Art moderne

XXE SIÈCLE

René Iché, le sculpteur hanté par la guerre

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2024 - 548 mots

Artiste d’une grande notoriété de son vivant, le sculpteur est redécouvert après plus d’un demi-siècle d’oubli.

René Iché (1897-1954), Lutteurs aux jambes coupées, 1942, bronze, collection privée. © Alain Leprince / Roubaix, Musée La Piscine © Adagp Paris 2024
René Iché (1897-1954), Lutteurs aux jambes coupées, 1942, bronze, collection privée.
© Alain Leprince / Roubaix, Musée La Piscine
© Adagp Paris 2024

Albi (Tarn). Pour le 70e anniversaire de sa mort, l’Occitanie se devait de lui rendre hommage : le sculpteur René Iché (1897-1954) était un Audois et son monument à Jean Bringer et aux résistants de la Montagne noire (dit aussi monument à la Résistance de l’Aude, 1948) témoigne de son attachement à Carcassonne. Il y eut cependant une autre raison pour que le Comité Bringer passe cette commande à René Iché : il avait été un résistant très actif pendant la Seconde Guerre mondiale après avoir devancé l’appel lors de la Première Guerre mondiale. Son attitude héroïque lui avait valu plusieurs citations et il fut blessé et gazé en 1918.

Mais l’ancrage territorial et les qualités humaines ne suffisent pas à justifier une exposition de plus de 100 œuvres. Si Fanny Girard, directrice du Musée d’Albi, lui a ouvert son bel espace, c’est surtout parce que René Iché est l’un de ces artistes figuratifs du XXe siècle que l’histoire de l’art a injustement occultés, jusqu’aux recherches menées depuis vingt ans par sa petite-fille, l’historienne de l’art Rose-Hélène Iché. Pourtant, il fut en 1953 le premier sculpteur récompensé d’un Grand Prix des beaux-arts de la Ville de Paris et, à sa mort en 1954, il venait de recevoir du gouvernement polonais la commande du monument aux Martyrs d’Auschwitz.

Des sujets inspirés par sa famille

Le parcours débute par sa famille : on y découvre notamment Laurence (Portrait de Laurence ou Buste de fillette, avant 1934), fille de Renée, elle-même mannequin chez Poiret (de son nom de naissance Rosa Achard), devenue le modèle d’Iché en 1923 et épousée en 1928. Laurence, reconnue par Iché en 1932, sera le modèle de Contrefleur (1933), nu réaliste d’une adolescente de douze ans. Pour Laurence et Hélène, née en 1930 de son union avec Renée, l’artiste sera attentif et aimant. Ayant observé un père et son petit garçon sur une plage, il a sculpté le magnifique groupe Homme et enfant (dit aussi Père et fils ou Paternité, 1925), sujet rare qu’il reprendra en 1940 dans un bloc de diorite offert par Fernand Léger.

La guerre a laissé chez lui des traces indélébiles. Lutteurs (1923) évoque le corps-à-corps des combats. Après le bombardement de Guernica, Iché fait poser sa petite Hélène pour une sculpture montrant une enfant réduite à l’état de squelette, mais toujours debout (Guernica, 26 ou 27 avril 1937). Ce plâtre ne sera exposé de son vivant qu’une fois, en 1940. Engagé pendant la Seconde Guerre mondiale dans le réseau de résistance du Musée de l’Homme, il sculpte Déchirée (1940-1942), une statuette de femme symbolisant le pays divisé. Il la fera parvenir au général de Gaulle, à Londres, à Noël 1942. Dans des poses un peu différentes reviennent le hanter les Lutteurs (1942, 1943), motif qui sera encore repris pour le monument de Carcassonne, puis il renoue avec son expérience des tranchées pour Homme succombant sous le poids de son cadavre (avant 1950). Si les œuvres militantes que sont Déchirée et Jeanne d’Arc (1942) peuvent aujourd’hui sembler datées, celles qui dénoncent la violence et la guerre – citons encore Viol (1945) ou le Groupe des otages pour le monument de Puiseaux (1947) – sont d’une grande force.

René Iché. L’art en lutte,
jusqu’au 30 juin, Musée Toulouse-Lautrec, palais de la Berbie, place Sainte-Cécile, 81000 Albi.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : René Iché, le sculpteur hanté par la guerre

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