Fiscalité et circulation des œuvres d’art

TVA, l’harmonisation européenne sera réalisée au mois de janvier 1995

Mais une directive ne peut pas tout résoudre. Aux professionnels de jouer.

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 2747 mots

Un accord final est intervenu à Bruxelles le 14 février entre les ministres des Finances des Douze sur la 7e directive TVA, qui met en place le régime particulier de taxation pour les œuvres d’art. Le Journal des Arts a organisé à cette occasion, à Paris, un débat entre Madame Christiane Scrivener – Commissaire européen chargé de la fiscalité, des douanes et de la politique des consommateurs – et des représentants des professions concernées : Mme Laure de Beauvau Craon, présidente de Sotheby’s France, Mme Anne Lahumière, présidente du Comité des galeries d’art, Me Gérard Champin, ancien président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, M. Jacques Perrin, antiquaire à Paris et M. Bertrand du Vignaud, secrétaire général de Christie’s Europe.

Mme Scrivener annonce que la directive prendra effet le 1er janvier 1995. Elle en explique les principales dispositions et répond aux inquiétudes des professionnels. Elle révèle "qu’elle a plaidé dans le sens d’une diminution de l’imposition". "Je pense qu’il y a déjà trop de charges fiscales qui pèsent sur l’économie de nos pays européens", déclare-t-elle. Interrogée enfin sur l’avenir du monopole des commissaires-priseurs en France, Mme Scrivener affirme que "la 7e directive doit permettre d’aboutir à un contexte de concurrence entièrement loyal entre les États membres".

Cette table ronde a eu lieu au Café Marly qui vient d’ouvrir ses espaces dans l’Aile Richelieu du Louvre. Pour l’Histoire, si l’Aile Richelieu était habitée autrefois par le ministère des Finances, le Café Marly était, de 1976 à 1978, le bureau de Mme Scrivener, alors Secrétaire d’État à la Consommation…

Le Journal des Arts : Quels sont les objectifs et les modalités d’application de la 7e directive ?
Mme Christiane Scrivener (Commissaire européen chargé de la fiscalité, des douanes et de la politique des consommateurs) : Il faut replacer cette mesure dans un cadre général. En adoptant la 7e directive, la Communauté européenne a répondu à une obligation, la création du Grand Marché, et à un objectif, que notre pays et l’Europe en général puissent développer un grand marché de l’art. La perspective de l’ouverture des frontières nous a conduit à envisager une certaine harmonisation. Il faut bien voir que le risque de payer plusieurs fois la TVA sur le même objet était réel. Il a quand même fallu quinze ans pour parvenir à ce résultat - les ministres des Finances doivent prendre leur décision à l’unanimité, et la recherche d’un compromis explique qu’il faille quelques fois donner à tel ou tel pays une ou plusieurs dérogations.

La 7e directive TVA établit dans l’Union européenne un régime de taxation commun aux Douze pour les ventes d’œuvres d’art, de pièces de collection et d’antiquités, ainsi que pour les importations en provenance de pays extérieurs à l’Union.
D’un point de vue fiscal, nous avons essayé d’instaurer le système le plus cohérent et le plus fluide possible au niveau de la Communauté. Des améliorations pourront toujours y être apportées par la suite.

Il y a deux dispositions essentielles :
La première, c’est le principe de la taxation limitée à la marge : dans le cas d’une marge de 30 % imposée au taux de 18,6 %, cela aboutit à une taxation moyenne de l’ordre de 5 à 6 %. Cela règle aussi le problème des commissaires-priseurs qui sont dès lors imposés sur leur seule commission. Cette disposition est complétée par la faculté donnée aux États membres d’appliquer un taux réduit (5 % minimum) aux importations, ainsi qu’aux ventes faites par les artistes eux-mêmes ou par leurs ayants droit. C’est un système attractif pour les marchés de l’art européens par rapport aux marchés extérieurs.

La deuxième disposition très importante est celle qui permet aux opérateurs d’acheter et de vendre librement partout dans la Communauté comme s’ils étaient des particuliers : ils n’auront plus à déclarer d’acquisitions ou de livraisons intra-communautaires comme c’est le cas aujourd’hui. C’est le système dit "du pays d’origine" Ce qui est tout à fait remarquable, c’est que vous serez les premiers professionnels à en bénéficier.
Enfin, les transactions sur les œuvres qui viennent de pays tiers seront facilitées. Elles pourront séjourner sur le territoire de l’Union sans supporter de taxes ou de droits de douane pendant deux ans et non plus six mois seulement.

