Photographie

L’autochrome et la couleur fut !

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 21 février 2023 - 870 mots

Au château de Tours, le Jeu de paume présente actuellement 176 autochromes de la collection de Soizic Audouard et Élisabeth Nora, et autant de témoins des premières photographies en couleurs.

Photographier en couleurs a longtemps été une gageure. Au cours du XIXe siècle, les recherches pour reproduire et fixer les couleurs ont abouti à différents procédés qui n’arrivaient cependant pas à la restituer. La décision des frères Lumière, à partir de 1892, d’améliorer et de simplifier le procédé trichrome élaboré vingt-trois ans plus tôt par Louis Ducos du Hauron aboutira à l’autochrome, véritable révolution tant par la qualité inédite de l’image obtenue que par l’ambition d’Auguste et Louis Lumière de produire et commercialiser ce procédé en couleurs à grande échelle.

De la fécule de pomme de terre

Leur présentation de la plaque autochrome à l’Académie des sciences, le 30 mai 1904, ouvre donc une nouvelle ère à la photographie. Une nouvelle fois, les inventeurs du cinématographe révolutionnent les pratiques et les usages de l’image. La méthode mise au point par Louis Lumière consiste à n’utiliser qu’une seule plaque de verre enduite d’une émulsion argentique que l’on recouvre d’une fine pellicule de fécule de pomme de terre teintée en rouge-orangé, en vert et en bleu-violet. L’image en couleurs ainsi obtenue se visionne ensuite par transparence dans une visionneuse ou par projection sur un écran, comme une diapositive. Breveté et produit à partir de 1907 dans l’usine Lumière de Monplaisir, à Lyon, sous l’appellation plaque autochrome Lumière, ce procédé photographique en couleurs est le premier commercialisé au monde. L’engouement a été immédiat, bien que la plaque autochrome soit trois fois plus chère qu’un contact noir et blanc. Lors de son lancement à Paris, l’Américain Alfred Stieglitz ne cache d’ailleurs pas son enthousiasme : « Bientôt le monde entier sera fou de couleurs, et Lumière en sera responsable. » Photographes amateurs ou professionnels apprécient de par le monde le procédé pour la restitution des couleurs en une seule prise et son usage qui ne nécessite pas d’appareil de prise de vue particulier. De 1906 à 1932-1933, plusieurs millions de plaques autochromes sortiront de l’usine Lumière. À l’aube des années 1930, l’émergence de supports souples et de composants chimiques rendra le procédé obsolète. L’intérêt pour la production et les créations visuelles qu’il a généré s’est limité par la suite à un cercle restreint d’amateurs et de collectionneurs. Depuis la fin des années 1990, le cercle s’est élargi.

Des sujets variés

La collection de Soizic Audouard et Élisabeth Nora donne la mesure de la grande diversité des usages du procédé et de son pouvoir de séduction. Pictorialistes et anonymes se côtoient sur les cimaises, manière de souligner que la qualité de l’image prime dans leur choix et leur achat. La palette des sujets n’a pas de limite. Portrait, nature morte, fleur, paysage, scène de rue ou d’intérieur, vie urbaine ou rurale, travail en atelier, en usine ou aux champs voisinent avec voyages en Europe, en Amérique ou en Orient et reproductions d’œuvres d’art, l’autochrome se révélant également le support visuel privilégié de la recherche ou de l’enseignement scientifique. Le résultat pictural ou documentaire émerveille par la présence de chaque image, l’éclat et la matérialité des couleurs, y compris la nuit ou dans la pénombre. À la fin de l’exposition, les autochromes de la guerre de 1914-1918, détenues par la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, rappellent l’autre usage du procédé par deux opérateurs de l’armée, Fernand Cuville et Paul Castelnau.

Mary Warner sur le versant d’une colline, d’Heinrich Kühn

Dès la commercialisation de l’autochrome par les frères Lumière en 1907, le photographe autrichien se passionne pour le procédé, à l’instar des autres figures majeures du pictorialisme que sont Alfred Stieglitz, Edward Steichen et Paul Burty-Haviland. Mary Warner, gouvernante de la famille, a constitué, avec ses quatre enfants, l’un de ses sujets de prédilection. Dans ce portrait en contre-plongée, très pictural, le flou participe à la gradation de la lumière et des couleurs. Il dénote l’influence des impressionnistes et de la Sécession viennoise.

Façade de la maison de couture Paquin, rue de la Paix

À la veille de la Première Guerre mondiale, la maison de couture de Jeanne Paquin est l’une des plus prestigieuses en France. Elle dispose par ailleurs d’une succursale à Londres. En l’honneur du roi George V et de la reine Mary en visite à Paris, en avril 1914, elle pare d’un riche décor la façade de l’immeuble, du 3, rue de la Paix, où sont installés ses ateliers, bureaux et salons d’essayage et de présentation. La résolution des couleurs de l’enseigne, des drapeaux et des guirlandes de fleurs ou de lumière n’a pas perdu de son éclat.

Bouquet de violettes

Cette nature morte rend compte de la capacité de l’autochrome à restituer les couleurs, les textures et les jeux subtils de lumière dans leurs contrastes et leurs nuances. L’approche picturale domine chez les photographes de cette époque, comme chez l’auteur non identifié de ce bouquet de violettes. La couleur bleue soutenue du vase s’harmonise avec celle, plus douce, des fleurs et le vert de leur feuillage, tandis que le décor dépouillé de la mise en scène, réduit à une nappe blanche sur un fond gris, rehausse la beauté élégante et sobre de l’association.

« 1, 2, 3… Couleur ! L’autochrome exposée »,
jusqu’au 28 mai 2023. Jeu de paume – Château de Tours, 26, avenue André-Malraux, Tours (37). Du mardi au dimanche, de 14 h à 18 h. Tarifs : 4,20 et 2,10 €. www.tours.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : L’autochrome et la couleur fut !

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