Art moderne

Comprendre l’Orientalisme

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 21 février 2019 - 964 mots

PARIS

Le Musée Marmottan-Monet consacre ce mois-ci une très belle exposition à « L’Orient des peintres ». 6 clés pour comprendre l’orientalisme en peinture.

1. Le Harem

Lieu entouré de mystères et de fantasmes, puisqu’il est interdit aux hommes et tient à l’écart du monde les épouses, concubines et esclaves du Sultan, le harem s’impose rapidement comme un thème incontournable de la peinture orientaliste. Ce sujet est même traité de manière compulsive par certains artistes comme Jean-Auguste-Dominique Ingres, qui en livre de nombreuses versions, montrant soit des groupes de femmes soit un personnage unique : sa célèbre odalisque. N’ayant jamais visité de harem, et n’ayant même jamais fait le voyage en Orient, Ingres compose son prototype de beauté orientale à Rome à partir de gravures et de sources littéraires. Cette scène de harem s’inspire ainsi très certainement de la correspondance de Lady Montagu, l’épouse d’un diplomate anglais, qui fut autorisée à pénétrer dans un harem et qui racontera avec force détails cette expérience, le lieu, les vêtements et les us et coutumes. Ce texte publié au XVIIIe siècle façonnera durablement l’imaginaire des artistes.

2. Démesure et décadence

Au XVIIIe siècle, les artistes se passionnent pour l’Orient et réalisent des turqueries au caractère léger. Les campagnes napoléoniennes, ainsi que les expéditions de Champollion et de Vivant-Denon, renouvellent l’intérêt pour l’Orient et lui confèrent un souffle épique qui embrasera la génération romantique. L’Orient, synonyme d’aventure, est perçu comme un paradis épargné de l’essor de la société industrielle et une sorte de survivance de l’Antiquité. En digne héritier de Babylone, l’Orient est aussi synonyme de démesure et de décadence. La Mort de Sardanapale, tableau iconique d’Eugène Delacroix, qui déclencha un immense scandale au Salon de 1827, incarne parfaitement cette dimension sulfureuse de l’Orient. Dans un déluge de couleurs chamarrées, de corps de femmes enchevêtrés et d’objets luxueux, il montre les derniers instants de ce roi légendaire qui préféra s’immoler sur un bûcher avec tous ceux qui l’ont servi et ont accompagné ses plaisirs, plutôt que de se rendre à ses ennemis.

3. Renouveler le nu

Au même titre que le harem, les bains excitent l’imaginaire des artistes au XIXe siècle. D’autant que ce lieu constitue, avec la visite aux cimetières, l’un des rares moyens pour les femmes d’échapper à la claustration à laquelle elles sont assujetties. La représentation des hammams et des bains permet aussi de renouveler profondément le genre alors très codifié du nu féminin sans risquer la censure. Ce vernis exotique autorise en effet de montrer des corps réalistes et sensuels sans prétexte mythologique. Cet univers permet par ailleurs de multiplier le nombre de corps nus, de varier les poses plus ou moins lascives, mais aussi de montrer ou de suggérer des relations charnelles entre ces femmes réunies dans un univers clos. L’érotisme du célèbre tableau de Debat-Ponsan réside surtout dans le puissant contraste entre les carnations des deux personnages, mais également dans l’opposition entre les courbes rebondies de la femme au premier plan et l’architecture très géométrique du lieu.

4. L’Orient éblouissant

Si les Occidentaux qui visitent le Maghreb et le Proche et Moyen-Orient sont frappés par la puissance des couleurs qu’ils y découvrent, ils sont aussi impressionnés par l’intensité de la lumière. Fromentin, qui a peint de nombreuses scènes de désert, raconte par exemple cette expérience de l’éblouissement en ces termes : « C’est une sorte de clarté intérieure qui demeure, après le soir venu, et se réfracte encore à travers mon sommeil. Je ne cesse de rêver de lumière. » Pour traduire le choc d’une lumière aveuglante, certains artistes optent même pour un traitement plastique radical flirtant avec la monochromie et l’épuration des paysages. C’est notamment le cas de Jules-Alexis Muenier, artiste naturaliste de formation académique, qui immortalise de manière extrêmement moderne le port d’Alger. L’élève de Gérôme évacue ainsi toute anecdote et tout détail ethnographique pour ne fixer que le rythme de l’architecture dont la blancheur irréelle est encore renforcée par une lumière éblouissante.

5. Un décor foisonnant

Dès le début de la vague orientaliste, les artistes occidentaux intègrent des objets et des motifs ethnographiques dans leurs compositions pour accroître leur vraisemblance et leur exotisme. Certains peintres, à l’instar de Delacroix, rapportent même quantité de vêtements et d’objets de leur voyage au Maghreb. Pour d’autres artistes, comme Matisse, la découverte des arts de l’Orient est un véritable choc esthétique. Le Fauve court ainsi les expositions dédiées aux arts décoratifs islamiques et collectionne les tissus coptes. Cette passion pour les arts décoratifs influence par ailleurs considérablement ses recherches novatrices sur l’intégration d’un personnage aux formes simplifiées dans un décor ornemental foisonnant. Les motifs décoratifs, inspirés des arts islamiques, saturent ainsi progressivement l’espace pictural qui affirme de plus en plus sa bidimensionnalité. À tel point que les courbes du corps de ses odalisques apparaissent comme un contrepoint aux arabesques décoratives.

6. La révélation de la couleur

Pour de nombreux artistes d’avant-garde, la confrontation avec la lumière aveuglante et les couleurs chatoyantes de l’Orient ont opéré une profonde rupture dans leur regard et leurs pratiques. Cette expérience de la couleur a notamment permis à Wassily Kandinsky et à Paul Klee de franchir le cap de l’abstraction : chacun à sa manière. Chez Kandinsky, cette révolution se matérialise par une explosion de couleurs dans laquelle se délite le sujet de la composition. La couleur pure existe pour elle-même et pour entrer en résonance intime avec l’âme, à la manière de la musique. Chez Klee, le passage à l’abstraction relève d’une expérience mystique. Lors de son séjour à Kairouan en 1914, le peintre aurait eu la sensation de se dissoudre dans la lumière et la couleur, de faire totalement corps avec ces éléments. Inspirée de cette expérience de fusion, mais aussi de l’architecture de cette cité, son œuvre se distingue de celle de Kandinsky car elle propose une transcription davantage géométrique.

« L’Orient des peintres, du rêve à la lumière »,
du 7 mars au 21 juillet 2019. Musée Marmottan-Monet, 2, rue Louis-Boilly, Paris-16e. Ouvert tous les jours sauf lundi de 10 h à 18 h, jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 12 et 8,50 €. Commissaire : Emmanuelle Amiot-Saulnier. www.marmottan.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Comprendre l’Orientalisme

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