Lapicque, le plus sûr chemin de l’optique

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 20 février 2009 - 847 mots

Ingénieur, Charles Lapicque peint d’abord en amateur, le dimanche. Mais la passion pour la peinture et ses recherches sur la perception des couleurs vont peu à peu l’éloigner de son métier au profit de ses pinceaux.

Cela faisait près de quarante ans que l’œuvre de Charles Lapicque (1898-1988) n’avait pas été mise à l’honneur. Après l’exposition du musée de La Poste en 2008, le musée d’Issoudun coproduit une exposition rétrospective et itinérante de ce grand artiste humaniste trop longtemps oublié.
Né en 1898 à Theizé dans le Rhône, fils adoptif d’un professeur de physiologie, marié à la fille de Jean Perrin (Prix Nobel de physique), Charles Lapicque était à la fois un grand scientifique et un artiste discret dont les procédés et techniques furent réutilisés par bon nombre d’artistes de sa génération et des suivantes.

Ses recherches sur la couleur contredisent la règle de Vinci
Il n’a que 21 ans lorsqu’il est admis à l’École centrale des arts et manufactures de Paris où il se passionne alors pour le dessin industriel et le dessin d’architecture. Devenu ingénieur dans la distribution d’énergie électrique, il passe ses dimanches à peindre des paysages ou des marines.
En 1925, il réalise Hommage à Palestrina, un tableau abstrait qui attire l’attention de la galeriste Jeanne Bucher, qui lui propose d’exposer dans sa galerie. Trois ans plus tard, l’artiste abandonne son métier d’ingénieur pour ne se consacrer qu’à son art. Mais, lorsque survient la crise des années 1930, il est contraint d’accepter un poste de préparateur au laboratoire de la faculté des sciences de Paris auprès de Maurice Curie.
Investi à nouveau dans les études, il entreprend des recherches sur la perception des couleurs dans le cadre de sa thèse de doctorat ès sciences physiques (L’Optique de l’œil et la vision des contours), qu’il soutiendra avec succès en 1938. Il explique notamment les aberrations rétiniennes causées par la conjonction d’une source lumineuse intense et d’un défaut du cristallin ainsi que le phénomène d’images étoilées dont il se servira dans ses toiles nocturnes de Venise. Surtout, il élabore des théories sur l’échelonnement des couleurs bleu et rouge et renverse la théorie classique. «  J’avais montré que la règle classique, celle de Vinci, préconisant de placer les bleus dans le lointain, les rouges, orangés et jaunes au premier plan, est un contresens. Il est plus logique, plus favorable de faire l’inverse  », écrit-il en 1935.
Le «  système grille  » qu’il élaborera en 1939, dérivé de l’espace cubiste, du fauvisme et de l’art médiéval, marquera le point d’aboutissement de ses découvertes optiques, elles-mêmes sous-tendues par une approche philosophique. Dans ses recherches, il s’appuie sur les œuvres anciennes, enluminures, tapisseries médiévales, émaux cloisonnés poitevins, faïences, qui viennent confirmer ses théories. Il perfectionne alors ses connaissances à l’École supérieure d’optique, dont il est sorti ingénieur opticien diplômé en 1934.
Lors de séances de discussion auxquelles il participe, il fréquente de nombreux philosophes, dont Jean Wahl, et mène une importante réflexion philosophique et esthétique. Il reçoit la commande de cinq grandes décorations murales pour le palais de la Découverte en 1937, et est honoré d’une médaille d’honneur à l’Exposition universelle pour l’une d’elles.

À 45 ans, sa carrière de peintre peut enfin commencer
Lorsque la guerre éclate, il est mobilisé au Centre national de la recherche scientifique en tant que chargé d’études sur la vision nocturne et le camouflage, avec un certain Antoine de Saint-Exupéry. Une fois démobilisé, il applique ses théories dans une série de Figures armées qui marquent l’avènement d’une nouvelle peinture et participe en 1941 à l’exposition des «  Vingt jeunes peintres de tradition française  », où se trouvent notamment les œuvres de Jean Bazaine, Manessier, Tal-Coat, Le Moal.
Ce n’est qu’en 1943, lorsqu’il signe un contrat avec la galerie Louis Carré, qu’il abandonne définitivement sa carrière d’ingénieur. Excellent musicien, et grand connaisseur de la musique classique, il réalise de nombreuses œuvres sur ce thème.
Nommé peintre du Département de la marine, il fait aussi de la mer, notamment de la mer bretonne, l’un de ses thèmes de prédilection. En 1953, il voit son travail récompensé par le prix Raoul Dufy de la Biennale de Venise. En 1967, le Musée national d’art moderne à Paris lui consacre une rétrospective avant de présenter, en 1978, le fonds de dessins offert par l’artiste. En 1979, il reçoit le grand prix national de la peinture.
Il meurt à Orsay le 15 juillet 1988, laissant derrière lui un très grand nombre d’œuvres, présentées dans les collections permanentes de musées en France et à l’étranger. La plupart d’entre elles sont toutefois aux mains de collectionneurs. Ce sont ces dernières exclusivement, inédites, qui sont exposées au musée de l’Hospice Saint-Roch.

Biographie

1898
Naissance à Theizé dans le Rhône.

1919
Entre à l’École centrale des arts et manufactures.

1929
Première exposition personnelle.

1934
Diplômé de l’École supérieure d’optique.

1937
Décorations pour le palais de la Découverte.

1938
Thèse de doctorat en sciences physiques.

1943
Se consacre entièrement à la peinture.

1948
Première conférence au Collège philosophique fondé par Jean Wahl.

1967
Rétrospective au MNAM.

1979
Grand prix national de peinture.

1988
Il décède à Orsay.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : Lapicque, le plus sûr chemin de l’optique

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