Art moderne

XIXe et XXe siècles

Les débuts du « nabi aux belles icônes »

LAUSANNE / SUISSE

Durant la première période de sa carrière, Maurice Denis, fondateur du groupe des Nabis, cherche à représenter l’amour spirituel et charnel, ainsi que le lien qu’entretient la nature avec la création divine.

Maurice Denis, Légende de chevalerie (Trois jeunes princesses), 1893, huile sur toile, 46 × 38cm, Collection particulière. © Photo D.R.
Maurice Denis, Légende de chevalerie (Trois jeunes princesses), 1893, huile sur toile, 46 × 38cm, Collection particulière.
© Photo D.R.

Lausanne. Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne a ouvert ses portes aux peintures de Maurice Denis (1870-1943), un artiste familier de la Suisse pour avoir œuvré non loin de là, à Genève, au chantier du Palais des Nations en 1938. Le peintre n’avait cependant plus fait l’objet d’exposition dans le pays ces cinquante dernières années. Les tableaux ont ainsi fait le voyage depuis Paris où l’exposition lausannoise a été conçue, en collaboration le Musée d’Orsay ; leur présentation est un avant-goût de la réouverture du Musée départemental Maurice-Denis de Saint-Germain-en-Laye prévue pour septembre 2021, en travaux depuis 2018.

En trois temps, le parcours évoque sa première période artistique – des années 1880 à la fin de la Première Guerre mondiale. À l’instar de nombreux artistes de son époque, Denis s’ouvre à différentes sources d’inspiration en ce tournant du XXe siècle ; il se forme au métier de peintre avec le symbolisme, se sensibilise à l’Art nouveau, est séduit par l’art japonais de l’estampe et par les enseignements de Cézanne. Il fonde le groupe des Nabis avec quelques autres artistes en 1888 et en devient le théoricien. Puis il revient à une pratique plus classique de la peinture, après un voyage à Rome en 1898 où il découvre les fresques de la Renaissance italienne. Les influences et les sensibilités s’entremêlant dans son expression artistique, la distribution chronologique et stylistique des tableaux paraît ne pas toujours faire sens pour le visiteur de l’exposition. Car de théorie et d’appartenance à des mouvements artistiques, il n’en est ici question que de manière très indirecte : on nous montre plutôt le parcours d’un artiste intimement lié à sa vie d’homme. L’amour, aussi titre de l’exposition, est le fil rouge qui autorise cette lecture à deux niveaux de ses œuvres : l’amour temporel comme l’amour spirituel. À un découpage chronologique, n’aurait-on donc pas pu préférer un séquençage thématique qui aurait repris les trois centres d’intérêt de Maurice Denis : la vie intérieure, la famille et la nature ?

Dès ses débuts, la fibre mystique est présente chez l’artiste. Le désir d’art, qui naît très tôt chez ce natif de Saint-Germain-en-Laye et qui l’amène à Paris pour suivre une formation de peintre à l’Académie Julian, est irrémédiablement lié à une vocation religieuse. Le jeune Maurice Denis va jusqu’à se rêver moine-peintre sur le modèle du Primitif italien, Fra Angelico. Dès les années 1890, il peint des tableaux aux références religieuses explicites – Une Offrande au calvaire, Le Chapelet ou un Christ vert révolutionnaire réduit à des aplats de couleurs qui s’inspirent du tableau du même nom peint par Gauguin ; d’autres œuvres représentent sans détours des épisodes tirés du Nouveau Testament comme l’Annonciation faite à Marie ou la Passion du Christ. C’est cette propension à aborder des thèmes religieux, et qui plus est dans un petit format, qui lui vaut, de la part de ses condisciples, le surnom de « nabi aux belles icônes ». 

Si la foi catholique est le socle de sa peinture, l’amour charnel s’incarne en la personne de Marthe Meunier, qui devient son épouse en 1893. Elle est, jusqu’à son décès en 1919, sa muse unique. On retrouve son doux visage ovale et son regard aux paupières tombantes dans la quasi-totalité des tableaux de Maurice Denis : des portraits (Marthe au piano), des scènes d’intérieur où la maternité et les tâches ménagères sont célébrées (La cuisinière, voir ill.), des compositions au sens mystérieux, véritables hymnes à sa beauté. Son prénom la prédestine à être identifiée à la figure biblique de Marthe – elle devient même Sancta Martha dans une peinture réalisée lors de leur voyage de noces. L’épouse-muse prête encore ses traits à des figures de femmes saintes, de vierges sages ou de princesses dans des tableaux inspirés de l’univers chevaleresque. 

Les forêts, l’océan, la Toscane pour inspiration
La nature, souvent baignée dans une lumière crépusculaire, est le dernier composant des tableaux de Maurice Denis. Lieu de ressource et de contemplation, elle est le reflet, pour le peintre, de la création divine. On retrouve ainsi, principalement dans ses œuvres de jeunesse, les forêts de Saint-Germain-en-Laye, associées au mystère et au mysticisme ; le motif de l’arbre se prête particulièrement bien au cloisonnage des formes. Puis, ce seront les bords de mer et, en particulier, les plages de rochers bretonnes de Perros-Guirec où la famille Denis séjourne en été, qui serviront de laboratoire au nouveau langage classique du peintre. La campagne toscane enfin, incarnation d’équilibre et d’harmonie, est présente en arrière-fond des décors muraux qu’il conçoit pour des particuliers et dont l’exposition donne un aperçu dans sa dernière partie. La recherche de la beauté fut, en toute expression, et malgré les maladresses ou les tâtonnements de style, le but ultime de Maurice Denis : « Je crois que l’art doit sanctifier la nature […]. Je crois que c’est la mission de l’esthète d’ériger les choses belles en immarcescibles icônes. » Un credo qu’il consignait déjà dans son journal à l’âge de dix-neuf ans. 
 

Maurice Denis. Amour,

initialement jusqu’au 16 mai, Musée cantonal 
des beaux-arts, Place de la Gare 16, 1003 Lausanne (Suisse).

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°564 du 2 avril 2021, avec le titre suivant : Les débuts du « nabi aux belles icônes »

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