Un marché français plus combatif

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2008 - 1729 mots

Le marché parisien a atteint environ 1 milliard d’euros de transactions aux enchères en 2007. La concurrence s’intensifie entre les principaux opérateurs.

Joan Miró - L’oiseau (1926)

Le marché parisien a vu s’accentuer encore en 2007 l’écart entre les grandes maisons de ventes et les autres. L’hôtel Drouot annonce un chiffre d’affaires de ventes d’art stable par rapport à 2006, soit 500 millions d’euros. Ce montant est égal à celui engrangé à eux seuls par les quatre principaux opérateurs du marché de l’art français (Christie’s, Artcurial, Sotheby’s et Tajan). Ces derniers enregistrent en revanche une progression de 14 % par rapport à 2006. Si Paris semble avoir pesé environ un milliard d’euros en 2007, Christie’s et Sotheby’s évaluent à environ 6 milliards de dollars (4 milliards d’euros) chacun leur résultat au niveau mondial.
Christie’s se maintient à la première place en France pour la cinquième année consécutive. Forte d’une certaine agressivité commerciale, elle se donne tous les moyens pour conserver ce titre. Mêlant ventes de prestige et vacations accessibles à un plus large public (44 ventes au total), Christie’s enregistre une évolution de son chiffre d’affaires de 31,7 % par rapport à 2006, si l’on ne prend pas en compte l’extraordinaire collection Dray d’Art déco qui lui avait rapporté près de 60 millions d’euros l’an dernier. En 2007, ses ventes d’art d’après guerre et contemporain se taillent la part du lion avec 41 millions d’euros de recettes, devant les départements mobilier et objets d’art (29,8 millions d’euros, 29,6 % par rapport à 2006), art moderne (29 millions d’euros) et art d’Asie (27 millions d’euros), grâce à une prestigieuse collection de cloisonnés qui a rapporté 17,6 millions pour ce dernier. Mais la maison de ventes a procédé il y a six mois à une réévaluation des frais acheteur : ils sont passés de 23,92 % TTC à 29,9 % TTC du prix d’adjudication sur les premiers 5 000 euros, ce qui fausse la comparaison avec 2006. En 2008, Christie’s compte sur les acheteurs pour payer d’éventuels frais supplémentaires liés au droit de suite, lesquels étaient jusqu’alors imputés aux vendeurs. La compétition s’accélère. Tous les moyens sont bons.

Artcurial talonnée
Artcurial conserve sa deuxième place, non loin devant Sotheby’s en pleine conquête de parts de marché en France. La maison de ventes de l’hôtel Dassault a organisé pas moins de 98 ventes cataloguées avec pour fer de lance l’art moderne (32,5 millions d’euros, 52 % par rapport à 2006) et l’art contemporain (33,2 millions d’euros, 23,5 % par rapport à 2006). Très orientée vers l’art du XXe siècle, Artcurial tient à garder une visibilité dans le domaine complémentaire du design, qui a totalisé 3,9 millions d’euros, ainsi que dans le secteur de la photographie, qui lui a rapporté 1,8 million d’euros. Soulignons l’apport non négligeable du département automobiles de collection (8,3 millions d’euros), qui va être confronté à partir de 2008 à la concurrence féroce de Bonham’s en France.

Sotheby’s s’implante
En 2007, Sotheby’s a amorcé une avancée en force sur le territoire français, avec le soutien de sa direction internationale. Son chiffre d’affaires 2007, qui a largement passé le cap des 100 millions d’euros, est supérieur à celui cumulé des deux années précédentes. Pour ce faire, l’équipe française a été renforcée notamment par l’arrivée du commissaire-priseur parisien Cyrille Cohen comme vice-président de Sotheby’s France et apporteur d’affaires, et par celle de Guillaume Cerutti à la présidence de la filiale française. Ce dernier s’est attelé à convaincre les pouvoirs publics de modifier les conditions de développement des maisons de ventes en France sur le plan tant des réglementations que de la fiscalité. Du côté des ventes, elle a enregistré un boom sur l’art contemporain avec 31,6 millions d’euros (contre 8,3 millions d’euros en 2006) et défend une position honorable dans le domaine du mobilier et objets d’art, avec 25 millions d’euros de produit de ventes. Sotheby’s détient en outre le leadership pour les arts premiers avec 13,7 millions d’euros ; les livres et manuscrits avec 13,4 millions d’euros et l’orfèvrerie européenne,  laquelle fait l’objet d’un département distinct de celui du mobilier, avec 2,9 millions d’euros en 2007. Parallèlement, l’auctioneer a exporté hors de France environ 150 millions d’euros d’œuvres d’art, un chiffre stable depuis plusieurs années. 2008 devrait être encore plus combative pour la maison de ventes, dont l’objectif est de se hisser à Paris au niveau de son concurrent mondial, Christie’s, tout en respectant sa stratégie de sélection d’objets haut de gamme. En 2007, le prix moyen d’un lot vendu à Paris chez Sotheby’s s’élevait à 34 000 euros (contre 18 300 euros chez Christie’s et 7 160 euros chez Artcurial), soit une progression notable par rapport aux années précédentes (20 200 euros en 2006 et 12 900 euros en 2005).
La maison Tajan est, elle, en baisse et perd une place. Son département art contemporain (6,3 millions d’euros en 2007) décline depuis deux ans et son domaine historique du mobilier ancien se voit largement distancé par le XXe siècle. Tajan a même conquis le leadership à Paris pour les ventes d’Art déco et design avec 13 millions d’euros en 11 vacations, devant Christie’s (11,4 millions d’euros), Artcurial (9 millions d’euros) et la SVV Camard (cette dernière n’a pas réalisé une bonne année avec à peine plus de 7 millions d’euros dans sa spécialité phare).

