L'actualité vue par

Patrice Béghain, adjoint au maire de Lyon, délégué à la Culture et au Patrimoine

« Il y a une réelle dérive de la dépense culturelle de l’État »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 1648 mots

Adjoint au maire de Lyon, délégué à la Culture et au Patrimoine, depuis 2001, Patrice Béghain (PS) a été, de 1983 à 1996, directeur régional des Affaires culturelles (Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées et Franche Comté) puis conseiller technique auprès du ministre de la Culture Catherine Tasca de 2000 à 2001. Il revient sur le rôle de l’État, des villes et des régions en matière culturelle et commente l’actualité.

Quels sont les projets culturels de la ville de Lyon ?
À partir du mois d’avril, nous lançons un ensemble de manifestations consacrées au XIXe siècle. Toutes les institutions de la ville vont y participer : le Musée des beaux-arts, les archives municipales, la bibliothèque, le Musée de l’imprimerie, ainsi que le Musée Gadagne qui va bientôt rouvrir. En travaux depuis la fin des années 1990, il abrite le Musée historique de la ville, en passe d’être entièrement rénové, et le Musée de la marionnette. Quant à l’École nationale des beaux-arts de Lyon, elle fête cette année son bicentenaire. Actuellement perdue sur les pentes de la Croix-Rousse, elle va s’installer d’ici à mars aux Subsistances, où se trouve déjà un pôle de création artistique, lieu de référence de la création contemporaine et des arts du spectacle. L’École nationale des beaux-arts va trouver une nouvelle visibilité. L’idée est de voir comment un établissement de formation dans le domaine des arts visuels et plastiques et une structure davantage tournée vers les arts de la scène vont pouvoir, par rencontres, par frottements, travailler ensemble, sans, bien sûr perdre leur identité. Il n’y aura aucune confusion des genres. Dans le même secteur, nous avons aussi un autre projet concernant la musique contemporaine, mais ce serait pour le prochain mandat. Le centre de la création musicale de Lyon, le Grame, pourrait être installé dans un nouveau lieu juste en face des Subsistances ; nous aurions alors sur les deux rives de la Saône un ensemble dédié à l’art et de la création. Avec l’École nationale des beaux-arts, la Biennale de Lyon (en septembre), le Musée d’art contemporain, mais aussi La Salle de bains ou la BF15 – qui vont tous deux bénéficier de nouveaux locaux –, nous avons pour ambition de créer un pôle qui, après Paris, serait le second en France consacré à l’art contemporain.

Dans ce paysage artistique que vous souhaitez de plus en plus cohérent, quelle place accordez-vous au futur Musée des Confluences, projet du Conseil général, qui n’est, semble-t-il, pas réellement apprécié par la municipalité ?
Ce musée, davantage tourné vers des questions de société et de civilisation, est une sorte de nouveau Musée de l’homme dont l’architecture va un peu décoiffer ! Le choix qui a été fait [l’agence d’architectes autrichiens Coop Himmel(B)lau] est un groupe d’architectes qui, volontairement, ont choisi la décontextualisation de leur projet, sans chercher à s’insérer dans le paysage. Lorsqu’on vient de l’autoroute A7, on aperçoit progressivement la silhouette de la ville de Lyon, avec Fourvière au loin. Bientôt, on ne verra plus que le Musée des Confluences. Je suis pour l’audace en architecture, mais, peut-être fallait-il un projet plus en harmonie avec l’entrée de Lyon… L’essentiel est qu’il s’agit d’un beau projet, qui attirera du monde. C’est tout à fait bénéfique pour l’ensemble des musées de Lyon.

Quels rôles joue la communauté urbaine du Grand Lyon en matière culturelle ?
Les communautés urbaines sont peu à peu en train de développer des compétences culturelles. Mais, si cela est plus facile pour ce qu’on appelle les communautés d’agglomération comme Annecy ou Amiens, pour des grandes villes comme Lille, Marseille ou Lyon, la situation est beaucoup plus complexe. D’abord, parce qu’un certain nombre de villes dans la communauté urbaine de Lyon, comme Villeurbanne, ont déjà des politiques culturelles clairement identifiées, qu’elles ont souvent conçues comme un élément d’identité par rapport à Lyon, pour, justement ne pas être des villes dortoirs. D’autres villes, en revanche, s’accommodent bien du fait que l’essentiel des dépenses culturelles soit assumé par Lyon. C’est donc assez délicat à gérer. Pour les biennales de danse et d’art contemporain, la communauté urbaine joue un rôle déterminant parce qu’il s’agit d’événements fédérateurs qui ne se déroulent pas qu’à Lyon. Demain, il faudra aller plus loin en ce sens pour ce qui est du réseau de la lecture publique, de la musique ou du théâtre. En revanche, pour les grands équipements lyonnais, cela me paraît plus complexe.

