Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

Quand les singes devinrent nos cousins

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 28 janvier 2021 - 828 mots

PARIS

Explorant les rapports de l’art et de la science au XIXe siècle, « Les origines du monde », présentée au Musée d’Orsay, montre les changements de perception de la nature dans la société en général et chez les artistes en particulier.

Paris. Une fois n’est pas coutume : c’est un animal naturalisé, l’éléphante Parkie, qui, au Musée d’Orsay, indique l’entrée de l’exposition « Les origines du monde ». Arrivée en 1798 avec un mâle du même âge à la ménagerie du Jardin des plantes de Paris, elle y a fait, jusqu’à sa mort en 1817, le bonheur des nombreux visiteurs qui se sont attachés à elle, étonnés de son intelligence et touchés par sa douleur lors de la mort de son compagnon de captivité, Hans. L’histoire de Parkie, reconnue comme douée de sensibilité, fait figure de charnière dans les mentalités. Un univers où tout découlait de la Volonté divine s’est effondré sous les coups de boutoir des Lumières ; le nouveau siècle se tourne désormais vers l’observation et la science pour comprendre la nature. En 1859, Charles Darwin publie L’Origine des espèces qui lance la théorie de l’évolution, et les artistes accompagnent le mouvement.

Caïn (1880), le grand tableau de Fernand Cormon (1845-1924), ne figure pas dans l’exposition mais on peut le voir à l’étage supérieur du musée. Le peintre y traite un épisode biblique (l’errance éternelle de Caïn et de sa tribu) sous la forme d’une scène préhistorique. En 1879 ont été découvertes les peintures paléolithiques de la grotte d’Altamira, en Espagne. Ce ne sont plus les livres sacrés qui racontent l’histoire du monde mais les anthropologues, les préhistoriens et les archéologues. Tout le reste de sa vie, Cormon peindra des « tableaux préhistoriques ». Son contemporain, Paul Jamin (1853-1903) n’est pas en reste avec Rapt à l’âge de pierre (1888) ou La Fuite devant le mammouth (1885). En 1902, František Kupka (1871-1957) aborde le sujet avec dérision dans son aquarelle Anthropoïdes .

Fascination pour les primates

Connus dès la fin du XVIIIe siècle, les mammouths excitent l’imagination : c’est ce mammifère que sculpte un homme du paléolithique représenté par le sculpteur Paul Richer (1849-1933) dans Premier artiste (1890). Mais ce sont tous les animaux qui deviennent sujets d’étude à la lumière de l’évolutionnisme. Dès 1800, des artistes férus de paléontologie s’attachent à montrer des dinosaures et, en 1854, Benjamin Waterhouse Hawkins aménage un parcours dans le sud de Londres où sont présentées trente-trois sculptures de ces vertébrés en taille réelle. Les primates fascinent par leur proximité avec l’être humain. Inspiré par les théories de l’évolutionniste Ernst Haeckel, Gabriel von Max (1840-1915), qui vit avec des singes, en peint des portraits pleins d’empathie.

Dès le milieu du XIXe siècle, les progrès techniques permettent d’accéder au monde sous-marin et à ses mystérieux habitants. Déjà, Charles Alexandre Lesueur (1778-1846), qui avait participé à l’expédition aux Terres australes commandée par Nicolas Baudin, de 1802 à 1804, avait peint les méduses dont son compagnon de voyage, le naturaliste François Péron, avait établi la classification. Cependant, ces aquarelles d’une immense poésie ne seront connues que bien plus tard. Inventés dans les années 1830 par la naturaliste française Jeanne Villepreux-Power, les aquariums sont à la mode dès les années 1850. Le diplomate autrichien Eugen von Ransonnet-Villez (1838-1926) se fait construire une cloche étanche pour pouvoir peindre les fonds marins ( Paysage sous-marin, 1864) et, pour l’Exposition universelle de Paris de 1867, deux aquariums marins sont construits de telle manière que le public puisse circuler à l’intérieur. Cette fascination donnera également naissance à des œuvres d’arts décoratifs de toute beauté, tel le Vase La Mer (vers 1912) d’Eugène Feuillâtre (1870-1916). Inspiré par les illustrations du livre d’Ernst Haeckel Kunstformen der Natur (1899-1904), montrant la beauté naturelle des animaux marins et même des êtres unicellulaires, le sculpteur Constant Roux (1865-1942) dessine en 1910 pour le Musée océanographique de Monaco des luminaires reprenant leurs formes (Lustre radiolaire, 1910).

Cauchemars et monstres

Dans cette exposition riche de 250 œuvres, la commissaire générale, Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, a donné une place à la face sombre de cette découverte de la nature, celle des cauchemars et des monstres. Dès la fin des années 1850, le sculpteur Emmanuel Fremiet (1824-1910) représente des singes assassins et violeurs, sujet auquel il reviendra toute sa vie. Il modèle un Gorille enlevant une femme (1893), thème repris par Alfred Kubin (1877-1959) dans son dessin Le Singe (vers 1903-1904). Une section consacrée aux « Hybrides et chimères » révèle la poésie des monstres du sculpteur Jean Carriès (1855-1894) et des créatures fantastiques d’Alfred Kubin et d’Odilon Redon (1840-1916). Ce dernier publie en 1883 un album lithographique intitulé Les Origines. La question des origines du vivant inspire les artistes, à l’exemple de Gustave Courbet (1819-1877) qui estimait, comme Darwin, que la beauté est liée au sexe et dont est présentée L’Origine du monde (1866). En épilogue, Pouvoir aveugle (1932-1937) de Rudolf Schlichter (1890-1955) rappelle que le darwinisme, qui a donné lieu à une riche créativité, a également été dévoyé par une idéologie totalitaire mortifère.

Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXe siècle,
jusqu’au 2 mai, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : Quand les singes devinrent nos cousins

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