Hans Holbein le Jeune

La quintessence du portrait

L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 1085 mots

Le musée Mauritshuis de La Haye consacre une rétrospective à l’un des plus grands peintres allemands, Hans Holbein le Jeune. L’exposition, axée sur les portraits, retrace à travers une sélection d’une vingtaine de peintures, trois miniatures et près de vingt dessins, l’itinéraire du peintre, ses rencontres avec d’éminentes personnalités politiques, militaires et intellectuelles ainsi qu’avec le roi Henri VIII qui l’honora comme peintre de la cour des Tudor.

Hans Holbein le Jeune est un citoyen européen avant la lettre. Originaire d’Augsbourg, il s’installe en 1519 à Bâle où il décore à grande échelle des édifices publics avec des scènes historiques peintes en trompe l’œil. Mais de ceci, il ne reste pratiquement rien. Demeurent surtout les portraits qui l’ont rendu célèbre. Érasme de Rotterdam (vers 1466/69-1536) en témoigne : « Holbein peint les gens de telle manière qu’ils semblent vivants. » L’artiste avait fait sa connaissance probablement chez l’imprimeur et l’éditeur Johannes Froben, dont la demeure était la plaque tournante des intellectuels du XVIe siècle. C’est une rencontre décisive pour eux. Le théologien hollandais, alors âgé d’environ cinquante-sept ans, avait trouvé son peintre et Holbein, âgé de vingt-six ans, son esprit tutélaire. Érasme allait lui ouvrir la porte de ses amis, qui furent des clients potentiels pour Holbein. Dans un autre témoignage, une lettre adressée le 3 juin 1524 à l’humaniste Willibald Pirckheimer de Nuremberg, Érasme relate : « Je viens d’envoyer en Angleterre deux de mes portraits peints par un noble artiste qui a [déjà] emmené en France un autre portrait de moi. »
Depuis peu les grands bourgeois, personnalités politiques et humanistes de renom se font faire leur portrait ce qui, auparavant, était un privilège réservé surtout à la classe aristocratique. Néanmoins ils s’exposent dans une attitude réservée. Ainsi, le portrait d’Érasme du musée du Louvre où il se montre debout en train d’écrire, comme dans beaucoup d’autres versions. Son profil se découpe devant le rideau et la boiserie, cet arrière-plan fermé étant typique d’Holbein. Le format du portrait, grandeur nature, impose une certaine distance, le déchiffrage des lignes manuscrites exige par contre que le spectateur s’approche de très près. Rappelons l’inscription sur la médaille d’Érasme par Quentin Massys en 1519 : « La meilleure image sera donnée par les œuvres écrites. » Ainsi l’écriture, sous forme de lettre, de cartellino ou bien d’inscriptions sur la toile elle-même, est omniprésente dans l’œuvre d’Holbein. Ce qui est symptomatique de cette nouvelle société de l’écrit, jugé indispensable par le protestantisme.
Un autre exemple est le Portrait de Robert Cheseman qui a été restauré récemment. C’est l’un des quatre tableaux appartenant au musée Mauritshuis, la majorité des autres tableaux exposés étant des prêts. Le gentilhomme, présenté à mi-corps, la tête tournée de trois quarts, occupe tout le champ de l’image ; il porte un faucon. Regard lointain, bouche fermée, il dégage une présence étonnante. Holbein a rendu avec minutie le plumage bigarré, la fourrure du manteau brun, la soie rose chatoyante du chemisier ainsi que la pigmentation de la chair. Cependant, une inscription en latin traverse le personnage au niveau du visage et brise l’illusion picturale, précisant le nom et l’âge : Robertus Cheseman,  quarante-huit ans, ainsi que la date d’exécution du tableau : 1533. En outre, la verticale du corps et l’horizontale de l’inscription forment une croix. Deux conceptions de l’espace s’opposent, dont l’une avec l’inscription renvoie au caractère commémoratif et au temps ; l’autre, tridimensionnelle construit la représentation picturale et plastique de la personne.

Un dessinateur hors pair
Dans le domaine du dessin Holbein excelle par l’économie avec laquelle il saisit la physionomie humaine en quelques traits. C’est pourquoi il fut un artiste « moderne » qui ne cherchait pas à idéaliser mais captait le caractère de ses personnages. Tel le dessin à la pierre noire et aux craies de couleur, caractéristique des dessins de sa première période anglaise (1526-1528), représentant Thomas More méditatif et qu’Holbein effectua lorsqu’il habitait chez lui à Chelsea. Exceptionnelles dans cette exposition sont les juxtapositions des dessins préliminaires et des portraits à l’huile sur bois comme ceux de Jeanne Seymour. Dame d’honneur de la première et de la deuxième épouse d’Henri VIII, Catherine d’Aragon et Anne Boleyn, elle deviendra dix jours après l’exécution de cette dernière la troisième épouse du roi. Ce dessin au crayon noir et de couleur, à la plume, à l’encre et à la pointe de métal, sur papier à fond rose appartient à la seconde période anglaise (1533-1543). Il permet de comprendre le processus de travail d’Holbein. D’une main déterminée, il circonscrit le volume du buste et les traits du visage. Il cerne la figure par les contours, d’une manière quasiment géométrique avec très peu de modelé. Présenté de trois quarts, la reine porte une coiffe à l’anglaise et elle est parée d’un ruban de brocart d’or. Seuls le ruban, ses lèvres de ton rose et ses yeux bleus sont colorés, ce qui surprend et donne au dessin un caractère volontairement inachevé, qualité que l’on retrouve dans bien d’autres dessins. La version finale, le tableau de Vienne impressionne par la richesse des habits ornés d’or, de perles et de pierres précieuses et peints avec une extrême précision. Il est même probable que le pendentif du collier ait été réalisé par Holbein lui-même, qui inventa de nombreux bijoux pour le roi Henri VIII. La comparaison avec le portrait en miniature d’Elizabeth, Lady Audley, montre davantage encore la délicatesse de la peinture d’Holbein appliquée par petites touches dans des couleurs très délicates, détrempées à l’eau sur vélin, technique proche de l’enluminure.
Une des pièces maîtresses de l’exposition est la Madone de Darmstadt. C’est une commande du maire Jacob Meyer zum Hasen pour sa chapelle privée qui nous reconduit à Bâle en 1526. Il s’agit de l’un des rares tableaux religieux qui a survécu à la vague iconoclaste de 1529, déferlant sur les pays nordiques. D’une monumentalité étonnante, la Madone est représentée protégeant la famille du maire avec ses deux fils et ses épouses successives ainsi que sa fille Anna sous son manteau. Cet autel est peint avec un réalisme d’une extrême exactitude, si caractéristique d’Holbein, comme aussi son goût pour les détails déroutants, ainsi le tapis ondulant qui intrigue encore aujourd’hui les historiens d’art.

L'exposition

« Hans Holbein 1497/98-1543 », se tient du 16 août au 16 novembre, tous les jours de 10 h à 17 h ; plein tarif 12,5 euros, gratuit pour les moins de 19 ans. Musée Mauritshuis, Korte Vijverberg 8, 2501 CM La Haye, Pays-Bas, tél. 00 31 0 70 302 34 35, www.hansholbein.nl, www.mauritshuis.nl

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Hans Holbein le Jeune

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