Art ancien

Comprendre les femmes de la Renaissance

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 mai 2022 - 1021 mots

À Moulins et à Blois, deux passionnantes expositions mettent en lumière la vie et le pouvoir des femmes à la Renaissance, dont Anne de France, Catherine de Médicis et Diane de Poitiers.

1. Légitimité

Moulins -  Il y a cinq siècles, disparaissait Anne de Beaujeu, « la femme la moins folle de France », selon l’expression de son père, Louis XI. Princesse d’une grande intelligence et d’un sens politique affûté, elle n’a toutefois pas pu prétendre au trône, en raison de la loi salique qui empêchait les femmes d’hériter de la Couronne et de la transmettre. Elle jouera cependant un rôle politique et culturel incontournable une fois devenue duchesse de Bourbon. Personnalité puissante qui a influencé nombre de reines, de princesses et de nobles dames, Anne a su asseoir son prestige à travers la commande artistique. La duchesse a entrepris d’importants chantiers à Moulins et à Chantelle, et est à l’origine de quantité de sculptures, tableaux et objets d’art. Cette stratégie avait aussi pour vocation de diffuser son image, d’où les beaux portraits d’Anne, réalisés notamment par Jean Hey, son peintre attitré. Son image a également été véhiculée par des objets précieux à l’image de ce petit diptyque portatif émaillé.

2. Laboratoire de la Renaissance

Moulins -  Mécène ambitieuse et avisée, Anne de France transforme radicalement le duché du Bourbonnais et de l’Auvergne en centre névralgique. Rapidement, Moulins aimante ainsi les rois de France et les ambassadeurs traversant le pays. Vers 1500, la cour ducale de Moulins devient même le premier laboratoire esthétique de la Renaissance en France, en faisant affluer de grands artistes tels l’enlumineur Jean Colombe ou le sculpteur Jean de Chartres. La duchesse invite également des artistes et des menuisiers italiens, de sorte que le duché devient le premier territoire français à importer les expérimentations artistiques de la Renaissance italienne. En témoigne encore le fabuleux pavillon qui abrite aujourd’hui le Musée Anne de Beaujeu. Les peintres flamands sont également très actifs à la cour, à l’image de Jean Hey, plus connu sous le titre de Maître de Moulins. L’artiste est l’auteur du célèbre triptyque de la cathédrale, mais aussi du grand tableau représentant la famille ducale, aujourd’hui démembré.

3. Bibliophilie

Moulins - À la Renaissance, posséder une vaste librairie est un signe de distinction pour l’élite et l’aristocratie. Les ducs et duchesses de Bourbon n’ont pas dérogé à la règle et ont constitué une somptueuse collection de livres enluminés. Vivante, cette bibliothèque n’a cessé de s’enrichir au fil des commandes, des cadeaux, mais aussi parfois des prises de guerre, avant d’être absorbée dans la collection de François Ier. À l’époque d’Anne, la librairie comptait près de six cents volumes, ce qui en faisait l’une des plus riches de France, l’une des plus luxueuses également. Elle a notamment eu l’honneur d’abriter le manuscrit le plus richement enluminé au monde : les Heures de Louis de Laval. Ce livre comprend en effet 1 243 miniatures peintes par Jean Colombe et d’autres artistes, dont le Maître du Missel de Yale. Ce manuscrit hors norme a été légué par testament par le gouverneur de Laval à la duchesse Anne de France. Un legs très significatif de la place politique qu’occupait alors la duchesse.

4. Régente

Blois -  En France, la seconde moitié du XVIe siècle est secouée par une série de crises politiques et de conflits religieux. Les femmes gouvernent alors le royaume, ouvertement ou en coulisses, à l’instar de Catherine de Médicis. Personnalité incontournable, malmenée par l’historiographie et la culture populaire, la veuve d’Henri II va officier comme régente et se façonner une image forte qui a traversé les siècles. Afin de renforcer symboliquement son pouvoir, Catherine a en effet accentué la magnificence de son costume aristocratique en arborant de précieux tissus, des fourrures et des vêtements tissés d’or ou d’argent. On le sait, l’habit fait le moine, mais l’accessoire joue un rôle tout aussi important. Marqueur social par excellence, le bijou va ainsi prendre une place de choix dans les toilettes curiales. Outre les bagues et les boucles d’oreilles, la régente endosse ainsi plusieurs kilos de bijoux sous la forme de colliers, de pendentifs, mais aussi de pierres et de perles cousues sur ses robes.

5. Favorite

Blois -  Statut déjà usité au Moyen Âge, la place de favorite devient à la Renaissance une véritable fonction. Elle sera même indissociable de la monarchie moderne jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Loin d’être une potiche, la favorite occupe une fonction politique qui s’apparente presque à celle d’une ministre de la Culture. La plus célèbre des favorites du XVIe siècle est assurément Diane de Poitiers. Surnommée la « reine des favorites », la dame de cœur d’Henri II est cultivée, amoureuse des arts, mais aussi amie et mécène éclairée de quelques-uns des créateurs les plus brillants de son temps, à l’image de Ronsard, du Primatice et de Cellini. Femme influente, elle donne le ton des modes et promeut des artistes. Elle est aussi un des modèles privilégiés de son époque puisqu’elle a inspiré de nombreux peintres, sculpteurs et poètes. Certains ne se cantonnent pas à glorifier sa beauté légendaire dans de sages portraits mais oseront imaginer ses courbes voluptueuses dans des nus licencieux.

6. Carrières artistiques

Blois -  Paradoxalement, la Renaissance est une période moins libérale pour les femmes que le Moyen Âge. À partir du XVIe siècle, une série d’obstacles juridiques et sociaux se met en effet en place pour limiter leur exercice du pouvoir. Exclues du clergé, elles sont aussi exclues des carrières juridiques, c’est-à-dire les deux grands domaines où il est possible d’exercer le pouvoir en dehors des positions de reine et de favorite. Nombre de femmes vont alors surinvestir la sphère de la culture et de l’éducation, que ce soit en publiant (Louise Labé, Marie de Gournay) ou en tenant salon. Elles prennent donc la plume, mais aussi de plus en plus le pinceau et font parfois de spectaculaires carrières, que l’on pense, par exemple, à Lavinia Fontana. Depuis quelques années, les musées redécouvrent aussi une grande artiste de la Renaissance oubliée : Suzanne Court. Propriétaire d’un atelier à Limoges, elle est tout simplement considérée comme l’un des plus grands peintres sur émail de la fin de la Renaissance.

« Anne de France (1522-2022), femme de pouvoir, princesse des arts »,
jusqu’au 18 septembre 2022. Musée départemental Anne de Beaujeu, 5, place du Colonel-Laussedat, Moulins (03). Du mardi au samedi, de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, dimanche de 14 h à 18 h. Horaires d’été, du lundi au samedi, de 9 h 45 à 18 h 30, dimanche de 14 h à 18 h 30.Tarifs : 5 à 3 €. Commissaires : Giulia Longo et Aubrée David-Chapy. musees.allier.fr
« La Renaissance des femmes »,
jusqu’au 10 juillet 2022. Château royal de Blois, 6, place du Château, Blois (41). Tous les jours de 9 h à 18 h 30, en juillet et août jusqu’à 19 h. Tarifs : 13 à 6,5 €. www.chateaudeblois.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Comprendre les femmes de la Renaissance

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