Europalia India

L’Inde au-delà des clichés

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 724 mots

La 24e édition du festival belge Europalia est aussi protéiforme que les avatars du dieu Vishnou. Plongée radicale dans un continent « autre ».

BRUXELLES - L’Inde fascine autant qu’elle effraie. Le voyage n’est jamais anodin, encore moins « tiède ». C’est donc dans un esprit d’ouverture intellectuelle et sensorielle qu’il faut aborder les quelque 400 événements déclinant, le temps du festival belge Europalia, les mille et une facettes de cette civilisation multimillénaire. Des concerts de musique traditionnelle aux spectacles de danse, des projections de films aux conférences sur la littérature, l’immersion devrait être totale. Présentées aux Palais des beaux-arts de Bruxelles (ou « Bozar »), deux expositions phares attirent les regards : la première explore le corps comme projection mentale et pivot central de toutes les religions, la seconde traite de la fascination durable exercée par cette terra incognita des moussons sur les voyageurs et les artistes occidentaux. Riche programme !

Conçue par le grand historien de l’art indien Naman Ahuja, l’exposition « Corps de l’Inde » convie ainsi le visiteur à partager une expérience aussi érudite que conceptuelle. Divisé en huit chapitres introduits par des textes courts et inspirés, le propos farouchement subjectif peut néanmoins dérouter quelque peu le néophyte. Transcendant les cultures et les religions, mixant les matériaux, les styles et les époques, le parcours fait ainsi cohabiter des pièces d’art tribal (masques ou bijoux) avec des miniatures mogholes ou des sculptures de temples hindous. Mais loin d’être une simple illustration des différentes représentations du corps dans l’art indien (les chefs-d’œuvre abondent cependant !), l’exposition appréhende de façon très subtile la manière dont les différents courants de pensée indiens ont modelé, pensé, imaginé, contraint ou libéré le corps. Des bas-reliefs aniconiques du Bouddha (figuré de façon allusive par des empreintes de pies) aux sculptures de divinités hindoues parées d’une multitude d’attributs et de bras, en passant par les courbes sensuelles des nymphes célestes des temples de Khajurâho, les solutions plastiques et spirituelles semblent infinies…

Rembrandt et l’art moghol
Tout aussi foisonnante et ouverte apparaît l’exposition « Indomania ». Fruit de la double culture de son commissaire (Deepak Ananth est un historien de l’art indien vivant à Paris), cette vaste fresque narre à travers plus de 200 pièces la richesse – insoupçonnée – des liens tissés entre les artistes occidentaux et le subcontinent. Accueilli dans une ambiance de cabinet de curiosités (l’Inde est, depuis le XVIe siècle, cette terre opulente qui pourvoit en épices, en textiles et en pierres précieuses les cours européennes), le visiteur découvre ainsi des face-à-face pour le moins surprenants, tels ces portraits à l’encre de Rembrandt inspirés de miniatures mogholes, ou ce dessin saphique de Rodin qui affectionnait, semble-t-il, l’érotisme des sculptures indiennes. Musiciens (de Wagner aux Beatles), photographes (de Cartier-Bresson à Werner Bischof), cinéastes (de Pasolini à Rosselini en passant par Renoir) et architectes (l’aventure de Le Corbusier à Chandigarh est immortalisée ici par les superbes clichés de Lucien Hervé) succomberont, à leur tour, aux innombrables séductions de l’Inde.

Méditation

Une fascination loin d’être éteinte dans la seconde moitié du XXe siècle, comme le montre, de façon un peu trop rapide, la dernière partie de l’exposition. On y découvre ainsi l’attirance quelque peu superficielle des jeunes hippies des années 1960 pour la médecine ayurvédique, le yoga et le tantra, des techniques de méditation dont ils ne saisissaient pas toujours la profondeur spirituelle. Plus intéressantes semblent les expériences esthétiques tentées en milieu indien par des artistes comme Robert Rauschenberg, Keith Sonnier ou Richard Long.

Pour clore en beauté cette odyssée, un petit conseil : oubliez le temps occidental et immergez-vous dans la vidéo réalisée en 2013 par le Bruxellois Hans Op de Beeck, dans un petit village du sud de l’Inde. Une parenthèse de grâce et de poésie, loin des clichés et des stéréotypes trop souvent accolés à la patrie de Ganesh et de Shiva…

Indomania, de Rembrandt aux Beatles,

jusqu’au 26 janvier 2014 ; Corps de l’Inde, jusqu’au 5 janvier 2014, Palais des beaux-arts (Bozar), rue Ravenstein 23, Bruxelles, tél. 32 02 507 82 00, tlj sauf lundi et jf 10h-18h, jeudi jusqu’à 21h, www.bozar.be.
Catalogues, Corps de l’Inde, sous la direction de Naman P. Ahuja, et Indomania, sous la direction de Deepak Ananth et Dirk Vermaelen, coéd. Ludion/Europalia, respectivement 34,90 € et 29,90 €.
Pour toute information sur le festival, consulter le programme sur le site www.europalia.eu

Légende photo

Henri Cartier-Bresson, Camp de femmes à Lahore, 1948. © Fondation Henri Cartier-Bresson.

Robert Rauschenberg, Brim (Jammer), 1976, bois et textiles, museum moderner kunst stiftung Ludwig, Vienne. © Stiftung Ludwig.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : L’Inde au-delà des clichés

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