Art moderne

XXE SIÈCLE

Nicolas Eekman (1889-1973), un peintre très flamand

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 28 mai 2024 - 713 mots

Connu surtout pour ses estampes, ce grand coloriste est aussi l’auteur de peintures humanistes et fantastiques inspirées des maîtres du Nord.

Nicolas Eekman (1889-1973), Cavalcade, 1965, huile sur toile marouflée sur bois Paris, collection particulière © Cédric Arnould © Adagp Paris 2024
Nicolas Eekman (1889-1973), Cavalcade, 1965, huile sur toile marouflée sur bois Paris, collection particulière.
© Cédric Arnould
© Adagp Paris 2024

Cassel (Nord). Il est né à Bruxelles, dans l’appartement du 4, place des Barricades où Victor Hugo a souvent séjourné. Sans doute l’aura du poète français est-elle apparue au petit Nicolas Eekman (1889-1973) car ce Néerlandais profondément attaché aux maîtres flamands de la peinture a choisi de passer en France presque toute sa vie. Passionné dès son adolescence par Vincent Van Gogh, c’est à Nuenen (Pays-Bas) qu’il s’installe pendant la Première Guerre mondiale, au presbytère de son ami le pasteur socialiste et pacifiste Barthélemy « Bart » de Ligt. Nuenen est la petite ville dans laquelle le père de Van Gogh était pasteur et Eekman y occupe la chambre du peintre.

Pourtant, lorsque Cécile Laffon, co-commissaire avec Emmanuel Bréon de l’exposition de plus de 80 œuvres, a établi un pendant à son Autoportrait (vers 1920), elle n’a pas choisi un portrait de Hugo ou de Van Gogh, mais son estampe Don Quichotte blessé (1965) : « Sa carrière est très proche de l’histoire de Don Quichotte. Il est né à la mauvaise époque, celle où tous les courants tendent plus ou moins à la suppression de la figure et à l’abstraction. Et lui y est farouchement opposé. » Tout au plus s’essaye-t-il un moment à un cubisme modéré avec Le Chasseur en hiver (1929), l’une des œuvres offertes par sa fille, Luce, au Musée La Piscine à Roubaix.

Soucieuse de réinscrire le travail de son père dans la lignée flamande à laquelle lui-même se rattachait, Luce Eekman a effectué des donations de dessins, d’estampes et d’huiles à plusieurs musées du département du Nord : La Piscine, le Musée du dessin et de l’estampe originale de Gravelines (qui prête plusieurs de ses gravures) et le Musée de Flandre, donataire de 32 œuvres entre 2020 et 2023, toutes présentées dans le parcours.

Si des estampes sont entrées du vivant de l’artiste dans les collections publiques françaises, il n’en est pas de même de ses huiles. Le Centre Pompidou possède une seule toile, datée de 1937 et achetée en 1938.

Dans la première salle de l’exposition, une petite reproduction des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh est associée à l’huile sur bois Le Messager (1943), réminiscence du séjour d’Eekman à Nuenen. Pendant la Seconde Guerre mondiale, cet ami de Piet Mondrian, Max Ernst, Fernand Léger et Marc Chagall, installé en France depuis 1921 et connu pour ses idées socialistes et sa proximité avec la Résistance, a retrouvé l’influence de Van Gogh pour donner sa vision du monde rural.

Les grands maîtres pour modèle

La suite du parcours montre d’autres inspirations : Hieronymus Bosch et Pieter Brueghel l’Ancien, ainsi que James Ensor. Sur toile mais aussi sur bois, en reprenant les gestes de la Renaissance flamande – préparation d’un fond à la colle et au blanc de Meudon, poli avec soin, et peinture en multiples glacis dont la transparence laisse passer la lumière du fond –, ce grand coloriste et virtuose de la composition (il était architecte de formation) a trouvé chez Brueghel un langage lui permettant d’exprimer son humanisme : « Pas d’art s’il n’est pas à visage humain » était son mantra. Le Quatuor de la zone (1945) reprend la composition de La Parabole des aveugles pour une œuvre d’espoir : une jeune fille, symbole d’un avenir meilleur, écoute de pauvres musiciens. Cette veine donne aussi naissance aux illustrations de La Légende de Till L’Espiègle (1947), personnage auquel il s’est beaucoup identifié.

À partir des années 1950, il développe une veine fantastique, adaptant les créatures hybrides et les symboles de Bosch à un surréalisme très personnel. En mai 1968, il est du côté des étudiants et semble donner, dans Poissons volants [voir ill.], sa vision désabusée du mouvement : un personnage goguenard attrape dans une épuisette les poissons figurant les paroles émises par un haut-parleur surplombant la foule des manifestants.

Chaque œuvre peut ainsi être interprétée, mais Eekman disait laisser libre cours à son imagination sans vouloir faire passer de message précis. Il s’agissait plutôt de saisir la présence des choses invisibles, comme autrefois l’âme de Hugo et de Van Gogh : « Je suis arrivé au fantastique parce que tous les objets dégagent une aura qu’il faut tâcher d’atteindre. »

Le Monde fabuleux de Nicolas Eekman,
jusqu’au 8 septembre, Musée de Flandre, 26, Grand’ Place, 59670 Cassel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Nicolas Eekman (1889-1973), un peintre très flamand

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