Le JdA : Les commissaires-priseurs comme les marchands évoquent souvent le risque de délocalisation du marché au profit de pays où la TVA n’existe pas. Pourriez-vous nous donner des informations sur les études faites par la Communauté à propos de pays comme les États-Unis ou la Suisse ? Quelle est la pression fiscale supportée par les ventes d’œuvres d’art dans ces pays ?
Mme Christiane Scrivener : En Suisse, le principe de la TVA a été adopté, mais il n’est pas encore mis en application. La vente d’objets d’art est actuellement soumise à une taxe, l’ICHA, au taux de 6,2 %. Cette taxe porte sur le montant total de la transaction. Les importations sont soumises à la même imposition, calculée sur une base constituée par le prix d’achat augmenté des frais de transport jusqu’à la frontière. La TVA devrait être mise en place à partir du 1er janvier 1995. Mais les dispositions concernant la taxation des ventes d’objets d’art dans ce nouveau système ne sont pas encore connues (Ndlr : le taxe applicable serait 6,5 %).

Aux États-Unis, la situation est plus diversifiée, parce qu’il s’agit de taxes sur les vente (sales tax) dont le taux varie selon les États et les Villes. Si l’on prend le cas de New York, qui est le plus grand marché, le taux de la taxe est, je crois, de 8,25 %. Cela sous toutes réserves, car il y a toujours à ajouter des taxes locales.

Mme Anne Lahumière , (présidente du Comité des galeries d’art) : Quand on vient de l’extérieur, on est grevé d’une taxe générale sur l’ensemble de ce que l’on importe. C’est une taxe que vous fait supporter le transitaire à votre arrivée d’Europe. Je parle de l’expérience que j’aie connue à la foire de Chicago. En revanche, cette taxe ne s’applique pas quand, à Chicago, vous vendez à un ressortissant d’un État de l’Union. De nombreuses personnes s’arrangent donc probablement pour ne pas payer la taxe.

Le JdA : Dans la mesure où la date limite donnée aux États membres pour transposer les dispositions de la directive dans leur législation nationale a été portée au 1er janvier 1995, les limites des dérogations accordées au Royaume-Uni et à l’Allemagne ont-elles été décalées en conséquence ?
Mme Christiane Scrivener : Absolument pas. Le Royaume-Uni peut appliquer un taux de 2,5 % jusqu’au 30 juin 1999 seulement, et uniquement pour les importations d’objets d’art et les collections d’antiquités. Cette dérogation ne concerne que les biens datés d’avant 1973. Il y a une autre dérogation pour l’Allemagne qui a été également autorisée jusqu’au 30 juin 1999 à appliquer la TVA au taux réduit de 7 % sur la totalité du prix, au lieu de la TVA au taux normal sur la marge. Cette dérogation est assortie de dispositions pour ne pas perturber les opérations faites avec des clients ressortissants d’autres États membres.

Le JdA : Que pensent Sotheby’s et Christie’s de cette 7e directive ?
Mme Laure de Beauvau Craon (Sotheby’s) : Le marché de l’art est éminemment mobile, et toute taxe ou toute contrainte nouvelle le pousse vers des endroits où il y en a moins. C’est malheureusement le manque de pragmatisme du marché français qui a poussé le marché vers Londres dans les années 50 et, beaucoup plus récemment, vers de grands centres tels que Genève et même Monaco. Avec une TVA, aussi minime qu’elle soit, je crains que les tableaux impressionnistes qui se trouvent à Genève à l’heure actuelle par exemple aillent plutôt vers New York que vers Londres.

M. Bertrand du Vignaud (Christie’s) : Je partage les propos de Mme de Beauvau Craon. Je comprends le besoin de cohérence au niveau européen, mais je suis frappé que vous utilisiez comme argument en faveur du développement d’un grand marché européen la réduction de la charge fiscale, alors que, au moins pour certains États, l’application de la 7e directive va se traduire par un alourdissement.
Par ailleurs, le fait d’avoir consenti le taux de 2,5 % à l’Angleterre jusqu’en 1999 pour un certain nombre d’objets d’arts est une mesure transitoire. J’ai cru comprendre qu’elle serait revue. Au moment de la révision de cette mesure, il sera très important d’en voir les conséquences et la possibilité d’harmoniser vers une taxation plus faible. Que peut-on attendre de cette révision ?

