Croatie - Restitutions

La Croatie fait un pas vers la restitution des œuvres volées sous les Oustachis

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 17 novembre 2022 - 718 mots

ZAGREB / CROATIE

Le Gouvernement croate a publié une liste d’œuvres volées pendant la Seconde Guerre mondiale et conservées dans ses musées.

La Légion Noire, unité d'infanterie de la milice Oustachis active en Croatie durant la Seconde Guerre mondiale. Photographie anonyme. © PD-Croatia
La Légion Noire, unité d'infanterie de la milice Oustachis active en Croatie durant la Seconde Guerre mondiale.
Photo Anonyme
© PD-Croatia

Après avoir refusé pendant des décennies de répondre aux demandes de restitution d'œuvres d'art pillées pendant la Seconde Guerre mondiale, la Croatie prend enfin des mesures pour rendre des œuvres d'art aux héritiers des familles juives spoliées par le régime des Oustachis (1941-1945), allié de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le Gouvernement croate vient de publier une étude en coopération avec World Jewish Restitution Organization (WJRO) (*), qui dresse la liste plusieurs collections volées dont beaucoup se trouvent encore conservées dans les musées du pays. Le rapport, intitulé Restitution of Movable Property in Croatia, veut montrer que le gouvernement « partage le souhait de rendre justice aux survivants de l'Holocauste et à leurs héritiers », a déclaré Nina Obuljen Koržinek, ministre croate de la culture, dans un communiqué. Son ministère a mis en place un groupe d'experts sur la recherche de provenance, dans le but d’améliorer le cadre législatif pour les requérants et de favoriser « l'attribution incontestable des biens pillés à leurs propriétaires légitimes », a-t-elle précisé.

La communauté juive de Croatie a été quasiment anéantie après l'invasion du pays par les puissances de l'Axe et la création en 1941 de l'État « indépendant » de Croatie, gouverné par les Oustachis (« les Insurgés » en croate), des séparatistes antisémites et fascistes qui combattaient le régime yougoslave. Environ 20 000 à 25 000 juifs ont été assassinés à cette époque, ainsi que des serbes, tziganes, musulmans et des communistes et intellectuels croates, la plupart dans le camp de concentration de Jasenovac. 

Les confiscations des biens juifs commencèrent en 1941 par l’expulsion des familles de leurs maisons, contraintes de laisser derrière eux leurs biens qui sont appropriés ou vendus par les nouveaux habitants. Après la Seconde Guerre mondiale, les objets culturels qui avaient été volés aux Juifs ont été nationalisés par le régime communiste et distribués aux musées d'État et d'autres institutions. 

Depuis que la Croatie a déclaré son indépendance de la République fédérale socialiste de Yougoslavie en 1991, les efforts de restitution s’étaient concentrés sur les biens confisqués par le régime communiste, mais pas sur les biens volés pendant la guerre.

La Croatie fait partie des 44 États qui ont approuvé les principes de la Conférence de Washington de 1998, en vertu desquels les gouvernements ont accepté de rechercher « une solution juste et équitable » pour les œuvres d'art volées par les nazis dans les collections publiques. D'autres signataires européens, comme les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Autriche, ont depuis mis en place des procédures de réclamation, et les restitutions sont devenues courantes pour les musées de ces pays. Mais jusqu'à présent, aucune restitution d'œuvres d'art des collections publiques croates à d'anciens propriétaires juifs n'avait été annoncée. Il n'existait pas non plus de liste exhaustive des œuvres d'art pillées encore détenues par les musées croates.

Naida-Michal Brandl, professeur associé spécialisé dans l'histoire juive à l'université de Zagreb, qui a été choisie pour rédiger le rapport sur les restitutions, est la première chercheuse indépendante à avoir accès aux archives du ministère de la Culture. Celles-ci sont conservées par une organisation créée à l'époque communiste appelée Commission pour la préservation des monuments culturels (KOMZA). Ces documents sont des listes de biens privés appropriés par le régime communiste, dont dix collections sont connues pour avoir été confisquées plus tôt sous le régime des Oustachis à des juifs qui avaient fui ou avaient été déportés. « Les archives de la KOMZA sont désormais accessibles au public et numérisées », a déclaré Obuljen Koržinek, le ministre croate. Si les listes ne constituent pas un inventaire complet des biens volés, l'ouverture des archives signifie que « les avocats auront accès à ces dossiers » a déclaré Mme Brandl. 

La Croatie a rejoint l'Union européenne en 2013 et doit adopter l'euro en janvier 2023. L'année prochaine, elle assumera également la présidence tournante de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, dont elle est membre depuis 2005. Le rapport sur les restitutions représente un tournant pour ce pays : « Un tout nouveau chapitre s'ouvre dans la façon dont la Croatie traite l'Holocauste », a déclaré au New York Times Sara Lustig, conseillère spéciale du Premier ministre pour les questions liées à l'Holocauste et la lutte contre l'antisémitisme.

NOTE

(*) Organisation juive mondiale pour la restitution des biens spoliés

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