Musique

Rock is not dead

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2008 - 836 mots

De Bruxelles à Saint-Nazaire, des espaces d’exposition orchestrent les retrouvailles du rock et des arts plastiques. Ou quand la musique devance certaines stratégies artistiques.

De Patty Smith photographe (ce printemps à la Fondation Cartier, Paris) à Brian Wilson (des Beach Boys) commissaire d’exposition l’hiver dernier au CAPC Musée d’art contemporain à Bordeaux (1), les exemples ne manquent pas qui illustrent la récente tendance institutionnelle à s’ouvrir aux horizons de la musique, en particulier du rock’n’roll. Cet été, tandis que Jérôme Sans profite de l’effet de mode pour honorer son image de curateur-rock star avec « It’s not only rock’n’roll, baby ! », présentée au Palais des beaux-arts de Bruxelles, le Life (Lieu international des formes émergentes), à Saint-Nazaire, inaugure « Sonic Youth etc ». L’activité prolifique du groupe noise, qui n’a cessé en trente ans de tisser des liens entre la musique, l’art et la littérature, pose les fondements d’une relecture pluridisciplinaire des eighties. Dans son périple qui, après la France, se poursuit au Museïon de Bolzano (Italie), puis à la Kunsthalle de Düsseldorf avant la Suède, l’Australie et les États-Unis, cette exposition risque de saccager gaiement les dernières cloisons qui subsistaient encore après l’analyse croisée entre l’art contemporain et le rock telle que l’ont initiée Dan Graham, John Miller ou encore Kim Gordon (figure de proue des Sonic Youth).

De son côté, Jérôme Sans, messianique, révèle, entre les œuvres de Patty Smith, d’Alan Vega (pionnier de l’électro), ou encore de la chanteuse heavy gothic Kembra Pfahler, « une autre histoire du rock », qui naîtrait dans les écoles d’art. Mais le prétexte d’un passage par une formation artistique avant d’attraper la guitare est trop mince pour que ressorte quelque chose de ce casting élastique. Ainsi, au Palais des beaux-arts, l’ennuyeuse succession des salles monographiques ressasse les clichés d’une certaine « esthétique rock », confinant parfois au ridicule dans les mises en scènes trash de Kembra Pfahler et les peintures mégalomanes qu’exécute Pete Doherty avec son sang et son sperme. Pourtant, l’histoire que raconte Sonic Youth commence de la même manière. « En ce temps-là [à la fin des années 1970], ceux qui sont venus à Manhattan pour faire de la musique étaient des plasticiens, peintres, réalisateurs, dramaturges », rapporte le guitariste du groupe punk Lee Ranaldo, qui était de ceux-là, à l’instar d’une Kim Gordon venue de Los Angeles dont elle avait conservé l’amitié de Mike Kelley, qui grattait lui-même les cordes avec Jim Shaw dans le groupe Destroy All Monsters. Pour cette génération, la musique est un prolongement de la pratique plastique. Les membres du groupe sont les premiers représentant de ce va-et-vient entre les disciplines. Leurs multiples collaborations avec les artistes plasticiens, qu’illustrent les pochettes de leurs albums réalisées par Raymond Pettibon, Kelley et Richard Prince, ou les clips de Tony Oursler, en font les catalyseurs de ce qui ressemble à une scène d’avant-garde. À Saint-Nazaire, au creux de cette exposition labyrinthe qui mène de la poésie beatnik de Jack Kerouac au cinéma Hardcore de Richard Kern des années 1980, se dessinent les héritages et les aspirations d’une génération qui grandit dans les années 1970, essuyant le deuil des idéaux de leurs aînés. À contre-courant de l’Amérique des Yuppies, elle se complaît dans l’adolescence et communie dans l’expression cathartique de la violence refoulée. La « no wave » entend faire table rase, son mot d’ordre est la destruction − que subissent symboliquement les guitares sur scène −, à partir de laquelle s’énonce sous une forme inédite une critique politique et sociale.

Entre les lignes, « Sonic Youth etc » montre que l’attitude du rock à l’égard du capitalisme généralisé et de l’aliénation par les médias adopte, sinon devance, certaines stratégies plastiques. Par exemple, le Karaoké inversé (2005) que signent Kim Gordon et Jutta Koether rappelle que le rapport artiste-spectateur, qui traverse l’exposition via le motif récurrent de la star, a d’abord été désacralisé par le geste d’Iggy Pop se lançant dans la fosse du public avant d’être renégocié dans les dispositifs de Dan Graham (ici au centre de l’exposition). Mais c’est surtout sa condition inévitable de marchandise que la musique rock prend à parti en intégrant délibérément la culture de masse, ruinant du même coup la hiérarchie moderniste entre high et low culture [culture savante et populaire]. À ce propos, Kim Gordon écrit : « Pour moi c’était comme une étape suivante [...], travailler réellement à l’intérieur de la culture populaire et essayer de la changer, ou avoir un impact sur elle. » Dan Graham n’a-t-il pas déclaré que le rock avait remplacé les avant-gardes ?

(1) « B. W. : If everybody had an ocean ».

- SONIC YOUTH ETC. SENSATIONAL FIX, jusqu’au 7 septembre, LIFE, base des sous-marins, alvéole 14, bd de la Légion-d’Honneur, 44600 Saint-Nazaire, tél. 02 28 54 99 45, mer.-vend. 14h-19h, sam.-dim. 12h-20h, www.lelife.org - IT’S NOT ONLY ROCK’N ROLL, BABY !, jusqu’au 14 septembre, Palais des beaux-arts, 23, rue Ravenstein, Bruxelles, Belgique, tél. 32 70 34 45 77, tlj sauf lundi 10h-18h, le vendredi jusqu’à 22h, www.bozar.be

SONIC YOUTH ETC. - Commissaire de l’exposition : Roland Groenenboom - 82 artistes (et groupes) IT’S NOT ONLY ROCK’N’ROLL - Commissaire de l’exposition : Jérôme Sans - 21 artistes (et groupes)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Rock is not dead

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