Ventes aux enchères

Catherine Chadelat : « Préservons la singularité française »

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2014 - 1169 mots

Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires, engage les commissaires-priseurs à jouer collectif, oser de nouvelles stratégies et se développer à l’international.

Selon vous, comment se portent les commissaires-priseurs en France actuellement ?
Il ne m’appartient pas de répondre à leur place quelle que soit la connaissance que j’ai de cette profession. En revanche, l’observation économique continue à laquelle procède le Conseil des ventes volontaires (CVV) conduit à certaines constatations. Malgré la crise, le marché des enchères reste globalement le même dans ses résultats. Mais si l’on approfondit, le jugement est plus contrasté. Ce qui me frappe, c’est l’accélération des transformations structurelles et fonctionnelles : fort développement d’un marché non régulé mais de qualité moyenne ; internationalisation totale du marché régulé pour les ventes de prestige ; concurrence exacerbée face à une certaine raréfaction des vendeurs ; utilisation généralisée du net…
Il m’est bien difficile dans ces conditions de porter une appréciation générale. Mais ce qui m’inquiète, c’est que ces facteurs sont porteurs d’une certaine instabilité. Je ne sais pas ce que sera le marché des enchères dans dix ans. Déjà les pronostics sur les conséquences de la réforme de 2000 et la concentration des structures ont été déjoués. La singularité française sera-t-elle préservée ? Je le souhaite vivement mais, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je n’en suis pas absolument sûre. Je suis une inconditionnelle de la vente aux enchères. C’est la meilleure protection du consommateur, celle qui assure le plus de transparence et offre le plus de garanties, fixant objectivement le prix du marché. C’est un instrument extrêmement porteur dans son champ d’application comme le montre l’apparition de nouveaux secteurs : vintage, BD… Pourquoi pas demain les biens immatériels ? Et puis c’est un univers magique, un musée éphémère. Le marché français a de nombreux atouts : la diversité et la qualité des objets, un fort ancrage de la notion de collection, des compétences professionnelles, tant du côté des commissaires-priseurs que des experts, des restaurateurs… Il y a aussi l’attractivité de la France et je ne m’associe pas à cet égard, à ces critiques récurrentes et contre-productives sur la « surfiscalisation ». Les choses sont beaucoup plus nuancées. Dans ce contexte, je l’avoue, lorsque je m’adresse aux commissaires-priseurs, je leur dis « Allez-y », c’est plus que jamais le moment de relever le défi de la compétitivité française.

Drouot est en perte de vitesse, comment faire pour inverser la courbe ?
Drouot est un lieu mythique, unique au monde, une « marque » irremplaçable. Mais c’est un fait, depuis une dizaine d’années, la part de marché des opérateurs de Drouot recule. Je crois qu’il ne faut pas mélanger les choses. Drouot est une entreprise privée qui a comme vocation première d’offrir aux opérateurs parisiens un lieu de vente. La manière dont cette entreprise est gérée relève de la responsabilité de ses dirigeants et des associés qui la composent ; c’est à eux qu’il appartient d’apporter les changements qu’ils estimeraient souhaitables dans le fonctionnement de leur groupe. Tout autre est la question de la stratégie des utilisateurs de Drouot. D’abord je relève l’importance des ventes courantes à Drouot. Je constate ensuite, une tendance nouvelle dans la stratégie de certains opérateurs de disposer de leur propre lieu de vente. J’observe enfin que la concurrence est de plus en plus forte sur la place parisienne dans les ventes de prestige, ce qui nécessite des moyens accrus que seule une assise financière solide permet. C’est aux opérateurs parisiens de s’interroger sur ces évolutions quant à l’avenir de leur secteur à Paris, en France et à l’international.

Les commissaires-priseurs ont-ils intérêt à se regrouper ?
Le classement des « top 20 » français est parlant : les chiffres cumulés des maisons parisiennes dépassent celui de chacun des trois premiers du classement. Ces dernières observées isolément, le décrochement est en revanche sévère. Mais entre la fusion de structures et une approche individualiste de l’organisation du marché, il y a la place pour des stratégies coordonnées de maîtrise des coûts de fonctionnement et de développement. Je crois sincèrement que les opérateurs ne peuvent que gagner à jouer collectif. C’est ce que je dis aux jeunes commissaires-priseurs : « Au-delà des difficultés financières que vous affrontez pour vous installer : continuez à vous rencontrer, à débattre et mutualisez vos pratiques ».

Que pensez-vous de l’ouverture des opérateurs à l’international ?
Elle est essentielle dans la recherche compétitive d’objets de grande valeur comme l’art contemporain, peu représenté sur le marché français. Pour autant, lorsque l’occasion se présente, Paris sait rivaliser avec New York (je pense au Basquiat vendu en juin 2013).

Existe-t-il encore une réelle différence entre le marché de l’art à Paris et en province ?
Le clivage subsiste, mais les choses bougent. Traditionnel-lement, les opérateurs régionaux qui possèdent la double casquette volontaire et judiciaire ont un ancrage essentiellement local. Actuellement, grâce à Internet, se développent des stratégies nationales comme internationales particulièrement dynamiques. Des opérateurs parisiens ouvrent des antennes en région. Pourquoi pas l’inverse ? En tout cas, je suis convaincue de l’importance du maillage territorial. Il me paraît essentiel que les pouvoirs locaux considèrent les opérateurs de ventes comme une composante intégrale de leur politique culturelle.

Pensez-vous que les ventes de gré à gré vont se développer au détriment de la vente publique ?
Que n’entend-on à ce sujet ! Les antiquaires : « Elles vont tuer la profession ! », bon nombre de commissaires-priseurs : « Elles dénaturent notre vocation ». Ceci me laisse perplexe. S’il faut dépasser les jugements à l’emporte-pièce, il ne faut pas non plus se voiler la face : les ventes de gré à gré auront sur les ventes publiques l’influence que les commissaires-priseurs voudront bien leur donner. Pour ma part, je pense que ce type de vente doit être perçu comme un outil supplémentaire dans une optique de décloisonnement mené par les maisons de ventes à l’égard des acheteurs comme des vendeurs.

Internet est-il une opportunité ?
Pour moi, Internet est une évidence. Mais je l’avoue, je suis de l’ancienne école, je ne peux me passer du contact avec les objets et du plaisir d’assister à une belle vente. Bien sûr Internet est le moteur de la concurrence, notamment en ce qu’il démultiplie les acheteurs potentiels. Pour autant, les tentatives de ventes totalement dématérialisées dans le marché de l’art n’ont pas eu, à ce jour, le développement qu’espéraient les géants du Net.

Christie’s et Sotheby’s constituent-ils une menace pour les commissaires-priseurs français ?
Si tel était le cas, cela serait après tout une bonne chose car quand on est menacé, on a envie de se battre. Mais je crois que leur présence sur le territoire national depuis la réforme de 2000 est plutôt une chance pour la place de Paris car l’un comme l’autre se battent pour le développement de leurs ventes parisiennes. Leur stratégie a joué comme un aiguillon pour d’autres. En tout cas je m’insurge contre un raisonnement qui acterait une position irrémédiablement compromise pour les autres acteurs. Il faut oser des stratégies nouvelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Catherine Chadelat : « Préservons la singularité française »

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