Art contemporain

Louise Hervé & Chloé Maillet, une autre histoire de la performance

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 15 février 2018 - 549 mots

IVRY-SUR-SEINE

Le Crédac donne « carte blanche » au duo d’artistes qui s’est fait connaître par de réjouissantes performances mêlant récits historiques et éléments de fiction.

Louise Hervé et Chloé Maillet, <em>L’un de nous doit disparaître, 2012-2018, Fils du peuple (1949) de Maurice Thorez</em>. Illustrations exécutées par le donateur Charles Rouquet, Section Cahors. Fonds Thorez-Vermeersch/Archives municipales Ivry-sur-Seine.
Louise Hervé et Chloé Maillet, L’un de nous doit disparaître, 2012-2018, Fils du peuple (1949) de Maurice Thorez. Illustrations exécutées par le donateur Charles Rouquet, Section Cahors. Fonds Thorez-Vermeersch/Archives municipales Ivry-sur-Seine
Photo André Morin
© Le Crédac

En invitant Louise Hervé & Chloé Maillet à concevoir une exposition en ses murs, le Crédac s’attelle à une tâche difficile. Comment en effet exposer la performance, un médium au cœur de la pratique de ces deux artistes ? La question n’est pas ouvertement posée, mais ces dernières formulent néanmoins une manière de réponse en forme de mise en abyme. À partir d’un film particulièrement réussi réalisé en montant des séries de leurs propres performances, elles en proposent une histoire alternative et subjective. Intitulé Spectacles sans objet, ce film nous plonge dans des réflexions sur le théâtre à l’époque révolutionnaire et nous met en présence d’épisodes un peu oubliés de l’histoire des révolutions depuis 1790. Sont ainsi reconstituées les fêtes de la Fédération conçues par le peintre Jacques Louis David au cours desquelles la population était conviée à jouer son propre rôle.

Suit un épisode de la « Secte des Barbus », où de jeunes idéalistes préromantiques envisagent l’art au cœur de la Révolution et se réinventent au quotidien en portant tel un idéal de beauté le costume grec primitif. Vient ensuite l’épisode « sectaire » des saint-simoniens. En 1832, les « hommes nouveaux », conscients de l’échec de la Révolution, décident de la mettre en scène plutôt que d’attendre son avènement. La population assiste au quotidien au spectacle de l’égalité hommes-femmes et du partage des tâches subalternes propres à la vie future idéalisée. Au cours d’une performance intitulée Le Phalanstère de Mars, on apprend par ailleurs qu’au milieu du XIXe siècle, les fouriéristes se trouvent en impasse de projet révolutionnaire. Ces derniers se tournent alors vers le spiritisme afin de rentrer en communication avec la civilisation socialiste idéale qui se situe sur Uranus…

Ces épisodes retracent une sorte d’histoire des gauches articulée à une pratique performative, quitte à prendre des détours inattendus. Si le terme « performatif » est ici anachronique, il n’en souligne pas moins le caractère émancipatoire de ces pratiques.

L’objet, vecteur de la performance
Dans une deuxième partie de l’exposition, « La Salle sans nom », les artistes ont réuni un ensemble d’objets. On croise des presse-papiers ayant appartenu à [l’ancien secrétaire général du PCF] Maurice Thorez (qui a été député d’Ivry), son livre Le Fils du peuple (1937), des fragments de marbre au sol, un parallélépipède de béton sur des rondins de bois… Ces éléments sont les supports des performances qui se dérouleront pendant la durée de l’exposition. La pratique performative des artistes repose en effet sur une démarche anthropologique au cœur de laquelle se situe l’objet. Vecteur de processus narratif, celui-ci plonge le visiteur dans le temps de civilisations passées, autant qu’il se prête aux projections de nature « science-fictionnelle ».

Pourquoi dès lors avoir choisi de rendre cette « Salle sans nom » inaccessible en dehors des heures de performance ? En attendant l’activation des pièces par leurs interprètes, l’autonomie laissée au visiteur devant des pièces intrigantes permet de rejouer cette réflexion sur les processus émancipateurs, au sein même du musée. Car ce que dessine en filigrane ce projet autour de la performance, c’est paradoxalement une hypothèse d’usage du musée, à savoir un lieu dans lequel transcender les contingences à la conjonction du réel, des objets et des capacités du regardeur à imaginer.

informations

Louise Hervé & Chloé Maillet, L'Iguane,
jusqu’au 25 mars, Centre d’art contemporain d’Ivry-Le Crédac, la Manufacture des œillets, 1, place Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°495 du 16 février 2018, avec le titre suivant : Louise Hervé & Chloé Maillet, une autre histoire de la performance

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque