Les perles de la foire

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 28 février 2011 - 1733 mots

La rédaction du « Journal des Arts » a sélectionné six pièces phare proposées sur Tefaf - Analyse
de ces peintures, mobilier, sculptures antiques, objets d’art et manuscrits exposés au salon.

Sculpture antique élégante
 

Torse masculin en marbre, art romain du Ier siècle ap. J.-C., 87,6 cm, proposé 540 000 euros par Sycomore Ancient Art (Genève).

Dans le domaine des antiquités classiques, il existe un marché d’amateurs de pièces spectaculaires de grandes dimensions, dépassant largement le cercle plus restreint des collectionneurs d’archéologie pure. La belle statuaire décorative, en particulier en marbre, trouve preneur à des prix parfois plus élevés que ceux des objets moins sensationnels possédant un grand intérêt historique. S’intégrant parfaitement dans un décor moderne ou contemporain, les beaux marbres gréco-romains, qui font partie des œuvres où le choix décoratif prime largement sur l’intérêt historique, ont une place de choix à Tefaf. Ainsi ce torse masculin en marbre de belle qualité, finement sculpté, présentant une musculature à la fois puissante et discrète, est-il d’un grand esthétisme. Sur son avant-bras gauche, il retient avec élégance l’extrémité de son vêtement. « Ce buste plus grand que nature est probablement un fragment d’une statue représentant un empereur romain », estime Anna Zielinski, de la galerie genevoise Sycomore. Cette pièce esthétiquement bien balancée, ne présente aucune cassure disgracieuse, grâce à quelques restaurations habiles remontant au début du XXe siècle. Elle faisait partie d’une collection américaine dans les années 1980.

Manuscrit richement enluminé

Livre d’Heures de Jean sans Peur, manuscrit enluminé de 17 miniatures sur vélin par le Maître du bréviaire de Jean sans Peur, Paris ou Bourgogne, 12,5 x 7,7 cm, vers 1415, estimé entre 1,2 et 2,4 millions d’euros par Sam Fogg (Londres).

Cet important manuscrit richement enluminé des Heures de Jean sans Peur a été peint vers 1415 par le Maître du bréviaire de Jean sans Peur, l’un des plus grands enlumineurs du XVe siècle et l’un des artistes des Très Riches Heures du duc de Berry. Provenant de la bibliothèque de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, puis transmis par descendance à Yolande de France, épouse du duc de Savoie Amédée IX, et non localisé depuis, l’ouvrage est réapparu aux États-Unis (en Nouvelle-Angleterre) en 1999. Il a figuré par la suite dans plusieurs expositions majeures sur l’art français au XVe siècle, notamment au Musée Thyssen-Bornemisza (Madrid) en 2001, au Cleveland Museum of Art (Ohio) et au Musée du Louvre (Paris) en 2004. Ce manuscrit, l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste avec le bréviaire enluminé pour Jean sans Peur conservé à la British Library (Londres), contient treize miniatures entièrement réalisées de sa main. Quatre autres inachevées, sans doute parce qu’il est mort de la peste en 1416, furent terminées par deux autres artistes dont Antoine de Lonhy, peintre à la cour du duc de Savoie. Le style particulier et la technique quasi-pointilliste, mais aussi le traitement des ors, sont tout à fait remarquables chez le Maître du bréviaire de Jean sans Peur. Bien que les scènes qu’il représente soient comparables à celles peintes par les frères Limbourg, il n’est pas un servile copiste. Il a, en effet, introduit de nombreuses variantes d’une grande originalité, visibles notamment dans la scène de La Flagellation (ill. ci-dessus), où un homme appuie son pied contre le dos du Christ tout en lui tirant la tête d’une main et le flagellant de l’autre.

Objet monté d’origine princière

Coupe sur pied en quartz fumé monté en or émaillé attribuée à Dionisio Miseroni, Prague, vers 1633, 12,8 x 14,1 x 14,2 cm, proposée 500 000 euros par la galerie Kugel (Paris).

