement évident que les documents ne seront jamais en sureté tant qu’ils n’auront pas quitté Tombouctou. Transportés liasses par liasses en scooter, descendus vers Bamako en pirogue ou dissimulés dans des sacs de riz transportés à dos d’âne, les manuscrits sont alors exfiltrés au compte-gouttes par ces défenseurs du patrimoine que l’on compare déjà à « l’armée des ombres » de Kessel.

Les employés du CEDRAB ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir œuvré pour sauver les antiques documents. Télérama rapporte que certains propriétaires de bibliothèques privées – beaucoup de manuscrits sont en possession des grandes familles de Tombouctou - ont protégé leurs collections de la destruction. Ici, un imam enterre ses 8000 manuscrits dans un bunker qu’il a fait spécialement édifier, ailleurs un riche collectionneur fait passer ses ouvrages au Burkina Faso en les dissimulant dans des boîtes de médicaments.

Pendant près d’un an, on déplace, on disperse, on cache tout ce qu’on peut, à tel point que lorsque les islamistes mettent le feu au nouveau centre Ahmed Baba avant de s’enfuir, ils détruisent « seulement » une centaine d’ouvrages religieux du XIXe et XXe siècle et quelques manuscrits laissés au centre pour donner le change. Une perte à considérer – au vu des circonstances – comme un « moindre mal » si l’on pense aux milliers de documents que cette mobilisation a sauvé.

Une telle prise de risques – bien qu’admirable - pour sauver le patrimoine de la ville (et du Mali) à de quoi surprendre. Jean Michel Djian, auteur d’un ouvrage consacré aux manuscrits de Tombouctou et rédacteur en chef de France Culture Papiers rappelle cependant que dissimuler l’héritage écrit de la cité est presque une tradition qui perdure dans les grandes familles de Tombouctou depuis la prise sanglante et le pillage de la ville par le sultan du Maroc en 1591, date qui marqua la fin de l’âge d’or de la « ville bibliothèque ».

Dans les années 1990, ce sont ces mêmes grandes familles du Mali qui dénonçaient un trafic international grandissant de manuscrits qui quittaient illégalement Tombouctou pour réapparaître à Genève ou à New-York. Avec le soutien de l’UNESCO qui a promis son aide au Mali, il est possible que les manuscrits – dont certains sont encore dispersés au hasard des cachettes – ne connaissent pas un sort similaire. La plus grande partie d’entre eux semble cependant déjà être entre les mains de la gendarmerie nationale à Bamako.

Légende photo

Le centre de recherches historiques Ahmed-Baba, créé à Tombouctou en 1973 pour préserver les manuscrits - © Photo upyernoz - 2005 - Licence CC BY 2.0

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