Arnauld Brejon de Lavergnée, directeur du mobilier national

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2007 - 1484 mots

Du Palais des beaux-arts de Lille au Mobilier national, Arnauld Brejon de Lavergnée s’est construit un parcours en marge de sa spécialité d’origine. Portrait d’un passionné à contre-emploi.

Ceux qui auraient entendu Arnauld Brejon de Lavergnée commenter fiévreusement un tableau seraient étonnés de son comportement en entretien. Loin du zébulon sympathique et généreux que l’on connaît, le directeur du Mobilier national se montre excessivement prudent, rétif aux questions qui fâchent, comme s’il avait peur de son ombre. Si la langue de bois est de rigueur, le débit à la mitraillette trahit un caractère passionné. « C’est un personnage téléporté, qui vit le destin des œuvres, le temps des œuvres et non le réel, observe le commissaire d’exposition Dominique Païni. Il ne met pas de collure dans le montage des événements du monde, pas de ponctuation entre les différents moments qu’il vit. Il est dans un continuum. Parfois on a envie de le secouer en lui disant : “Eh ! Arnauld, le décor a changé !” » Histoire de le rappeler à une réalité avec laquelle il a un rapport parfois compliqué. Pour Nathalie Volle, conservatrice en chef au C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France), « Arnauld n’est jamais au repos. C’est une intelligence en mouvement, qui ne s’endort pas, n’est pas désabusée. Il croit en permanence, positive toujours. » Ce, même au Mobilier national, institution régalienne s’il en est.

Un regard sûr
Né dans une famille bourgeoise et intellectuelle, Arnauld Brejon se lance dans des études d’histoire de l’art tandis que le reste de sa fratrie épouse le droit. Une expérience de deux ans à l’Inventaire monumental lui ouvre de nouveaux horizons. En 1969, il passe le concours des musées et multiplie les stages au Musée national du Moyen Âge-hôtel de Cluny, au Louvre (Paris) et à Dijon. Pendant deux ans, il séjourne à la Villa Médicis, à Rome, où il travaille sur les inventaires après décès de Poussin. Avec l’historien de l’art Jean-Pierre Cuzin, il y concocte une exposition sur les caravagesques français, qui fera date en 1974 au Grand Palais. Pour l’historienne de l’art Mina Gregori, « Brejon est l’un des plus grands historiens de l’art italien. Son travail sur les caravagesques français s’est fait à un moment où l’on ne les connaissait pas. Cela reste toujours une référence ». L’homme aime à recevoir l’onction des plus grands, dans un rapport de maître à disciple. Il rencontre ainsi l’historien de l’art Federico Zeri au culot, boit du petit-lait avec Pierre Rosenberg. Via Michel Laclotte, alors « patron » du Louvre, il rejoint le musée où il œuvre à l’inventaire. Il y produira un copieux répertoire des peintures italiennes du XVIIe siècle dans les musées de France. « Arnauld a un très bon œil, réagit au quart de tour devant les œuvres. C’est un chercheur qui travaille de façon instinctive. Il a une sûreté de regard qu’il documente après. Il est tout le temps en train de creuser », affirme Nathalie Volle, ajoutant : « La peinture italienne agit comme une drogue et il est accro. » L’exposition « Seicento, le siècle de Caravage dans les collections françaises », organisée en 1988-1989 au Grand Palais et mise en scène par Pier Luigi Pizzi, assoit sa notoriété. Parallèlement, il donne des cours à l’Ecole du Louvre où il électrise son audience. « Lorsque Arnauld parle d’un tableau, il le dirige comme si c’était une symphonie de couleurs. C’est un commentateur musical », indique Dominique Païni. Aimant la médiation, l’intéressé affirme pour sa part : « Un tableau ne demande qu’à vous parler, mais pour diverses raisons, vous êtes inhibés, vous ne savez pas l’écouter. Il faut trouver des mots simples pour le faire parler. »
Quittant en 1987 les lambris du Louvre pour la direction du Palais des beaux-arts de Lille, ce spécialiste de peinture italienne change de décor. En dépit d’un fonds de premier plan, l’institution sommeille gentiment au gré de ses 80 000 visiteurs par an. En se retrouvant face à une collection flamande et hollandaise, Arnauld Brejon devra mettre entre parenthèses sa spécialité d’origine. Ponctué de retards, de dépassements budgétaires et de prises de bec avec les architectes, notamment sur le choix des couleurs, le chantier de rénovation a aussi de quoi dégriser. « Arnauld Brejon était investi, mais, comme toutes les personnes savantes dans leur domaine, il n’était pas au fait d’une réalité de chantier. Nous n’étions pas sur la même longueur d’onde culturelle, remarque l’architecte Jean-Marc Ibos. Il fallait qu’on apprenne à se connaître. Mais il faut dire que le budget initial n’était pas en adéquation avec les travaux à faire. » Pour convaincre industriels, élus et prescripteurs, Brejon déploie des ressorts insoupçonnés chez un conservateur à l’ancienne, peu rompu aux mondanités et aux levées de fonds. « Il a déplacé des montagnes pour obtenir des acquisitions —pas données au départ— comme le Gobelet d’argent de Chardin ou la vanité de Jan Sanders Van Hemessen », observe Annie de Wambrechies, conservatrice au Palais des beaux-arts de Lille. Il recompose même des ensembles dispersés, réunissant le diptyque de Sébastien Bourdon dont l’une des parties se trouvait à Toulouse. Son grand fait d’armes sera l’exposition toute en subtilité intitulée « Goya, un regard libre », programmée en 1998. Un regard libre qui n’était pas seulement celui du peintre, mais aussi du directeur et des conservateurs qui avaient orchestré l’événement. En revanche, la rétrospective Rubens en 2004 déçoit les spécialistes par la faiblesse de son discours critique et génère des commentaires vachards. « Ce n’était pas une exposition scientifique, elle ne faisait pas avancer l’histoire de l’art, mais ça ne me gêne pas. C’était grand public, mais on essayait d’être rigoureux », défend Brejon.

