Archéologie

« Pompéi », ou l’éruption audiovisuelle

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 2020 - 900 mots

L’exposition du Grand Palais mise tout sur l’immersif pour attirer le grand public, au détriment du contenu, ici répétitif et simpliste. L’histoire de la cité comme la restitution des découvertes archéologiques récentes y sont escamotées.

Toutes les quinze minutes, le « ciel » du salon d’honneur du Grand Palais s’obscurcit, un grondement enveloppe les visiteurs, et les silhouettes qui reconstituent la vie sur les murs de la « rue » se figent. Au centre de cette Pompéi factice, un panache de cendres sorties des entrailles du Vésuve projette son ombre assassine et se métamorphose rapidement en une nuée ardente qui plonge la scénographie dans les ténèbres. Un peu trop rapidement peut-être ? Lors de l’éruption du volcan le 24 août 79 (ou en octobre de la même année, comme le suggèrent de récentes découvertes), il s’est écoulé en effet plusieurs dizaines d’heures avant que la colonne de cendres ne s’effondre sur la cité d’Herculanum, puis de Pompéi. Ce petit arrangement avec la réalité historique peut être pardonné face à l’efficacité du dispositif son et lumière, véritable attraction dans l’exposition. Mais il reste symptomatique de la faiblesse de cette « exposition événement », frugale en objets et avare en contenus, où tous les efforts ont été concentrés sur des effets de manche.

Des trouvailles peu explicitées

Organisé en quatre « domus » réparties le long d’une rue reconstituée par des projections vidéo et une ambiance sonore, le parcours relativement réduit de l’exposition met en scène un propos qui prétend pourtant à l’exhaustivité. Histoire des lieux, vie quotidienne, histoire de la découverte archéologique, étude de l’habitat, les thématiques se succèdent sans transition et sont traitées de manière expéditive. Les expositions d’archéologie les plus efficaces sont souvent celles qui resserrent leur propos autour d’une découverte ou d’une thématique, vulgarisant un discours scientifique précis d’une manière qui pourra rester en mémoire. Au Grand Palais, la promesse alléchante d’un parcours organisé autour des avancées archéologiques les plus récentes sur le site n’est tenue que dans une seule des quatre salles d’exposition.

Dans cette « Domus III » sont présentées les trouvailles faites dans la « région V » du site archéologique, fouillée depuis 2018 et où la maison au Jardin et la maison d’Orion ont été mises au jour. Deux édifices si riches – en découvertes historiques comme artistiques – qu’ils auraient pu porter tout le propos de l’exposition. Dans la première, les fouilleurs ont révélé l’inscription qui a fait frissonner le monde de l’archéologie en indiquant une datation de l’éruption postérieure au 24 août, jusqu’ici communément admise. Les fresques qui y ont été mises au jour rivalisent d’originalité avec la mosaïque retrouvée dans la maison d’Orion, laquelle présente un thème iconographique stellaire jusqu’alors inconnu. Ces fouilles ont été menées par le professeur Massimo Osanna, directeur du site, désormais directeur général des musées italiens, et également commissaire scientifique de cette exposition. La brièveté du compte rendu ici de ces découvertes a pourtant de quoi décevoir quelque peu le visiteur.

Le sujet de l’exposition ne serait peut-être pas tant les avancées des archéologues sur le site que les progrès technologiques de l’entreprise Gedeon Programmes, spécialiste français de la production de contenus audiovisuels culturels, pour la télévision comme pour les musées. Coproductrice de l’exposition, Gedeon signe une mise en scène aussi réussie qu’envahissante de la rue pompéienne, ainsi que de l’éruption du Vésuve. Cet enrobage immersif se double de dispositifs exclusivement audiovisuels, à l’exception d’une maquette. La vidéo, d’ordinaire outil de médiation parmi d’autres, occupe toute la place, cantonnant le visiteur à une attitude passive et le plongeant dans une ambiance sonore cacophonique. Répétitives, les vidéos reprennent parfois des informations déjà lues sur les cimaises. Quel bénéfice y a-t-il alors à se déplacer jusqu’au Grand Palais, lorsqu’en mars dernier Gedeon diffusait sur France 5 peu ou prou le même contenu dans un excellent documentaire ? Dans la dernière salle, une projection des fresques pompéienne façon « Atelier des Lumières » offre un moment de répit au visiteur, sans toutefois pallier la faiblesse générale du propos.

Les artefacts dévalorisés

Si la vidéo est omniprésente, les objets archéologiques sont relégués au second plan de cette exposition. Une vitrine transversale, au milieu de la rue principale, présente une douzaine d’artefacts qui ont pour seul trait commun leur origine pompéienne. Comme dans le parcours, on saute de thématique en thématique, chacun des trésors présentés ayant à charge de résumer en peu de mots un pan entier de l’histoire antique. Lorsque l’objet est mis en valeur, c’est pour servir une scénographie spectaculaire, au détriment de sa signification historique : installée sur la place centrale de cette ville reconstituée, la statue de Livie devient une sculpture publique, quand elle est sur le plan historique un objet de dévotion privée retrouvé dans la villa des Mystères. Quant à l’étonnante fresque représentant Vénus sur un char tracté par des éléphants, elle méritait peut-être une autre place que ce mur sombre jouxtant la sortie.

La faiblesse de cette scénographie est de considérer les dispositifs audiovisuels comme aptes à stimuler – selon les textes de présentation – « ces deux moteurs psychologiques fondamentaux que sont l’émotion et la compréhension », lorsque l’objet archéologique a précisément cette vertu de convoquer les deux simultanément. Sous l’amphithéâtre dressé en face du Vésuve, d’où le visiteur est devenu, faute de mieux, spectateur de sa désormais troisième éruption volcanique, un recoin abrite le moulage en béton d’une des victimes de la nuée ardente. Une armée de projecteurs peut-elle vraiment remplacer l’émotion suscitée par l’évocation d’une dépouille humaine ?

Pompéi. Promenade immersive, trésors archéologiques, nouvelles découvertes,
jusqu’au 2 novembre, Grand Palais, salon d’honneur, square Jean-Perrin, av. du général Eisenhower, 75008 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : « Pompéi », ou l’éruption audiovisuelle

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