Design

Les masques low cost des designers

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 31 mai 2020 - 957 mots

La pénurie récente de masques en France et dans le monde a conduit les designers à imaginer des modèles innovants, faciles à faire soi-même et même esthétiques. A défaut de confort, certains ne manquent pas d’humour.

Masque en origami de l'architecte-designer Laurent Karst. © Laurent Karst
Masque en origami de l'architecte-designer Laurent Karst.
© Laurent Karst

Le monde du design n’a pas attendu le résultat des tergiversations à propos de l’utilité ou non du masque pour apporter son écot à la lutte contre la propagation du Covid-19. Fin mars, la société transalpine Isinnova, spécialiste de l’impression 3D, est à pied d’œuvre, détournant le célèbre masque de plongée Easybreath de Décathlon, pour y adapter une valve raccordable à une alimentation en oxygène. Décathlon mettant en ligne ses secrets de fabrication du masque, et la firme italienne le brevet de sa valve imprimée, les imprimantes 3D s’activent sans discontinuer sur toute la planète.

En France, la production de supports de visière de protection, entre autres, explose, que ce soit à la plateforme technologique Pro3D de l’Université de Montpellier qui fournit le CHU de la ville ou, à Paris, à l’École nationale supérieure de création industrielle et à l’École nationale supérieure des arts décoratifs. Sans oublier le projet collaboratif 3D4Care entre des universités franciliennes et l’AP-HP. En Belgique, l’entreprise Materialise invente un ouvre-porte mains libres qu’elle livre également en open source.

Il en est de même avec le masque (chirurgical ou en tissu) qui, depuis le 11 mai, est devenu l’objet majeur du déconfinement, et dont le port a, notamment, été rendu obligatoire pour les usagers des transports en commun. Dès le mois d’avril, nombre de couturières et couturiers émérites se sont lancés dans une production maison. Aux États-Unis, c’est même le chef opérationnel de l’agence fédérale chargée de la protection de la santé publique (Centers for Disease, Control and Prevention), le médecin et vice-amiral Jerome Adams, qui publie une vidéo devenue « virale » pour expliquer comment fabriquer un masque de fortune avec « une vieille écharpe, un bandana ou un t-shirt » (1). Une initiative saluée par l’International Association for Universal Design, à Yokohama, qui met en ligne ses propres versions, à partir de textiles japonais plus subtils, évidemment (2).

Les designers n’ont pas attendu pour agir. Un brin méfiant à l’égard de la qualité de filtration des tissus domestiques, Laurent Karst, architecte designer et enseignant à l’École nationale supérieure d’art de Dijon, poste sur YouTube un tutoriel pour réaliser soi-même un « masque écran », façon origami, baptisé avec humour le MQR ou Mieux Que Rien (3, voir ill.). Pour ce faire, il a œuvré avec un chercheur de l’Université de Paris-Saclay, Filippo Fabbri, et visionné une modélisation, réalisée par des scientifiques japonais, de la propagation du virus en cas de toux, d’éternuement ou même d’une conversation rapprochée. Elle montre de façon explicite que les particules extrêmement volatiles du Covid-19 peuvent rester en suspension dans l’air durant vingt minutes (4). « Aujourd’hui, la seule parade est de porter un masque », insiste Laurent Karst. Sa proposition, « une solution intermédiaire », se décline en deux modèles : l’un recyclable, en papier sulfurisé, à décontaminer au four ; l’autre jetable, en papier armé d’une feuille d’aluminium. Dans la même veine et à l’opposé des spécimens découpés au laser ou qui requièrent une imprimante 3D – que les particuliers ne possèdent pas –, le Français Germain Verbrackel, designer chez Lunar Design, à San Francisco, a mis en ligne un patron très simple de masque en papier jetable qui se déplie comme un accordéon, à imprimer chez soi, facile à faire avec une feuille de format A4, du scotch et de la ficelle (5).« Certes, le papier n’est pas aussi confortable que la soie, précise Germain Verbrackel, mais ce masque prétend être une protection pour les sorties ponctuelles et de courte durée. »

Vers un masque intégral

Pour assurer une plus grande protection, d’aucuns ont planché sur un bouclier facial, autrement dit une large visière transparente qui supplée le masque. À l’origine destinés au personnel soignant, ces modèles ont tôt fait d’être adoptés par le grand public. Ainsi en est-il, au Royaume-Uni, du Batch Shield BSL01, conçu à quatre mains par le designer Milo Mcloughlin-Greening et l’architecte Julien Vaissières, fondateur du laboratoire d’impression 3D Batch Works, à Londres. Au pays du soleil levant, Tokujin Yoshioka, fameux auteur de la torche olympique des JO de Tokyo 2020 – pour l’heure reportés en 2021 – a réalisé un face shield ou « écran facial » à la silhouette de masque d’escrime, destiné en particulier aux porteurs de lunettes. « Trois étapes suffisent pour créer ce masque, indique la star nippone. Placez ce gabarit sur une feuille de plastique transparent, coupez le long de la ligne directrice et attachez-la à vos lunettes. J’espère que cela pourra vous aider… » Les deux tailles proposées sont disponibles en open source (6).

Certains écueils ont même été résolus. Ashley Lawrence, étudiante en éducation des personnes sourdes et malentendantes à la Eastern Kentucky University de Richmond (États-Unis) a dessiné un masque avec une fenêtre translucide, ce qui permet de pouvoir lire sur les lèvres ou les repères faciaux. Mieux : ayant dû faire face à un problème de reconnaissance visuelle avec son smartphone, Danielle Baskin, designer et artiste à San Francisco, a imaginé un masque personnalisé avec impression sans distorsion du visage de son utilisateur, qu’elle fabrique avec « des encres non-toxiques faites de colorants naturels qui n’affectent pas la respirabilité ».

Comme si le scénario catastrophe de la pandémie n’était pas encore assez suffisant, le duo milanais DesignLibero (Libero Rutilo et Ekaterina Shchetina) propose, lui, un bubble shield, barrière physique complète qui se déploie de la tête aux genoux : « Une “zone protégée privée”, microstructure gonflable en polymère thermoplastique thermosoudé, avec compresseur et ventilateurs purificateurs d’air activés électriquement par énergie solaire. » Vivre dans sa propre bulle, est-ce vraiment cela « le monde d’après » ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°546 du 22 mai 2020, avec le titre suivant : Les masques Low cost des designers

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