Justice

Des héritiers de Peggy Guggenheim déboutés de leurs demandes contre la Fondation

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 3 juillet 2014 - 830 mots

PARIS [03.07.14] - Le TGI de Paris a rejeté le 2 juillet l'ensemble des demandes des consorts Rumney et Hélion, en se fondant notamment sur un protocole transactionnel de 1996. Ceux-ci souhaitaient voir constater la révocation des legs de leur ancêtre consentis à la Fondation Guggenheim, l'atteinte portée à la collection et à la sépulture.

Le débat portant sur la qualification de la collection de Peggy Guggenheim comme oeuvre de l'esprit n'a pas eu lieu, cette question ayant déjà été tranchée. Ainsi en a décidé le tribunal de grande instance de Paris, le 2 juillet 2014, saisi par certains descendants de l'ancienne galeriste et collectionneuse. La nièce de Solomon Guggenheim avait, en effet, fait don en 1970 à la Fondation Guggenheim de son palais vénitien, le Palais Venier dei Leoni, puis, six ans plus tard, de sa collection constituée principalement d’œuvres d’art moderne et d’objets en verre, riche de plus de 300 pièces. L'ensemble des objets de la collection formait un tout cohérent, que la défunte souhaitait voir demeurer intact.

Une dizaine d'années après le décès de la collectionneuse, et face au remaniement du musée et de la disposition des oeuvres, une partie des héritiers de Peggy Guggenheim avaient dès 1992 saisi la justice française afin de voir ordonner la « remise en état » des différents legs. Déboutés par le TGI de Paris le 7 décembre 1994, les demandeurs avaient alors formé appel avant de signer un protocole transactionnel avec la Fondation Guggenheim. Tant cette procédure que cet accord ont guidé l'analyse opérée par le tribunal des demandes récemment formulées par les héritiers.

Ceux-ci avaient constaté, lors de la biennale de Venise de 2013, que la collection avait été divisée en plusieurs lots dont certains avaient été sortis du palais, au sein duquel la disposition des oeuvres restantes avait été transformée. Ainsi, des oeuvres de la collection Schulhof se trouvaient au lieu et place de l’essentiel des oeuvres de Peggy Guggenheim, et ce, sans leur accord. Par ailleurs, le jardin où Peggy Guggenheim repose désormais était occupé par des sculptures provenant de la collection de milliardaires texans, Daisy et Raymond Nasher, ces derniers bénéficiant même d'une plaque apposée sur le mur d’entrée du jardin. Dès lors, la Fondation n'aurait nullement respecté le protocole de transaction, signé le 10 décembre 1996 et mettant fin à la procédure alors initiée. Pire, la Fondation aurait commis une violation de la sépulture en transformant le jardin, « sacré » selon les demandeurs, en un lieu purement commercial.

Or, l'accord passé disposait en son article 5 que les consorts Hélion et Rumney se désistaient purement et simplement de leur appel, accordant ainsi au jugement du 7 décembre 1994 force de chose jugée pour « tous les aspects de la direction et/ou de l'administration du palais et/ou de la collection par la Fondation ». En conséquence, le présent jugement retient l'irrecevabilité des demandes formulées au titre de la remise en état des legs, de la révocation de la donation et de l'atteinte à la collection, considérée par les demandeurs comme une oeuvre de l'esprit. Et cela en raison de l'identité des parties en présence, de la cause de l'action et de l'objet des demandes.

Ce dernier point peut susciter néanmoins la critique. Si les demandes formulées en 1992 et en 2013 portent certes toutes deux sur le remaniement non autorisé par les héritiers, et en apparence contraire aux volontés de la défunte, l'ampleur du remaniement et l'expression de celui-ci diffèrent. Par ailleurs, si le jugement prononcé en 1994 avait retenu que « le droit italien en matière de droits d’auteur ne reconnaît pas spécialement à une collection de tableaux la qualité d’œuvre d’art protégée », divers arguments s'opposaient désormais à retenir pareille solution. Les demandeurs ont ainsi souligné que « le droit italien reconnaît la protection d’œuvre constituée par la "réunion d’œuvres ou de parties d’œuvres" dans la mesure où elle présente "un caractère de création autonome", ce qui est le cas d’une collection ». A l'appui de cette démonstration était invoquée la décision de la cour d'appel de Paris du 2 octobre 1997 ayant « reconnu la qualité d'oeuvre de l'esprit à la collection », plus précisément l'exposition, d'Henri Langlois, invitant ainsi les juges à interpréter la loi italienne sur le droit d'auteur à la lumière de la jurisprudence française, les deux droits étant proches. Le tribunal retient cependant que les demandeurs ne peuvent rediscuter ce point sous peine de remettre en cause une décision passée en force de chose jugée, c'est-à-dire devenue définitive.

A suivre Me William Bourdon, l'un des avocats des demandeurs, la présente solution est « potentiellement dangereuse en ce qu'elle accorde une licence absolue, éternelle et sans limite » à la Fondation de disposer à son gré de la collection. La cour d'appel de Paris, devant laquelle l'affaire sera portée, devra ainsi trancher à nouveau un conflit opposant deux branches d'une même famille, deux visions de la gestion d'une collection, et potentiellement accueillir cette dernière au sein du droit d'auteur.

Légende photo

La fondation Peggy Guggenheim - Palazzo Venier dei Leoni - Venise - 2014 © photo Ludosane

Thématiques

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque