Art moderne

XXE SIÈCLE

Le fauvisme libre de Charles Camoin

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 4 avril 2022 - 849 mots

PARIS

Dans la mouvance du sulfureux fauvisme du début du XXe siècle, la peinture plus modérée de Charles Camoin a su rencontrer son époque.

Paris. À la différence de nombreux artistes de sa génération – postimpressionnistes, fauves –, Charles Camoin (1879-1965) n’a pas besoin d’effectuer de pèlerinage dans le Midi, à la recherche d’une lumière éblouissante. Né à Marseille, c’est le chemin inverse qu’il emprunte pour parvenir jusqu’à l’atelier de Gustave Moreau en 1898. Si Charles Camoin ne profite que pendant quelques mois de l’enseignement du maître qui meurt la même année, il y fait la rencontre déterminante d’Albert Marquet, Henri Manguin et Henri Matisse. Contraint de retourner chez lui afin d’accomplir son service militaire, il en profite pour rencontrer un autre artiste dont l’influence sera sensible dans son œuvre : Paul Cézanne. Ainsi, on est frappé par le hiératisme imposant de son Portrait d’Albert Marquet (1904-1905), à l’instar de celui de L’Homme assis (1898-1900) du peintre aixois. Charles Camoin réussit également à entretenir une correspondance riche avec Cézanne malgré le caractère plutôt asocial de ce dernier.

De retour à Paris avec sa mère, artiste également – dans La Mère de l’artiste sur le divan (1897), elle tient à la main une palette –, le peintre s’installe définitivement à Montmartre. C’est tout naturellement que le musée, situé aujourd’hui 12, rue Cortot, à l’ancienne adresse de l’atelier de Camoin en 1908, lui rend hommage avec une exposition monographique. Toutefois, ce flâneur explore également les autres quartiers de la capitale – Le Pont des Arts vu du pont Neuf (1904), La Seine, le Louvre et le pont des Arts vus du pont Neuf (1904-1905). Comme Albert Marquet, mais en version plus colorée, ces toiles ne manquent pas d’une poésie certaine.

Un fauvisme tempéré à l’origine de son succès

En 1905, à la différence de Jean Puy et de Louis Valtat, Charles Camoin rencontre la notoriété. En compagnie d’Henri Matisse, Maurice de Vlaminck, André Derain ou Kees van Dongen – face auxquels le critique d’art, Louis Vauxcelles, s’écrie : « La candeur de ce buste surprend au milieu de l’orgie des tons purs, Donatello parmi les fauves »–, il expose quatre tableaux dans la salle VII du Salon d’automne. Les participants de cette célèbre « cage aux fauves » font l’objet d’un tapage qui assurera leur renommée héroïque de pionniers de l’avant-garde et une place d’honneur dans le récit de la modernité. Charles Camoin a-t-il profité de cette soudaine notoriété ? Certes, ses œuvres ont été assimilées au fauvisme mais, comme l’écrivent, dans le catalogue, les organisatrices de l’exposition, Assia Quesnel, responsable des Archives Camoin, et Saskia Ooms, responsable de la conservation du Musée de Montmartre, « contrairement aux toiles d’Henri Matisse et d’André Derain, que l’on juge incohérentes, les œuvres exposées par Camoin, d’un fauvisme modéré, sont appréciées par la critique pour leur franchise et leur rigueur constructive ».

L’artiste lui-même ne dit pas autre chose quand, des années plus tard, parlant de son amitié avec Matisse, il avoue : « Mon instinct de coloriste me rapprochait de lui, mais ce qui restait chez moi du domaine de l’instinct devait très vite se développer chez lui en théorie. Théorie d’exaltation qui devint ce que l’on a appelé le fauvisme et que, personnellement, je n’ai jamais suivi systématiquement. »

Est-ce grâce à cette version pondérée du fauvisme que la carrière de Camoin est lancée ? Pourtant, c’est aussi en 1905 que le peintre réalise l’un de ses tableaux les plus hardis : La Saltimbanque au repos. Allongée sur un divan dans une position provocante, une prostituée, entièrement nue à l’exception de bas multicolores sur ses jambes écartées, se détache sur un fond rouge. Étonnamment, comme le remarque Saskia Ooms dans le catalogue, cette représentation audacieuse n’a pas choqué la critique. Peut-être que le corps nu d’une prostituée n’a pas droit à beaucoup d’égards.

Rencontre avec Renoir

C’est ainsi que Camoin arrive en tête des ventes chez Berthe Weill et obtient en 1908 sa première exposition particulière à la galerie de Daniel-Henry Kahnweiler. Rapidement, le peintre participe aux manifestations principales de l’avant-garde européenne – Salon de la Toison d’or à Moscou ou Sonderbund de Cologne. Ce succès rend encore plus incompréhensible la crise qu’il traverse à partir de 1914, au cours de laquelle il détruit l’ensemble de son œuvre antérieure. Est-ce le rejet de la dissonance chromatique fauve, comme le fera André Derain ? Une dépression à la suite de sa séparation d’avec Émilie Charmy – dont un beau portrait de Camoin, dans une veine expressionniste, est présent à Montmartre ? On ne saura jamais.

Le parcours chronologique qui se poursuit jusqu’aux dernières années du peintre n’offre pas de véritables découvertes esthétiques. Camoin, qui partage son temps entre Paris et Saint-Tropez, fait, en 1918, une dernière rencontre décisive, celle d’Auguste Renoir. Sa peinture s’adoucit peu à peu ; les couleurs saturées cèdent la place à une luminosité tempérée. Les nus, à mi-chemin entre les baigneuses de Cézanne et ceux, dotés d’une beauté fade et idéalisée de Renoir, laissent le spectateur perplexe. En d’autres termes, si indiscutablement Charles Camoin participe à l’aventure de la modernité, l’exposition montre ses points forts mais aussi ses faiblesses.

Charles Camoin, un fauve en liberté,
jusqu’au 11 septembre, Musée de Montmartre, 12 rue Cortot, 75018 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Le fauvisme libre de Charles Camoin

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque