Art contemporain

XXE SIÈCLE

1960-1975, une Figuration narrative engagée

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2023 - 785 mots

CAEN

Le Mémorial de Caen montre un ensemble d’œuvres de la Figuration narrative qui s’affirmait à cette époque dans la contestation politique de la société.

Caen.« Années pop, années choc, 1960-1975 », le titre de l’exposition organisée par Yan Schubert, commissaire à la Fondation Gandur pour l’art, et Stéphane Grimaldi, ex-directeur au Mémorial de Caen, peut induire en erreur. Si l’état des lieux des années 1960 – la guerre froide, du Vietnam, d’Algérie, les événements de Mai 68 – justifie le terme « choc », les images pop sont absentes de ce parcours. Sans doute les portraits de Marilyn ou les boîtes de Campbell Soup, réalisées par Andy Warhol, presque trop vus pour être regardés restent encore, pour le grand public, emblématiques des sixties et plus séduisants que les travaux de la Figuration narrative présentés à Caen.

La production plastique de cette nébuleuse – difficile de parler de groupe – reste un exemple fascinant des rapports souvent cachés entre l’art et l’histoire. Rassemblant essentiellement des artistes français, mais aussi d’autres venus d’horizons géographiques différents et travaillant à Paris – l’Espagnol Eduardo Arroyo, l’Islandais Erró, le Suisse Peter Stämpfli –, ce mouvement, baptisé Figuration narrative en 1965, apparaît pour la première fois à l’exposition « Mythologies quotidiennes » (au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 1964). Ils rejettent tous l’école de Paris qui s’assoupissait paisiblement entre une abstraction esthétisante et un expressionnisme assagi. Pour Gilles Aillaud, Antonio Recalcati, Arroyo et d’autres jeunes artistes, il s’agit de dénoncer la conception selon laquelle la figuration n’est pas moderne.

À cette occasion, le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot, les peintres Bernard Rancillac, Hervé Télémaque et Peter Foldès rassemblent 34 artistes qui, comme ceux qui pratiquent le pop art, s’intéressent au monde contemporain. Mais, contrairement aux créateurs américains, ces artistes ne s’arrêtent pas à un art du constat, à un témoignage neutre. Certes, comme leurs confrères, leur imagerie est inspirée par la publicité, la bande dessinée, le cinéma ou la photographie, et le dessin est simplifié et schématisé, la couleur apposée en aplats. Un code parfaitement accessible à un public non averti. Pour autant, ils ne partagent pas la fascination, à peine dissimulée, du pop art pour l’american way of life et introduisent une distance critique qui empêche toute adhésion au contenu de leur représentation (Le Voyou, Gérard Fromanger, 1971).

Politisés – de gauche ou d’extrême gauche –, ils sont tous convaincus que cette forme d’activité artistique peut modifier la société. Le moment le plus spectaculaire – le plus glorieux ? – est celui de Mai 68, quand plusieurs d’entre eux participent à la réalisation d’affiches dans les Ateliers populaires de l’école des Beaux-Arts, dont certaines sont montrées à Caen. Ce parti pris esthétique, qui rapproche le langage artistique de celui de la communication de masse, refuse l’idée, mise en valeur par Theodor Adorno, que c’est uniquement la forme qui met le système en danger quand elle transgresse les normes esthétiques dominantes.

Dans la contestation d’une époque

Clair et pédagogique, le parcours de l’exposition s’articule autour des combats dans lesquels s’engagent les participants de la Figuration narrative. Se suivent ainsi les réactions face à la guerre du Vietnam – Ivan Messac, Viet Nam 70 (1970-1971) – et une critique féroce du franquisme – le collectif espagnol Equipo Crónica, La fila ou Autoridades (1965). Puis, ce sont des problèmes sociétaux comme le cloisonnement urbain – une image glaçante d’un peintre peu montré, Christian Babou, Piscine - Grillage à bordure défensive (1974). Un chapitre important « Entre pin-up et émancipation » est, en outre, consacré à la place de la femme dans la société. Avec ce thème, une certaine ambiguïté et un second degré un peu fuyant sont partagés par la Nouvelle figuration et le pop art. Ce n’est pas un simple hasard si, aux côtés d’une critique de la condition féminine – Edgard Naccache, Images de femmes (1967) –, on trouve ici une représentation nettement moins tranchée, Pied (chaussure) artistique d’Allen Jones (1966), un des pionniers du pop art britannique. La consommation effrénée est par ailleurs mise en évidence. Si la voiture et l’avion incarnent le tourisme de masse – Don Eddy, Départ DC-8 III (1969) –, c’est surtout l’alimentation qui tient ici la vedette – Peter Stämpfli, Drink (1964), Glacière [Icebox] (1963).


Le mérite de l’exposition est de montrer clairement la contestation par ce mouvement lequel est sanctionné par l’indifférence ou l’ignorance du monde muséal et souvent critiqué en raison du didactisme parfois simpliste de certaines œuvres. Il est vrai que les détracteurs de ce que l’on a appelé à ses débuts la « Nouvelle Figuration » restent insensibles à l’idée qu’il s’agit d’une « Figuration autre » et non d’une simple régression, et la jugent non en fonction de ce qu’elle est, mais en fonction de ce qu’elle n’est pas.

Années pop, années choc, 1960-1975
Années pop, années choc, 1960-1975,
jusqu’au 31 décembre, Mémorial de Caen, esplanade du Général Eisenhower, 14050 Caen.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°617 du 22 septembre 2023, avec le titre suivant : 1960-1975, une Figuration narrative engagée

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