Bande dessinée

François Schuiten, retour vers son futur

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 19 novembre 2014 - 815 mots

En pleine préparation de son exposition à la Cité de l’architecture, l’artiste nous a reçu dans son atelier. Où l’on a rencontré un véritable metteur en scène rétrofuturiste.

Schaerbeek, commune limitrophe de Bruxelles, est connue pour être la ville natale de Jacques Brel. Plus pour longtemps. La Belgique, qui n’est pas avare de talents, y abrite en effet l’étonnant voyageur François Schuiten qui y achève d’ailleurs la scénographie du nouveau musée « Train World », vitrine du passé, du présent et du futur des chemins de fer belges, dans la gare même. À une centaine de mètres de cette dernière, perché dans le spacieux atelier aménagé sous les combles lumineux de sa vaste demeure, Schuiten et son chaleureux flat-coated red river Jim – un vrai chien, pas un robot – accueillent leurs visiteurs, cernés par deux larges bibliothèques au contenu inspirant et d’imposantes commodes en bois qui digèrent lentement les archives des projets à succès et ceux avortés. Auteur de bandes dessinées, illustrateur d’affiches, scénographe, concepteur graphique pour l’opéra ( La Cenerentola de Rossini) et pour le cinéma (À la croisée des mondes : La Boussole d’or, Mister Nobody ), le maître d’œuvre prolifique et éclectique maîtrise ces exigeantes disciplines avec brio et, aussi, avec Benoît Peeters, son camarade de jeu depuis leurs 12 ans avec qui il exposait déjà au printemps dernier à la BnF. Avec une rigueur monacale, de 8 h 30 à 19 h précises, Schuiten cartographie, parfois, de son propre aveu, laborieusement un univers ou l’architecture prend une place importante. L’artiste n’en finit jamais d’en découdre avec le tissu urbain.

Dans l’atelier, un doux parfum suranné
Dans son atelier, ceux qui s’attendraient à rencontrer des ordinateurs, une tablette Cintiq ou quelques écrans tactiles pour servir l’imagerie postmoderniste du coauteur des cités obscures, en seraient pour leurs frais. Si un parfum de futurologie flotte, il n’a ici envahi que les sujets, pas les objets. Seule une photocopieuse – déjà obsolète – dénonce un peu l’époque. À croire qu’à force d’en explorer les travers, il se méfierait des effets aliénants de l’autonomisation et de la technologie. Les thématiques récurrentes de l’univers de Schuiten sont tournées vers les conditionnels de demain, mais son métier reproduit des gestes séculaires où le pinceau et le pastel caressent des papiers sélectionnés avec un souci maniaque. Jusque chez l’imprimeur.

Passé la tentative de l’étiqueter en promoteur de la futurologie, c’est surtout un authentique raconteur d’histoire, soucieux de déclencher des émotions qui s’animent devant son interlocuteur. Projetant dans son imaginaire ses propres visions il invite au voyage. De ses balades à travers les territoires oniriques qui vous sortent, comme lui, virtuellement de son atelier, n’émerge cependant aucun fantasme ni idéal, car Schuiten explore davantage ses fascinations que ses désirs, et inquiète le regard, érigeant avec un dessin réaliste, fruit d’une formation académique et de l’influence d’un père architecte pédagogue et exigeant, des cités redoutées plus que souhaitées. C’est là, dans un équilibre virtuose, qu’il trace sa ligne élégante, aussi inspirante qu’inspirée.Son Paris futuriste, développé dans Revoir Paris, pioche dans les utopies de la capitale à travers les délires revisités du Corbusier, d’Auguste Perret, d’Hector Horeau et de Robida. Et des récits de Jules Verne dont il a analysé les tendances, par goûts d’esthète instruit mais aussi par plaisir plastique. Ironiquement, Schuiten a naguère collaboré « pour de vrai » au projet du Grand Paris, période Christian Blanc, avant le changement de direction, labourant alors le champ des possibles, préalables indispensables à la décision stratégique, réducteur d’incertitudes, mais avec un ludisme assumé, car il ne prétend pas fournir de cahier de tendances, mais de réelles pistes visuelles de réflexions sur l’aménagement de l’espace. On s’étonnera d’ailleurs qu’il n’ait jamais été approché pour rejoindre les équipes des Imagineers de Walt Disney qui inventèrent l’Epcot Center tant il est intarissable sur la question urbaine. Les idées ne parvenant pas à mourir, une majeure partie des visions, intuitives plus qu’envisagées, se retrouve donc dans l’exposition à la cité de l’architecture.

Schuiten nous prépare donc à des demains potentiels. Il élabore des scénarios crédibles, mais n’engage aucune promesse. C’est un « ambianceur » visuel, un véritable metteur en scène qui flirte avec la prospective. Également un homme dont l’inquiétude sert de moteur. Quelle meilleure énergie que le besoin de résoudre sans prétendre à l’absolu ? Derrière sa table à dessin trônent, avec majesté, des planches originales de ses maîtres en bandes dessinées : Milton Caniff (Steve Canyon) et Alex Raymond (Flash Gordon). S’ouvre alors une porte déterminante sur la compréhension de cet artiste protéiforme unique qui aurait pu, comme son père et l’un de ses frères, devenir architecte : un goût très prononcé pour la mise en scène et la narration. Et Schuiten d’être alors interprété comme un baliseur d’environnements virtuels, comme si, à l’instar de l’expérience rétrofuturiste offerte sur la ligne 11, à la station Arts et Métiers, il nous offrait des songes.

« Revoir Paris, Francois Schuiten et Benoît Peeters », du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015. Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, Paris-16e. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 19 h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 5 et 3 €. Commissaires : François Schuiten, Benoît Peeters et Christelle Lecoeur. www.citechaillot.fr

Francois Schuiten, Revoir Paris, Casterman, 64 p., 15€.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : François Schuiten, retour vers son futur

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