Suisse - Art ancien

XIXE SIÈCLE

Friedrich et ses sources

WINTERTHUR / SUISSE

Le Kunstmuseum de Winterthur s’emploie à ancrer Caspar David Friedrich dans la tradition de la peinture de paysage.

Caspar David Friedrich (1774-1840), Le Watzmann, 1824-1825 , huile sur toile, 136 x 170 cm. © Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie
Caspar David Friedrich (1774-1840), Le Watzmann, 1824-1825 , huile sur toile, 136 x 170 cm.
© Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie

Winterthur (Suisse). Mythique, cette toile qui trône à l’entrée de l’exposition l’est sans hésitation. Falaises de craie à Rügen [voir ill. ci-dessous] est l’une des œuvres exécutées par Caspar David Friedrich (1774-1840) que le public se presse de venir admirer au Kunstmuseum de Winterthur cet automne, lors de cette première exposition d’importance consacrée à l’artiste sur le sol suisse. C’est l’œuvre d’un randonneur qui aimait se promener en surplomb de la mer Baltique, le long de ces fameuses falaises de craie. Trois figures vues de dos animent cette étourdissante perspective en contre-plongée, figures derrière lesquelles on a l’habitude de voir les représentations du peintre lui-même, de sa jeune épouse Caroline et de son frère – un autoportrait de groupe vraisemblablement daté de la lune de miel du couple en 1818.

Caspar David Friedrich (1774-1840), Falaises de craie à Rügen, 1818, huile sur toile, 90 x 71 cm. © Kunst Museum Winterthur.
Caspar David Friedrich (1774-1840), Falaises de craie à Rügen, 1818, huile sur toile, 90 x 71 cm.
© Kunst Museum Winterthur
Des prêts de la Collection Oskar Reinhart

Œuvre phare de cette exposition événement qui célèbre avec quelques mois d’avance le jubilé du 250e anniversaire de la naissance du peintre allemand, le tableau, comme la majeure partie des pièces exposées, ne vient pourtant pas d’Allemagne contrairement aux emblématiques toiles Voyageur contemplant une mer de nuages ou Lever de lune sur la mer, venues, elles, d’Allemagne. Et ce pour une simple raison : c’est précisément à Winterthur, à quelques kilomètres à l’est de Zürich, qu’il est conservé. Deux musées dans la ville suisse abritent aujourd’hui la collection d’Oskar Reinhart (1885-1965), riche industriel et mécène qui se passionna pour l’art ancien et du XIXe siècle, allant jusqu’à constituer l’ensemble le plus complet de l’école allemande hors d’Allemagne, dont les tableaux de Friedrich constituent le noyau. Quand le collectionneur suisse achète ces œuvres vers 1900, Caspar David Friedrich vient d’être redécouvert, après un long purgatoire.

Caspar David Friedrich (1774-1840), Voyageur contemplant une mer de nuages, c. 1817, huile sur toile, 98 x 74 cm. collection Hamburger Kunsthalle - Photo Cybershot
Caspar David Friedrich (1774-1840), Voyageur contemplant une mer de nuages, c. 1817, huile sur toile, 98 x 74 cm. collection Hamburger Kunsthalle, Allemagne.
Photo Cybershot
Des paysages vus intriqués à des modèles peints

Le peintre venu de Poméranie, que Goethe avait adoubé en son temps, a toujours suscité des passions : le Retable de Tetschen, peint à ses débuts en 1808, est décrié par ses contemporains ; Friedrich avait osé peindre un paysage au lieu d’une peinture religieuse pour l’autel d’une chapelle. C’est peu dire que l’artiste a révolutionné la peinture de paysage, faisant fi des catégories picturales de genre traditionnelles. « Friedrich savait et sentait fort bien que l’on ne peut pas peindre la nature pour elle-même, mais seulement ses propres perceptions, à condition qu’elles soient naturelles »,écrivit ainsi son ami Johan Christian Dahl. Créer selon ses états d’âme, la définition même du mouvement « romantique », un terme générique aujourd’hui nuancé dans sa diversité d’approches et de formes par les historiens de l’art.

Dans le cas Friedrich, il s’agit d’une nature tourmentée, parfois sombre, souvent hantée par le spectre de la mort et les questionnements existentiels, érigée sur le rigoureux socle d’une croyance réformée. Les paysages marins ou côtiers dominent ses débuts suivis dans les années de maturité par un intérêt marqué pour les paysages alpins. Si Friedrich recompose des paysages vus et parcourus, il invente et réinvente aussi d’après des modèles peints – ainsi à partir des vues alpines du Suisse Adrian Zingg.

Auteur d’une œuvre unique, Friedrich, tout talentueux qu’il ait pu être, a puisé son inspiration dans la nature, mais aussi dans le vaste corpus de la peinture de paysage de ses prédécesseurs qu’il a certainement pu voir dans les collections princières de Dresde, ville où il a étudié. Voilà l’hypothèse que développent, dans une toute nouvelle approche, les commissaires de l’exposition, et « celle-ci doit se comprendre comme une proposition d’enraciner Friedrich dans la tradition de la peinture de paysage », explique David Schmidhauser, conservateur au Kunstmuseum de Winterthur. Des peintres du siècle d’or néerlandais, comme Jan van Goyen et Jacob van Ruisdael, des XVIIe et XVIIIe français comme Claude Lorrain, mais aussi des contemporains sont donc ici représentés par quelques œuvres mises face aux travaux de Friedrich. Si ce renouvellement de regard sur l’œuvre de ce dernier est à saluer, le déclic, pourtant, n’opère pas vraiment dans l’exposition. On peine à percevoir des échos avec des tableaux dont la présence ne semble, parfois, ne s’acquitter que d’une seule mission : faire une nouvelle fois la preuve de la singularité de la peinture de Friedrich et laisser tout entier le secret d’une œuvre énigmatique et inégalée.

Caspar David Friedrich et les précurseurs du romantisme,
jusqu’au 19 novembre, Kunstmuseum Winterthur, Reinhart am Stadtgarten, Stadthausstrasse 6, Winterthur, Suisse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Friedrich et ses sources

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