Histoire

Le vide n’est pas rien

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 698 mots

Le Centre Pompidou remet en scène une sélection d’expositions ayant eu le vide pour matière.

PARIS - Circulez, y a rien à voir ! C’est l’appel premier que semblent lancer les espaces désespérément vides situés au bout de l’enfilade du quatrième étage du Musée national d’art moderne, à Paris. Neuf salles, théâtre de l’exposition « Vides. Une rétrospective », qui n’abritent rien d’autre que leur qualité architecturale traditionnelle – murs blancs immaculés et système d’éclairage – sans ajout d’aucune sorte, sans modifications, ni matière tangible à l’exception d’un cartel et du bref descriptif d’un projet à l’entrée de chacune d’elles.

Négation relative
Beaucoup de négations donc, mais, ainsi que l’écrit fort justement l’artiste californien Tom Marioni dans les pages du catalogue, « La négation n’existe pas sans ce qu’elle nie ». Alors vides ces salles ? Assurément non, mais occupées par le vide… nuance !
La manifestation du Centre Pompidou consiste donc en une réactivation de neuf expositions ayant eu le vide pour sujet, matière et « objet », depuis « La Spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée », communément appelée « exposition du Vide », présentée par Yves Klein à la galerie Iris Clert en 1958. « Un inventaire le plus juste et le plus radical des expositions radicalement vides », selon les mots de Laurent Le Bon, conservateur au Musée national d’art moderne.
La constitution d’un commissariat collectif s’est faite presque par hasard, lorsque les différents protagonistes – Laurent Le Bon et Mathieu Copeland, les artistes John M. Armleder, Mai-Thu Perret et Gustav Metzger, et l’écrivain Clive Phillpot – se sont rendus compte que tous réfléchissaient à la manière de mettre en œuvre une exposition sur ce thème.
Succèdent donc à Klein des propositions de Art & Language (The Air-Conditionning Show, qui en 1966-1967 s’interrogeait sur l’apparition progressive de la climatisation dans les lieux d’exposition) ; Robert Irwin qui s’intéresse, lui, à la qualité intrinsèque des lieux auxquels on n’ajoute rien mais qui réfute l’existence du vide (Experimental Situation, 1970) ; ou Laurie Parsons qui, en 1990, fit à New York une exposition vierge de tout objet dont le carton ne comportait ni nom, ni date mais uniquement l’adresse ; une exposition qu’elle retira par la suite de sa biographie, et qui n’est ici mentionnée par nul cartel. Sont aussi de la partie Maria Eichhorn, qui en 2001 consacra le budget de son exposition à la rénovation de la Kunsthalle de Berne où elle ne montra rien d’autre (Money at the Kunsthalle Bern) et Roman Ondák qui à la galerie gb agency, à Paris, faisait croire au visiteur qu’un système d’écoute caché équipait les lieux (More Silent Than Ever, 2006). Si leur forme paraît similaire, les vides sont donc loin d’être identiques. Leur juxtaposition fait sens en démontrant que les réalités et textures de ce qui semble à l’œil homogène furent étayées par des appareils théoriques bien distincts.
Interpelle en outre la dimension temporelle de l’expérience, impliquée par la réadaptation de ces projets à leur nouveau cadre, menée avec l’accord de chacun des protagonistes – Klein excepté bien entendu ; nulle recréation des espaces originaux n’ayant été effectuée. Ainsi que le souligne John Armleder, « il s’agit d’un projet où l’on a tout faux. On travaille avec des artistes à une reproduction qui n’est pas une reconstitution historique. » La formule mérite réflexion, en effet.
La publication accompagnant cette rétrospective, une somme bien pleine à l’inverse, s’impose comme un ouvrage nécessaire et qui pourrait faire date, en ce qu’il rassemble, outre des réflexions relatives aux artistes exposés, plus de trois cents pages d’anthologie sur la question, avec des contributions de Benjamin Buchloh, Jean-François Chevrier, Allan Kaprow & Robert Smithson, Ralph Rugoff, Robert Rauschenberg ou Lucy Lippard, entre autres. Avec les vides, il y a beaucoup à voir.

VIDES. UNE RÉTROSPECTIVE, jusqu’au 23 mars, Centre Pompidou, 75191 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Cat. co-éd. JRP Ringier/Centre Pompidou, 540 p., 300 ill., ISBN 978-2-84426-393-3, 39 euros.

VIDES
Commissariat : John M. Armleder ; Mathieu Copeland ; Laurent Le Bon ; Gustav Metzger ; Mai-Thu Perret ; Clive Phillpot
Nombre d’artistes : 9
Nombre d’œuvres : 9

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Le vide n’est pas rien

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