Considéré à l’égal d’une pierre précieuse, le cristal de roche a toujours été très recherché depuis les XVIe et XVIIe siècles. Des objets d’art d’un très grand luxe, sculptés dans ce matériau et montés en or, se retrouvaient presque exclusivement dans les collections royales. Cette coupe en quartz légèrement fumé, en forme de coquille finement gravée, est probablement un cadeau de l’empereur Ferdinand III à Melchior, comte puis prince von Hatzfeldt (1593-1658). Par descendance, elle fut conservée jusqu’en 1945 au château de Trachenberg en Silésie (actuelle Pologne). Elle est ornée de canaux, de trophées militaires, de drapés, de fruits et des armoiries de la famille Hatzfeldt, des motifs qui confortent l’hypothèse d’un don de la coupe par l’empereur Ferdinand III à Melchior von Hatzfeldt en 1633, lorsqu’il fut nommé maréchal. Un anneau en or rehaussé de deux petites anses en volutes et d’émaux en partie translucide relie la coupe au pied balustre. La base est bordée d’une moulure en or rehaussée d’émaux opaques. Ce travail d’une grande qualité sculpturale est attribué à Dionisio Miseroni (1607-1661), lapidaire originaire de Milan installé à Prague, nommé administrateur du trésor impérial au château de Prague par Ferdinand III. Lors de la vente de la collection Saint Laurent-Bergé, à Paris en février 2009, un pot à bouquet en cristal de roche, vermeil et rubis, réalisé à Milan à la même époque et ayant fait partie des collections royales françaises, a été adjugé 529 000 euros. Le couple de collectionneurs l’avait acheté à la galerie Kugel (Paris), la même qui présente cette coupe en quartz à Tefaf.

Rembrandt  incontournable

Portrait d’un homme mains sur les hanches par Rembrandt Van Rijn, huile sur toile, 107,4 x 87 cm, 1658, proposé 35 millions d’euros par Otto Naumann (New York).


Montrer un Rembrandt à Maastricht relève presque d’une tradition. Elle fut notamment instaurée par la galerie Noortman (Amsterdam) en 2001, avec un Portrait de femme âgée ainsi qu’un Portrait d’homme barbu habillé en rouge, qu’elle avait acheté pour 12,6 millions de dollars quelques mois plus tôt chez Christie’s. L’année suivante, c’était au tour d’Otto Naumann (New York) de présenter Minerva pour 40 millions de dollars, tandis que Salander O’Reilly (New York) a montré quatre ans plus tard Saint Jacques le Majeur. Portrait d’un homme mains sur les hanches, impressionnant mais austère (l’un des rares connus des années 1657-1659), proposé cette année par Naumann, est bien connu du marché. Il avait été acquis pour le prix record de 20,2 millions de livres sterling (22,5 millions d’euros) chez Christie’s en décembre 2009 par le collectionneur de Las Vegas, Steve Wynn. « Rembrandt reste un nom magique, avec lequel on peut toucher aussi bien des amateurs de peinture classique qu’impressionniste et moderne, notamment les acheteurs russes. C’est le seul nom, avec Vinci et Raphaël, qui fasse rêver, bien au-delà des époques », constate Nicolas Joly, spécialiste chez Sotheby’s. Au-delà même de la figure de Rembrandt, le marché de la peinture hollandaise, colonne vertébrale de Maastricht, reste vivace grâce à l’appétit des collectionneurs américains. Ainsi, en janvier dernier, un tableau très maniériste de Joachim Wtewael, représentant Adam et Ève, s’est-il adjugé pour la coquette somme de 6,2 millions de dollars chez Sotheby’s. En décembre 2010, une vue de Haarlem par Gerrit Berckheyde s’est envolée pour 2,6 millions de livres sterling chez Christie’s. « Les Hollandais sont des champions de la technique, avec des œuvres qui nous arrivent souvent en parfait état, et de surcroît signées. Pour le haut du panier, c’est un marché très rassurant », constate Elvire de Maintenant, spécialiste chez Christie’s.

Metzinger au sommet de son art

Portrait de Max Jacob par Jean Metzinger, huile sur toile, 91,2 x 64 cm, 1913, proposé 2,2 millions d’euros par Jacques de la Béraudière (Genève).
 

Attention chef-d’œuvre ! Certes, il peut sembler étonnant d’appliquer ce superlatif à un artiste souvent cantonné au rang de « petit cubiste », mais ce tableau ayant appartenu à Léonce Rosenberg mérite l’hyperbole. Dans les années 1910, sous l’influence de Braque et Picasso, Metzinger affirme son style cubiste et en théorise le concept dans l’ouvrage Du cubisme, coécrit avec Albert Gleizes en 1912. L’année suivante, il réalise le portrait du poète Max Jacob, présenté sur Tefaf par le marchand Jacques de la Béraudière (Genève). Comme Juan Gris, Metzinger introduit la couleur dans le cubisme. La dernière de ses œuvres proprement cubistes passée en vente est un paysage autour de 1916-1917, adjugée 2,3 millions de dollars chez Christie’s en 2007. « C’est un cubisme appliqué, avec des aplats. Metzinger a fait du cubisme pas comme les cubistes, tout comme avant il avait fait du fauvisme différemment des fauves, ou du pointillisme autrement que les pointillistes. Ce serait réducteur de le mettre dans l’ombre, de prétendre qu’il n’a fait que du copier-coller car, en terme de date, il est exactement dans le bon créneau », souligne Thomas Seydoux, spécialiste chez Christie’s. Les belles pièces sont néanmoins extrêmement difficiles à trouver. « On a plus facilement un Picasso qu’un beau Metzinger, constate le marchand parisien Michel Zlotowski. Malgré tout, il n’atteint pas encore les prix des cubistes du premier cercle. »

Design danois en toute discrétion

Meuble d’appui à deux portes par Christen Emanuel Kjær Monberg, laque bleu-gris et rehauts d’or, poignées en bronze doré, plateau en céramique peint d’Axel Salto, 1923. Fait partie d’un ensemble, comprenant une table d’appoint, un meuble d’appui, une grande table et 12 chaises, proposé 120 000 euros par Éric Philippe (Paris).

Dessiné en 1929 pour la résidence de Monsieur Magaard, président de la société des armateurs danois, cet ensemble créé par l’ébéniste Kjær Monberg en association avec l’un des plus célèbres céramistes danois, Axel Salto, relève du pur néoclassicisme. Le goût pour l’antique apparaît au Danemark dès 1800. En 1838, le Musée Thorvaldsen, à Copenhague, s’inspire d’Herculanum et de Pompéi. « Au XXe siècle, les nombreux voyages d’artistes et le goût danois pour un certain exotisme enrichissent ce style d’une influence africaine dans les matières et dans les motifs primitifs », constate le marchand Éric Philippe (Paris). Ce style connaît son apogée avec l’exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, à Paris. Le pavillon danois s’impose avec un esprit à la fois cubiste et néoantique. Il est toutefois extrêmement difficile de dégager une dynamique de marché, car ce mobilier sur mesure apparaît très rarement en ventes publiques. L’intérêt est cependant bien réel. En 2002, la trentaine de pièces danoises présentées en galerie par Éric Philippe fut cédée en l’espace d’une semaine. « À qualité, appartenance à un mouvement artistique et rareté égales, les prix restent inférieurs à ceux de l’Art déco français avec l’avantage, bien souvent, d’acquérir une pièce unique en évitant le côté « déjà-vu », indique le marchand. Une chose est certaine : la cote de ce type de mobilier est tranquillement ascendante depuis une vingtaine d’années et elle n’a pas subi de désaffection. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Les perles de la foire

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