Progressions spectaculaires chez les SVV moyennes
De la 5e à la 10e place, le classement français des SVV est un peu bousculé. Avec seulement 19,3 millions d’euros de chiffre d’affaires, exit la SVV Beaussant-Lefèvre du Top 10, limitée dans son développement quand d’autres progressent. Claude Aguttes a passé la barre des 50 millions d’euros en 2007. Avec 42 millions d’euros de recettes réalisés à Drouot (dont une moitié revient aux tableaux de l’ancienne collection André Lefèvre), le commissaire-priseur neuilléen, par ailleurs l’un des plus importants actionnaires de l’hôtel des ventes parisien, en devient un poids lourd. Également en progression, Piasa approche la barre des 50 millions d’euros, sans pour autant arriver à vraiment percer dans l’art contemporain. Le succès de la maison de ventes repose sur la confiance accordée par sa clientèle dans des secteurs plus traditionnels. La SVV Cornette de Saint Cyr a quant à elle doublé son chiffre d’affaires de 2006. Même sans la lucrative vente Delon, elle affiche une croissance confortable de plus de 50 %, et ce grâce à l’art contemporain dont le montant des transactions est passé de 14,5 millions d’euros en 2006 à 23,3 millions d’euros en 2007 (hors Delon). Sans avoir bénéficié de collection extraordinaire à l’exemple de la succession Brassaï l’an dernier, la SVV Millon tire son épingle du jeu. Ses nombreuses ventes thématiques et le renforcement des départements tableaux modernes (12,2 millions d’euros, soit le double de 2006) et Art déco avec 4,2 millions d’euros ( 30 % par rapport à 2006) lui ont permis de se démarquer. La plus grosse surprise vient de la rentrée dans notre Top 10 des maisons de ventes de la SVV Gros-Delettrez. L’engouement pour les tableaux orientalistes de la part de collectionneurs du Maghreb et du Moyen-Orient a fait littéralement exploser ses ventes dans cette spécialité, avec 16 millions d’euros en deux sessions de prestige en 2007 contre un peu plus de 5 millions en 2006. Cinq enchères supérieures à 1 million d’euros pour des tableaux d’Étienne Dinet y ont été comptabilisées (parmi lesquelles une enchère à 1,9 million d’euros, le record mondial pour l’artiste). Enfin, la SVV Pierre Bergé présente un chiffre de ventes cumulé à Paris et Bruxelles de 42,2 millions d’euros. Mais elle figure au classement en tant qu’invitée, car son axe de développement est clairement belge et son activité à Drouot (hors vente Berès) est devenue minoritaire.

Les résolutions 2008
Pour 2008, Sotheby’s entend concentrer encore davantage ses efforts sur Paris. Christie’s souhaite rester numéro 1. Artcurial, qui a mis un pied à Shanghaï, tiendra le marteau pour ses premières ventes d’art chinois en Chine (lire p. 24). L’auctioneer Bonham’s se lancera dans des ventes à Paris. Les SVV Cornette de Saint Cyr et Millon pourraient s’associer et monter en puissance si les plus anciens actionnaires de la SVV Millon lèvent leur veto à ce projet. Et Piasa reste très mystérieuse sur une prochaine prise de participation par un groupe d’investisseurs.
Néanmoins, Paris reste tout petit. Si l’art moderne et contemporain gouverne le marché de l’art dans le monde, il ne représente en France qu’une petite part du gâteau. Selon Artprice, l’Hexagone se situe au 3e rang des ventes d’art moderne avec 7 % du marché international en valeur, loin derrière les États-Unis (39 %) et le Royaume-Uni (30 %). Pour l’art contemporain, le marché français (2 %) est relégué à la 4e place, derrière la Chine, qui cumule à 18 % du marché en valeur, après New York (43 %) et Londres (30 %). Un fossé.

Les ventes françaises qui ont marqué l’année 2007

- La collection Alain Delon de tableaux de la seconde école de Paris et du mouvement CoBrA, SVV Cornette de Saint Cyr, Drouot, le 15 octobre : 8,7 millions d’euros (40 lots vendus) - La collection Alice Tériade d’art moderne, Artcurial, le 20 octobre : 10 millions d’euros (15 lots vendus) - La collection Jean Thuile de céramique et orfèvrerie, SVV Tajan, Drouot, le 24 octobre : 1,9 million d’euros (198 lots vendus) - La collection Dormeuil d’émaux et d’ivoires médiévaux, Sotheby’s, le 19 novembre : 9,5 millions d’euros (27 lots vendus) - La collection Paul Rosenberg d’art impressionniste et moderne, Christie’s, le 3 décembre : 5,7 millions d’euros (37 lots vendus) - La collection de M. le professeur et Mme Robert de Strycker de laques chinoises, Piasa, Drouot, le 5 décembre : 3 millions d’euros (76 lots vendus) - La collection Juan José Amezaga et Maria Dolores Feijo de cloisonnés chinois, Christie’s, les 13 juin et 7 décembre : 17,6 millions d’euros (88 lots vendus) - Seated Woman (Portrait of Muriel Belcher) (1961), tableau de Francis Bacon importé des États-Unis, Sotheby’s, le 12 décembre : 13,7 millions d’euros - La 6e et dernière partie du fonds de la librairie Pierre Berès, Pierre Bergé & associés, Drouot, les 17 et 18 décembre : 5,3 millions d’euros (634 lots) - Les collections de mobilier et objets d’art Smadja et Qizilbash, Christie’s, le 19 décembre : 9,1 millions d’euros (57 lots vendus) - Tableaux modernes de l’ancienne collection André Lefèvre, SVV Aguttes, Drouot, le 21 décembre : 21,7 millions d’euros (9 lots vendus)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Un marché français plus combatif

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