Design

Les designers ont la main verte

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 2020 - 688 mots

HORNU / BELGIQUE

Le design s’est emparé de la botanique. Et, au vu de cette exposition, les plantes n’ont pas livré toutes leurs ressources.

Hornu. Que l’on déconfine ou que l’on confine encore, avec ou sans jardin, l’exposition « Plant Fever, vers un design phyto-centré » déployée au Centre d’innovation et de design, à Hornu (Belgique), tombe à point nommé. « Ce que l’on observe, depuis des siècles, c’est notre profond détachement de la nature, un phénomène de “cécité botanique" qui touche principalement les sociétés occidentales et qui nous a empêchés de voir les plantes autrement que comme de simples ressources ou objets de décoration, explique Laura Drouet, commissaire de cette présentation. Or les récentes périodes de confinement nous le révèlent notamment : il y a aujourd’hui un grand retour et une réelle redécouverte des plantes et, cette fois, non uniquement pour leur aspect décoratif. » La cinquantaine de projets réunis montrent d’ailleurs, la manière dont un nombre croissant de designers, scientifiques, stylistes, ingénieurs ou artistes regardent ce monde végétal « autrement », pour voir en profondeur son potentiel caché. Le parcours se scinde en trois parties : les plantes comme ressources, comme compagnes et comme alliées.

Les ressources du recyclage

Pour remplacer les plastiques, depuis de nombreuses années, certaines matières végétales se métamorphosent en matériaux de construction. Mais on découvre, ici, de nouveaux compostables, favorisant un recyclage « valorisant », sinon de nouvelles utilisations, parfois étonnantes. Dan Porat réalise des meubles en frondes de dattier (Tamar Nur), Tamara Orjola en aiguilles de pin (Forest Wool Stool) et Fernando Laposse avec le squelette séché du luffa – famille des cucurbitacées – (Collection Lufa). En Italie, patrie des buveurs d’expresso, le duo Highsociety Studio fabrique des lampes tubulaires (Senilia Lamps) à partir d’un mélange de pellicule de café, sous-produit de la torréfaction des fèves.

La mode, aussi, n’est pas en reste. Souvent mise au rebut lors de la récolte, la fibre des ananas, dans les mains de Liselore Frowijn, devient le Piñatex, textile non tissé et alternative au cuir (Collection Mexico). Pour parer aux substances chimiques toxiques des tissus teints industriellement, Nienke Hoogvliet fabrique des teintures à base de romarin, sauge et camomille (Herbs Quilt), trois plantes connues pour leurs propriétés antiseptiques. Liz Ciokajlo, elle, conçoit des chaussures en chanvre (Hemp Shoes), histoire d’exalter ses propriétés « respirantes ». Mieux : les Canadiens de Native Shoes proposent des baskets « compostables » (Plant Shoes) faites d’un mélange maïs, kénaf, lin, coton, fibre de feuille d’ananas et huile d’olive, qui, une fois usées, peuvent être enterrées ! On l’aura compris, les pistes de recherche sont légion.

Moins sans doute que dans un cadre purement domestique, comme en témoigne la deuxième section de cette présentation, un brin plus faible. Hormis un semblant de mobilité, réelle (le porte-plantes d’intérieur Albero d’Achille Castiglioni) ou fictive (les pots Monstera Fugiens de Tim van de Weerd, avec leurs pieds imitant les racines de ladite plante), l’esthétique des contenants, en tant que telle, est franchement limitée. Reste la culture proprement dite, avec une forte inclination envers l’hydroponie [l’agriculture hors-sol]. Antonio Scarponi met en open source son kit de bacs en suspension Eliooo. Il en est de même, à l’extérieur, avec Power Plant de Marjan van Aubel, serre hydroponique à disposer sur sa terrasse, en ville, afin de raccourcir la chaîne d’approvisionnement, le fameux « kilomètre-assiette ».

La chirurgie du futur

À la fois passionnante et vertigineuse, l’ultime partie est un mélange d’ingénierie, de robotique et d’imagination débridée. Mis au point par Harpreet Sareen, le robot Elowan peut, le cas échéant, aider un anthurium à trouver de la lumière lorsqu’il en a besoin, grâce aux signaux bio-électrochimiques que ces tissus envoient naturellement. Diana Scherer use des extrémités des racines des plantes – dont des études suggèrent qu’elles pourraient servir d’organes « cervicaux » – pour créer des textiles auto-tissés (Exercises in Root). Plus fou, le projet de Marie Declerfayt, Botanical Bodies : partant du constat que la structure du système vasculaire est similaire chez les humains et chez les plantes, elle imagine « un futur dans lequel nos corps pourraient s’enrichir d’éléments végétaux », autrement dit : une xénogreffe. Un corps « botaniquement augmenté » grâce à des os en bois biocompatibles ? Sans doute le rêve ultime pour tout écolo !

Plant Fever, vers un design phyto-centré,
initialement jusqu’au 14 février 2021, au Centre d’innovation et de design, Musée du Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, 7301 Hornu (Belgique).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Les designers ont la main verte

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