Paroles d’artiste

Clemens von Wedemeyer

« Je m’intéresse aux conditions de groupe »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2006 - 785 mots

Le Centre d’art contemporain de Brétigny-sur-Orge (Essonne) présente jusqu’au 18 mars trois films de Clemens von Wedemeyer : Otjesd (2005),magnifique digression visuelle sur les effets de la planification urbaine ; Silberhöhe (2003), qui déplace dans une forêt berlinoise les conditions d’obtention d’un visa à l’ambassade d’Allemagne en Russie ; et Big Business (2002), remake d’un film de Laurel et Hardy tourné et joué par des détenus. L’exposition fut aussi le cadre du tournage d’un nouveau projet, Rien du tout, qui sera présenté lors de la prochaine Biennale de Berlin, du 25 mars au 28 mai. Clemens von Wedemeyer répond à nos questions.

Vous venez de tourner à Brétigny, en collaboration avec Maya Schweizer, Rien du tout, un film dont les acteurs sont des jeunes gens des quartiers alentour. Quel est le thème de ce film ?
C’est l’histoire d’une réalisatrice parisienne tournant à Brétigny un film qui se déroule au Moyen Âge. Elle cherche des acteurs et des figurants. Tout commence donc avec le casting, dans le théâtre du centre d’art, et devient une fiction à l’extérieur, sur le parking. C’est une histoire très courte, portant sur une journée d’une réalisatrice et d’une équipe de tournage. C’est aussi un propos sur le contraste entre le théâtre, où a lieu le casting, et le parking comme lieu de rencontre.

En quoi ce contraste est-il important ?
Nous cherchons à voir comment la fiction modifie l’énergie d’un tel processus. Dans le théâtre, il y a un début de « fictionnalisation ». Il se met en place une sélection et une division entre les gens. Ce système sort sur le parking, et le monde réel se change en fiction.

Pourquoi avoir tourné un film dans une banlieue française ?
Après l’invitation du Centre d’art, nous avons pensé que c’était une bonne idée d’y faire un film. La situation du parking comme lieu de rencontre pour les gens était très intéressante, et la possibilité de filmer dans un théâtre également. Et puis sortir de Paris était pour nous plus excitant que de faire quelque chose à Paris même.

Pourquoi avoir fait jouer des jeunes gens de Brétigny et non des acteurs professionnels ?
Deux acteurs professionnels jouent dans le film, mais nous voulions écouter des gens et savoir comment ils vivent. C’est plus enrichissant pour nous de connaître Brétigny en tant qu’exemple de petite ville.

Quel fut le comportement de ces jeunes gens pendant le tournage ?
Impeccable. Ils ont bien fait ce qu’ils devaient faire. Ils avaient tous un petit rôle à jouer et étaient très enthousiastes. Nous avons réussi à réunir des gens différents grâce à un casting à l’école ou en demandant à des passants dans la rue. Aller les chercher dans une cité était une autre option, mais cela aurait pris beaucoup plus de temps, et je pense que vous devez être introduit.

Un contexte social dur est toujours très présent dans vos films (la prison, les cités, les problèmes migratoires). On y ressent beaucoup de tensions. Pourquoi ?
Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je m’intéresse aux conditions de groupe, à comment les individus agissent au sein de groupes de différentes tailles, et comment ils réagissent dans certaines conditions. Par exemple, une prison est un endroit fermé, par une certaine société. Les individus doivent réagir à ces conditions, et alors cela se transforme en fait social. Pour certains, le social est lié au pouvoir.

Les relations de pouvoir vous intéressent-elles particulièrement ?
Pas particulièrement, mais, évidemment, c’est la pire relation dans le contexte social. Donc, parfois, oui, je m’y intéresse.

Cherchez-vous à représenter des tensions sociales ?
Oui, mais je ne veux pas les recréer. Elles existent déjà. Je veux montrer comment les conditions recréent des tensions sociales.

Quelles conditions ?
Par exemple, pour Big Business, un film et un making of sont diffusés en parallèle. Vous voyez dans quelles conditions est réalisé le film, mais aussi quel est le comportement social dans une prison.

Montrez-vous un making of en parallèle à tous vos films ?
Pas toujours. Tout le monde veut voir quelque chose de joli, mais veut aussi savoir pourquoi c’est joli. Parfois, c’est un making of qui le montre, parfois autre chose, comme un livre. Cela permet aussi donner un autre point de vue.

Souhaitez-vous jouer avec les catégories et les limites de la fiction et du documentaire ?
C’est très intéressant quand la réalité, ou ce que l’on appelle réalité, devient fiction ; mais aussi de voir comment la fiction change la réalité. Il est difficile de dire dans quelle catégorie se situent mes films. Je dirais dans un entre-deux.

CLEMENS VON WEDEMEYER. RIEN DU TOUT

Jusqu’au 18 mars, Centre d’art contemporain, Espace Jules-Verne, rue Henri-Douard, 91220 Brétigny-sur-Orge, tél. 01 60 85 20 76, www.cacbretigny.com, tlj sauf dimanche et lundi, 14h-18h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°232 du 3 mars 2006, avec le titre suivant : Clemens von Wedemeyer

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