Le Lord ne veut pas jouer les grands seigneurs

Lord McAlpine ne se sent pas obligé de rembourser au British Museum les pièces exhumées illégalement

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 27 février 1998 - 912 mots

L’ancien antiquaire et trésorier du parti conservateur, Lord McAlpine, a annoncé qu’il ne rembourserait pas les pièces uniques – découvertes au cours d’une fouille illégale – qu’il avait vendues de bonne foi au British Museum. L’institution londonnienne a rendu au propriétaire du terrain les objets imprudemment achetés, perdant ainsi près de 550 000 francs. Néanmoins, des négociations avec leur détenteur pour un arrangement favorable au musée sont en bonne voie.

LONDRES (de notre correspondant) - Le British Museum peut faire une croix sur les 55 000 livres sterling (550 000 francs) qui lui avaient servi à acheter – auprès de l’antiquaire Lord McAlpine – de rares boucliers celtiques trouvés près de Salisbury. Exhumés illégalement, ils avaient été, une fois l’affaire découverte, restitués au propriétaire du terrain pour des raisons d’éthique. En outre, le musée avait dû rendre l’argent généreusement offert par le National Heritage Memorial Fund (NHMF), réduisant d’autant son budget d’acquisition pour l’année 1995. Il s’était alors retourné vers le vendeur.

Celui-ci vient de refuser de rembourser le musée, arguant de sa bonne foi. “Les pièces sont passées par de nombreuses mains. Je ne vois pas pourquoi je devrais rembourser le British Museum alors qu’il n’y a aucune chance que je récupère mon argent de qui que ce soit”, a-t-il déclaré à notre partenaire éditorial The Art Newspaper. Lord McAlpine ajoute qu’il a lui-même restitué au propriétaire du terrain une vingtaine de pièces, acquises pour son propre compte.

Responsabilités partagées
Le scandale du “trésor de Salis­bury” a d’ailleurs finalement conduit l’antiquaire à abandonner son activité : “Le risque de se retrouver dans ce genre de situation est trop grand. Cette affaire a été une bonne leçon, et une leçon pour tout le monde. J’ai fermé ma boutique de Cork Street”.

Lorsqu’en juillet 1988, Lord McAlpine avait pris contact avec le Dr. Ian Stead, conservateur adjoint au British Museum, pour lui parler d’une remarquable collection de 22 boucliers miniatures (4 à 10 cm de long) en bronze, personne ne connaissait l’origine de ces pièces peu communes.

Ian Stead fut tout de suite intéressé, bien que la politique de l’institution ait toujours été de “refuser d’acheter tout objet sans provenance dûment établie.” Cependant, les trustees et le directeur de l’époque, Sir David Wilson, ont “considéré que ces pièces avaient une telle valeur archéologique qu’il fallait absolument les acquérir plutôt que risquer de les voir vendues ailleurs et dispersées.”

En juin 1989, les boucliers et d’autres œuvres furent achetés grâce à un apport du NHMF qui, dans son rapport annuel, décrivait le “trésor” comme “une remarquable découverte d’objets datant de l’âge du Fer (premier millénaire av. J.-C.), unique en Grande-Bretagne dans le domaine de l’art celtique”. L’ensemble comportait quatre boucles de harnais décorées provenant de l’attelage d’un chariot, une bordure de seau figurant un bœuf et un oiseau, et surtout les 22 boucliers en bronze, probablement des symboles votifs offerts aux dieux de la guerre : “Leur forme inédite et leur décoration en font le plus important trésor de ce type découvert en Europe. Ils pourraient constituer un indice important pour l’étude de toute une période méconnue de l’art celtique, affirmait le NHMF.

À cette époque, le Dr. Stead ignorait à peu près tout de la provenance de cette collection. Un véritable travail de détective lui a permis d’en découvrir le site : une ferme de Netherhampton, à l’ouest de Salisbury. Son enquête lui a appris qu’en février 1985, deux prospecteurs équipés de détecteurs de métaux avaient trouvé le “trésor” dans un puits creusé à flanc de colline. Il a été vite établi qu’ils avaient travaillé sans l’autorisation du propriétaire du terrain et la police a été alertée.

En mai 1995, James Garriock et Terence Rossiter plaidaient coupables devant le tribunal. Ils avaient cédé la majeure partie de leur découverte à un marchand du Lincolnshire pour 10 000 livres sterling (environ 100 000 francs). Sur les 560 pièces illégalement exhumées, environ 200 ont disparu. Elles auraient été dispersées en Europe et en Amérique.

Le British Museum gagnant ?
Malgré l’achat imprudent des boucliers, les relations entre le British Museum et le propriétaire du terrain sont plutôt bonnes. Une fois le site identifié, l’institution londonienne y a organisé les fouilles, mettant au jour en 1993 des poteries et des pièces de ferronnerie que le propriétaire lui a ensuite offert. Actuellement, des négociations sont en cours pour que les boucliers puissent revenir au British Museum, en partie grâce à un accord de dation, en partie par acquisition.

Il faut dire que l’étude du trésor et du site se révèle d’un intérêt scientifique exceptionnel. En premier lieu, les boucliers miniatures ont permis d’identifier les restes d’un bouclier long de 1,20 m – à l’origine recouvert de cuir –, découvert dans une tombe à Deal, dans le Kent. Bien que la partie organique ait disparu, sa forme a été préservée grâce à un cerclage de bronze identique à ceux de Salisbury.

D’autre part, le trésor réunit des pièces produites sur plus de 2 000 ans, mais toutes enfouies à la même époque. Les objets datent de 2200 à 200 av. J.-C., et l’on n’a toujours pas établi avec certitude pourquoi un groupe humain aurait rassemblé puis enterré des outils remontant à une civilisation beaucoup plus ancienne. Cette découverte souligne l’importance d’étudier le matériel archéologique dans son contexte, la valeur d’un tel ensemble surpassant la somme des objets qu’il contient. Ian Stead termine d’ailleurs une étude détaillée du “trésor de Salisbury”. Ses conclusions de­vraient être publiées dans le courant de l’année.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Le Lord ne veut pas jouer les grands seigneurs

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