Mme Christiane Scrivener : Je fais inscrire systématiquement, dans les mesures fiscales européennes, une clause de révision, car il peut toujours surgir des éléments nouveaux. Il faut éviter de se laisser emprisonner dans une certaine rigidité, surtout quand on veut assurer le développement d’un secteur d’activité que je considère comme très important. Je ne vous cache pas qu’au cours de ces négociations, j’ai moi-même plaidé dans le sens d’une diminution de l’imposition. D’un point de vue économique général, je pense en effet qu’il y a trop de charges fiscales qui pèsent sur l’économie de nos européens. Mais, dans ce cas, on est parvenu à la limite de ce que l’on pouvait faire pour l’instant. Ceci dit, je ne crois pas que le compromis obtenu entrave le marché de l’art.

Mme Anne Lahumière : Le Comité des galeries d’art regroupe deux branches. La première est celle de la revente et la seconde – qui s’est beaucoup développée depuis 1981 –, celle des galeries d’art contemporain qui travaillent avec un artiste vivant. Le problème est que ces galeries sont assimilées à un marché qui traite des objets d’occasion, du négoce d’art, de la vente de mobilier, etc. Il me semble que, dans la nouvelle directive, pour l’art contemporain, s’établira un écart d’imposition important par rapport à l’Allemagne.

Mme Christiane Scrivener : L’une des difficultés de finaliser cette directive a été de faire que la dérogation allemande ne perturbe pas les opérations intra-communautaires. Quant au différentiel de taux, il ne résulte pas de la 7e directive mais des taux en vigueur dans chaque État membre. Vous devez aussi comprendre que dans la Communauté, nous avons été obligés de monter un système transitoire de TVA sans frontières. Onze États s’opposaient au principe simple et pratique qui veut que les biens soient achetés taxes comprises dans le pays d’origine. En 1997, il faudra donc établir le système définitif, ce qui ne sera pas simple, même si nous avons déjà parcouru beaucoup de chemin. Mais dans votre domaine particulier, que l’on a voulu isoler, on est arrivé à faire en sorte qu’avec la 7e directive vous soyez en avance ; vous êtes déjà dans le régime définitif, la TVA étant désormais exigible dans le pays d’origine. C’est un gain considérable.

M. Jacques Perrin (antiquaire) : Il est dommage pour l’intérêt économique de la Communauté qu’il y ait une taxe à l’importation. Le propriétaire va choisir un lieu de vente par rapport à l’avantage fiscal qu’il pourra obtenir. Or, plus il se passera d’événements économiques sur le marché en Europe, plus il rentrera d’argent dans les caisses. Je dirais au ministre du Budget, quel qu’il soit : semez et vous récolterez ; si vous ne touchez pas tout de suite, vous toucherez dans cinq ou huit ans. La composante du marché de l’art, c’est toute la chaîne des métiers d’art.
Globalement, les antiquaires sont satisfaits, en dehors du problème des 5 % à l’importation qui vont sans doute nuire davantage aux ventes publiques qu’à nous-mêmes. Mais nous avons besoin de la résonance des ventes publiques sur notre marché.

Me Gérard Champin (commissaire-priseur) : Tous les intervenants du marché sont importants ; il y a une interaction entre les galeries, les antiquaires, les ventes publiques. On ne peut pas défavoriser un secteur sans défavoriser les autres. C’est très important pour une place que l’ensemble des intervenants du marché soit en bonne santé, et que les règles fiscales notamment ne viennent pas les défavoriser. C’est essentiel.
Mais on ne peut pas développer un marché international en Europe s’il y a une distorsion grave avec des places extérieures à l’Europe. Donc, on ne peut faire uniquement de l’intra-européen sans penser aux intervenants mondiaux du marché. Il est évident que si demain subsistent des distorsions, même d’un pourcentage faible, entre l’Europe et les États Unis, les gens iront vers les États-Unis.

