Jean-François Chougnet : « Tisser des relations durables »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 1180 mots

Commissaire pour la France de « Brésil, Brésils », Jean-François Chougnet présente les moments forts de l’année consacrée à ce pays aux multiples cultures.

Directeur de l’établissement public du Parc et de la Grande Halle de la Villette, Jean-François Chougnet assure, avec Raphaël Bello, le commissariat pour la France de « Brésil, Brésils ». Il nous présente les temps forts de la manifestation et revient sur les rapports qu’entretiennent les deux pays.

Comment est née « Brésil, Brésils », l’année du Brésil en France ?
L’origine remonte à la visite au Brésil, en 2001, du Premier ministre français de l’époque Lionel Jospin, suivi, quelques mois plus tard, d’une visite du président Jacques Chirac. J’y vois deux raisons. Une première est conjoncturelle : la France souhaitait « se racheter » de sa faible participation à la célébration du 500e anniversaire de la découverte du Brésil. Une seconde est plus fondamentale : la France sait que le Brésil est en train de devenir une puissance qui compte non seulement à l’échelle du continent latino-américain mais aussi au niveau mondial. En outre, ce pays va avoir un rôle très important à jouer dans le débat sur la diversité culturelle qui a lieu à l’Unesco. La position du Brésil sera déterminante, tout le monde en est convaincu. Le pays a d’ailleurs été convié par l’Unesco à être l’un des rédacteurs du projet de convention.

Pour représenter la diversité culturelle du Brésil, vous avez choisi de décliner la manifestation selon trois thématiques, « Raízes do Brasil », « Verdade Tropical » et « Galáxias ». Pouvez-vous revenir sur ce choix ?
Cette année à « trois temps » est un clin d’œil à la musique brésilienne. On les a baptisés en faisant référence à des auteurs importants : « Raízes do Brasil » (« Racines du Brésil ») reprend le titre du roman de Sergio Buarque de Holanda (1). L’idée est de montrer que le Brésil est aussi un pays de racines, dans lequel l’immigration a tout de suite été métissée, confrontée à la culture indienne puis très vite à la culture « afro-brésilienne ». Le second temps, « Verdade Tropical » (« Vérité tropicale »), baptisé ainsi en hommage à Caetano Veloso (2), s’intéresse à l’extraordinaire abondance des formes de la musique populaire brésilienne (la MPB), mais aussi à l’environnement naturel du pays. Enfin, « Galáxias » (« Galaxies »), en référence au grand poète Haraldo de Campos (3), évoquera l’explosion de la création contemporaine brésilienne…

Justement, peut-on essayer de définir cette scène artistique contemporaine ?
C’est une scène très active qui ne déroutera pas le public français parce qu’elle nous ressemble beaucoup. Tout comme les artistes français, les Brésiliens font des œuvres qui ne se vendent pas comme des savonnettes et ils ont beaucoup de mal à exploser sur la scène artistique internationale ! Il y a des individualités très marquantes, qui ont des formes d’expression extrêmement variées, voire antinomiques. C’est pourquoi nous avons plutôt privilégié les monographies d’artistes contemporains, tels Ernesto Neto, Tunga ou Marepe, sans chercher à faire de généralités ou à dresser un panorama. D’autant plus que ces artistes font souvent des installations ; ils ont besoin de s’approprier des lieux, de travailler directement in situ, ce qui est souvent incompatible avec une exposition de groupes.

Le patrimoine brésilien sera lui aussi à l’honneur...
Il nous a paru important de montrer deux éléments principaux de la richesse patrimoniale brésilienne. Tout d’abord, le Brésil indien – les Brésils indiens devrait-on dire puisqu’il y a 400 peuples encore en Amazonie –, avec l’exposition du Grand Palais [lire p. 17]. L’idée est de montrer que le patrimoine indien est extrêmement diversifié : de l’art de la plume à la céramique ou la peinture corporelle, des aspects finalement peu connus du public français. L’autre grand volet patrimonial est celui de l’art baroque brésilien avec la collection de Beatriz et Mário Pimenta Camargo, dévoilée au Musée des beaux-arts de Rouen à partir d’avril. Importé par les Portugais, le baroque est arrivé au Brésil avec un siècle de décalage par rapport à l’Europe, c’est un art de la fin XVIIIe et du début du XIXe siècle. Le mouvement a été transfiguré par les Brésiliens, qui lui donnèrent son ultime et sublime apogée. Cette capacité non pas à imiter mais à récupérer des influences pour les transformer en quelque chose de totalement différent est une constante de l’art brésilien.

À côté de cette richesse culturelle, le Brésil connaît aussi de graves inégalités sociales. Comment comptez-vous aborder ces questions ?
Ce n’est pas à nous de porter un jugement ou de donner des leçons sur la situation sociale. Le Brésil est un pays où 80 % de la population habite dans les villes, avec, pour les grandes métropoles, un phénomène de bidonvilles. Les favelas prennent une dimension quantitative considérable : les Brésiliens qui y vivent se comptent par millions. Nous allons essayer de montrer comment de nombreuses associations brésiliennes prennent ce problème à bras-le-corps et mettent en place quantité de manifestations culturelles, avec pour philosophie l’idée que la culture est un moyen de dynamisation de la société, de mixité sociale, de reconstruction des identités…

Il y a des leçons à tirer de la force de ces associations. La manière la plus simple de montrer leur travail sans condescendance reste d’exposer les œuvres produites. Par exemple, le chorégraphe Ivaldo Bertazzo a monté un spectacle, Samwaad – Rua do Encontro   [Samwaad – Rue de la rencontre], en faisant travailler les enfants à partir de danse gestuelle, qui sera monté dans différents lieux d’Île-de-France à partir de septembre. On pourrait citer encore Vincent Rosenblatt, qui a organisé un studio de photographie dans une des favelas de Rio pour que les habitants fassent leur propre reportage, ou encore la réalisation d’une maquette de favela élaborée par les habitants eux-mêmes avec des matériaux de récupération, qui sera présentée à l’automne au couvent des Récollets...

Quelles sont vos attentes pour cette année du Brésil ?
C’est évidemment l’interrogation qui nous taraude ! Mais c’est toujours difficile, à l’aube d’un événement, de prévoir ce qui va advenir. On a souvent des surprises. J’estime qu’on aura gagné la partie non seulement si les expositions ont du succès mais surtout si on voit plus souvent des artistes d’origine brésilienne dans les grandes expositions françaises. Que les programmateurs et conservateurs prennent l’habitude de tourner leur regard vers ce pays, pas seulement par exotisme. Pour pouvoir exporter la culture française, il faut pouvoir importer les cultures étrangères. Aujourd’hui avec la mondialisation, la France existe à l’étranger parce qu’elle reste accueillante avec les cultures étrangères. En accueillant le Brésil, nous œuvrons aussi pour l’exportation de la culture française. Il ne s’agit pas seulement d’honorer un pays mais de tisser des relations durables avec lui.

(1) Sergio Buarque de Holanda, Racines du Brésil, Gallimard, 1998 (éd. originale 1937), 360 p., 14 euros.
(2) Caetano Veloso, Vérité tropicale (autobiographie), publié en français sous le titre Pop tropicale et Révolution, Le Serpent à plumes, 1997 (éd. originale 1993), 418 p., 24 euros.
(3) Haraldo de Campos, Galaxies, La Main courante, 1998 (éd. originale 1963), 120 p., 14 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Jean-François Chougnet : « Tisser des relations durables »

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