« Profil de connoisseurship »
Bien que sa capacité d’entraînement soit indéniablement séduisante, l’homme n’a pas vraiment su gérer son musée. S’il avoue « quinze ans de bonheur avec Pierre Mauroy », l’arrivée de Martine Aubry ouvre une période de tensions. « Arnauld ne savait pas se défendre contre les demandes de la ville. Il laissait trop les élus diriger le musée, confie un observateur local. Or Martine Aubry est très interventionniste. Si on l’affronte, on est perçu comme suspect. Elle l’a poussé vers la sortie. » La dégradation d’un Goya à cause d’une insuffisance dans les équipes de surveillance sert de détonateur. La crise entre la Ville et le conservateur est consommée. Sur ce sujet, Brejon se ferme à double tour, lâchant diplomatiquement : « La mobilité est une bonne chose dans notre métier » ! Alors qu’il convoite la direction du département des Peintures anciennes du Louvre, Henri Loyrette lui préférera un homme lige plus jeune. « Il a un profil de connoisseurship qui n’intéresse plus personne dans les musées français, regrette un spécialiste. On veut aujourd’hui des béni-oui-oui qui n’ont plus d’idées sur rien, des gestionnaires qui font voyager les œuvres. » Malgré sa prudence, Arnauld Brejon fut l’un des signataires de la pétition lancée par la Tribune de l’Art contre le projet du Louvre à Abou Dhabi. Il défend aussi mordicus l’inaliénabilité des œuvres d’art. Ironiquement, il dirige depuis 2003 le Mobilier national, qui se déleste une fois par an dans les ventes des domaines. « Ce sont des meubles courants, ça ne porte pas de coup de canif à l’intégrité du patrimoine », défend-il.

Le Mobilier national, un placard ?
Encore une fois, le spécialiste de la peinture italienne semble à contre-emploi dans une structure où prime le mobilier. Placard ou bâton de maréchal ? « Aucun des deux ! C’est une maison extraordinaire. On a quatre siècles d’art vivant ! », lance-t-il tout en confiant que le contact avec le public lui manque. Cette relique de l’ancien régime associant un garde-meuble et des manufactures de tapisseries semble toutefois engoncée dans des bâtiments exigus. La mission exige aussi une obédience à toute épreuve, son prédécesseur Jean-Pierre Samoyault ayant été remercié pour ne pas avoir répondu aux caprices de Bernadette Chirac. Mais Arnauld Brejon positive toujours, développe la nouvelle Galerie des Gobelins, inaugurée cette année, et se fait le chantre de la tapisserie, secteur qui le rapproche le plus de sa discipline initiale, la peinture. Il se confie sur d’autres projets, comme la présentation de la tenture d’Alexandre d’après Charles Le Brun en 2008 et une exposition sur la restauration des œuvres d’art. « Je le dis avec humilité, je n’ai pas les réponses pour faire sortir la tapisserie de son ghetto. Celle-ci servait de faire-valoir. Or une tenture, c’est comme une fresque tissée. C’est presque aussi important que la galerie du Rosso pour François Ier !  », clame-t-il en retrouvant les mêmes accents que devant une toile. Après avoir mené le chantier de conservation des cartons peints, Arnauld Brejon songe à mettre en place de nouveaux modes de stockage des tapisseries d’ici à 2010-2011. Mais surtout, il rêve de pouvoir refaire une petite exposition sur les caravagesques au Grand Palais. Histoire de renouer avec sa véritable passion.

Arnauld Brejon de Lavergnée en dates

1945 Naissance à Rennes. 1974 Exposition sur les caravagesques français au Grand Palais. 1987 Prend la direction du Palais des beaux-arts de Lille. 1997 Réouverture du Palais des beaux-arts de Lille. 2003 Prend la direction du Mobilier national. 2007 Réouverture de la Galerie des Gobelins.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°271 du 14 décembre 2007, avec le titre suivant : Arnauld Brejon de Lavergnée, directeur du mobilier national

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