Mme Christiane Scrivener : Le processus de révision dont nous avons parlé est fait pour cela. On peut en fait rapprocher vos craintes de celles qui ont précédé la libéralisation des capitaux. Les gens ont hurlé ! Mais la délocalisation annoncée ne s’est pas produite, les capitaux n’ont pas fui vers les pays moins imposés. Si les professionnels sont compétents, le marché n’ira pas ailleurs. Je peux aussi suggérer de vous organiser entre vous pour faire valoir vos observations sur l’évolution du marché. Un bon dossier bien argumenté a toujours beaucoup de poids auprès des autorités nationales ou européennes. Quand une décision doit être prise, c’est à vous de jouer !

Le Jda : À plusieurs reprises, les autorités françaises ont fait un lien entre l’accord recherché sur la TVA – sur lequel s’opposaient en particulier les Français et les Britanniques – et le problème de la liberté d’organisation de ventes publiques en France par les maisons d’outre-Manche. Un accord étant intervenu, cette question va-t-elle évoluer rapidement ?
Mme Christiane Scrivener : La 7e directive qui a pour objectif de favoriser le marché de l’art en Europe doit permettre d’aboutir à un contexte de concurrence entièrement loyal entre les États membres.

SEPT QUESTIONS, SEPT RÉPONSES

1. QUELS SONT LES BIENS CONCERNÉS PAR LA 7e DIRECTIVE ?
Ce sont les objets d’art, les objets de collection et les objets d’antiquité répondant aux conditions fixées par l’annexe 1 de la directive. Leur définition est donc désormais harmonisée au niveau des États membres. Ce sont également les biens d’occasion.
2. COMMENT SONT TRAITÉES LES ACQUISITIONS D’ŒUVRES PAR LES PROFESSIONNELS ?
- Achat d’une œuvre à un particulier résidant dans la Communauté : aucune taxation.
- Achat d’une œuvre à un artiste ou à ses ayants droit : la TVA est acquittée par l’artiste ou ses ayants droit.
- Achat à l’extérieur de la Communauté suivi d’une importation : imposition sur le prix à l’importation.
- Achat intérieur ou intra-communautaire à un professionnel : la TVA est acquittée sur la marge par le professionnel vendeur et la facture est établie sans mention de TVA.
3. COMMENT SONT TRAITÉES LES LIVRAISONS FAITES PAR LES PROFESSIONNELS ?
- Vente à un particulier ou à un professionnel établis à l’intérieur de la Communauté : la taxe à la valeur ajoutée est acquittée sur la marge par le vendeur dans l’État membre où il est assujetti.
- Vente à l’exportation : exonération de la marge et option possible pour le régime normal dans certains cas.
4. COMMENT SONT TRAITÉES LES VENTES AUX ENCHÈRES ?
Dans ce cas aussi, le régime de la marge s’applique : la TVA est acquittée par le commissaire priseur sur sa commission.
5. QUELS SONT LES TAUX APPLICABLES ?
- Les États membres ont la faculté d’appliquer un taux réduit (minimum 5 %) sur les importations ainsi que sur les achats directs à des artistes ou à leurs ayants droit.
- Dans les autres cas, le taux applicable est le taux normal, sauf pour les biens bénéficiant d’un taux réduit (livres par exemple, dans tous les pays sauf le Danemark).
6. QUEL SERA LA DURÉE DU RÉGIME D’ADMISSION TEMPORAIRE EN SUSPENSION DE TAXE ?
Il est porté à deux ans.
7. QUELS SONT LES DÉROGATIONS OU LES CAS PARTICULIERS ?
Dérogations
- Le Royaume-Uni est autorisé à appliquer un taux de 2,5 % sur les importations d’œuvres d’art antérieures à 1973, jusqu’au 30 juin 1999 au plus tard.
- L’Allemagne est autorisée à appliquer, jusqu’au 30 juin 1999, le régime normal au taux de 7 %, au lieu du régime de la marge. Cette autorisation est assortie de dispositions permettant de ne pas perturber les opérations intra-communautaires. Cas particuliers
- Si un professionnel a intérêt pour une transaction donnée (vente à un client pouvant déduire la TVA), il peut opter pour le régime normal.
- Un système de forfaitisation est possible dans le cas où la marge est difficile à déterminer, comme c’est le cas pour les biens achetés par lot. La marge est alors de 30 % minimum de la transaction.
- Un mécanisme de globalisation est également autorisé lorsqu’il est impossible de déterminer la marge transaction par transaction (cas de contrat d’un artiste avec une galerie).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : TVA, l’harmonisation européenne sera réalisée au mois de janvier 1995

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