Vous évoquiez la Biennale de Lyon, est-elle assez soutenue par les pouvoirs publics ?
Nous avons une inquiétude. J’ai entendu les ministres de la Culture successifs dirent que c’était la Biennale française de référence en matière d’art contemporain. Et puis, voilà qu’on crée au Grand Palais une triennale… Je ne comprends pas très bien ce que cela signifie. Quand on voit les difficultés que nous avons à négocier avec le ministère de la Culture, je m’étonne qu’on puisse trouver tant de crédits pour créer une nouvelle manifestation. Il est légitime que Paris dispose de grandes institutions et de manifestations à un niveau international, mais il faut aussi considérer que les métropoles françaises peuvent assumer et assurer la responsabilité culturelle internationale de la France… Nous allons rentrer dans une période électorale. J’aimerais que les candidats à la présidence de la République se situent clairement sur ces questions, dans le domaine culturel en particulier, de l’équilibre des forces et donc des dépenses de l’État sur l’ensemble du territoire national. Aujourd’hui, il y a une réelle dérive de la dépense culturelle de l’État sur Paris et son environnement immédiat, en témoignent la Triennale au Grand Palais ou la Cité de la création à Boulogne-Billancourt – qui va coûter à elle seule environ 100 millions dont la moitié sera financée par l’État… Cela pose un réel problème aux grandes villes de France. Il faut accepter qu’à Bordeaux, Marseille, Nantes, Lyon ou Lille, il puisse y avoir des grandes manifestations fortement soutenues par l’État et qui concourent à la réputation internationale de la France.

Selon vous, est-ce l’une des questions prioritaires à aborder en vue des présidentielles ?
Oui, il faut absolument que le ministre de la Culture se positionne clairement sur ces enjeux. Lors de ses vœux, il n’a quasiment cité que des événements parisiens comme s’il n’existait rien ailleurs ! Pourtant, Lyon consacre 20 % de son budget à la Culture… Il faut absolument une redistribution des cartes et une réflexion nouvelle sur les prochaines étapes de la décentralisation dans le domaine culturel, après l’échec flagrant de la loi 2004, avec ses dispositions inapplicables. Pendant 60 ans, l’État a conduit avec succès la politique culturelle de ce pays. Depuis les années 1980, les villes, les régions et les départements sont devenus les financeurs privilégiés de la Culture. Il faut donc redistribuer les rôles. L’État doit garder des compétences très fortes dans les domaines scientifique, technique et déontologique ; les régions et les villes doivent recevoir des compétences nouvelles et les moyens qui vont avec.

Que pensez-vous de la polémique autour du projet d’un musée estampillé « Louvre » à Abou Dhabi ?
Avant tout, je pense qu’on s’y est très mal pris. S’il s’agit de prêter des collections nationales pour des durées plus ou moins longues, de faire des transferts d’expertise, et de présenter l’art occidental dans un pays musulman, cela me paraît plutôt une bonne intention… Ce qui est grave, en revanche, c’est la manière dont cela a été engagé avec une instrumentalisation totale de la culture par le politique. Les musées ont mis du temps à conquérir leur autonomie, grâce notamment à la compétence des conservateurs. En tant qu’élu, je suis intransigeant quant au respect de l’autonomie des conservateurs. Dans le cas d’Abou Dhabi, on a pris le problème à l’envers, puisqu’on s’est engagé dans une affaire diplomatico-commerciale avec un fort relent d’odeur de pétrodollars. Heureusement, je crois que les responsables du Louvre ont réussi à rectifier le tir et faire valoir leurs exigences. Cette affaire m’inspire une proposition dont l’État, qui a un peu failli dans sa démarche, pourrait s’inspirer : que le ministère de la Culture et la direction des Musées de France  prennent l’initiative de l’élaboration, dans la concertation avec les conservateurs et les élus, d’une sorte de code de déontologie des musées, dans lequel on fixe des cadres pour éviter les dérives. Les conservateurs doivent rester les maîtres de leur politique de dépôt et de leurs démarches. Ce n’est pas le rôle des élus et des diplomates, ni celui des marchands d’Airbus. Quant aux grands musées nationaux, ils doivent prioritairement se tourner vers les grands musées de région, pas comme chefs de file, mais plus comme partenaires. Nous savons tous pertinemment qu’une grande partie des œuvres du Louvre viennent des régions ! J’ai évoqué le jour de l’inauguration de l’exposition Stella [au Musée des beaux-arts de Lyon] devant Vincent Pomarède [responsable du département des peintures au Musée du Louvre et ancien directeur du Musée des beaux-arts de Lyon] le grand tableau de Salviati, L’incrédulité de Saint-Thomas, qui se trouvait jusqu’à la Révolution dans la Chapelle du Couvent des Jacobins de Lyon. J’aimerais bien que sous forme d’un dépôt, ce tableau et d’autres puissent revenir à Lyon… Il faut que des projets à Atlanta ou Abou Dhabi ne tarissent pas la source des dépôts. Pour finir sur une note positive, je constate néanmoins que nos relations avec le Louvre, Orsay ou le Musée national d’art moderne sont plutôt encourageantes !

Des expositions ont-elles retenu votre attention récemment ?
L’exposition Stella bien sûr ! Au Musée du Louvre, j’ai trouvé l’exposition Hogart très décevante, avec trop de monde, à l’inverse l’exposition consacrée à Desiderio da Settignano est un véritable modèle, intelligente et raffinée. Je salue également l’exposition à la Maison Rouge sur la collection Sylvio Perlstein qui est très bien présentée. Voilà un beau lieu qui fait honneur aux initiatives privées. J’ai hâte de voir « Philippe de Champaigne » à Lille (en avril) et aussi les nouveaux aménagements du Musée Fabre de Montpellier (lire page 6).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Patrice Béghain, adjoint au maire de Lyon, délégué à la Culture et au Patrimoine

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