Procédure

Haro sur l’Adagp

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 1019 mots

Le Syndicat National des Antiquaires poursuit son offensive contre le droit de suite. Mais les professionnels sont dubitatifs sur la méthode.

Après la requête déposée le 11 juillet au Conseil d’État pour demander l’annulation du décret d’application du droit de suite, le Syndicat National des Antiquaires (SNA) poursuit sa guérilla. Sa cible ? Les sociétés de perception des droits d’auteur, en substance la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp). Christian Deydier, président du SNA, a enjoint le 22 novembre ses adhérents à exiger des sociétés de collecte des droits d’auteurs la preuve du mandat confié par l’artiste ou par ses ayants droit.

Doute sur la probité
Le SNA met en doute la clarté et la probité des sociétés de perception. Dans un encart publicitaire dans le Figaro du 23 novembre, le syndicat affirme même que celles-ci ne reverseraient que 45 à 55 % des droits aux artistes. L’argumentation de l’avocat du SNA, Maître Brigitte Vergilino, s’appuie sur le rapport de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, publié en mars 2006. Celui-ci indiquait qu’au 31 décembre 2004, 6,4 millions d’euros perçus par l’Adagp n’avaient pas été répartis. La société de perception objecte que cet argent a été reversé selon les procédures habituelles, la majorité des versements s’effectuant en janvier et juillet. « On veut que le droit de suite profite à ceux à qui il est destiné, indique Maître Vergilino. La solution pourrait passer par la création d’une nouvelle société de perception ou une autre modalité de paiement. Si les artistes perçoivent plus, à la limite, on pourrait renégocier les taux, et tout le monde serait gagnant. » Sauf que les artistes qui ont le luxe de consacrer leur temps à réclamer le droit de suite auprès des maisons de ventes et des galeries, comme les familles Picasso et Matisse, se comptent sur les doigts de la main. « Quel pétard mouillé Christian Deydier, que nous n’avons jamais rencontré, est-il en train d’allumer ?, s’interroge Christiane Ramonbordes, directrice générale de l’Adagp. Les antiquaires ne vendent pas d’art contemporain, ou très peu. Depuis le 1er juin, nous n’avons pas reçu une seule déclaration de leur part, alors qu’on a eu une trentaine de paiements de droit de suite venant des galeries. » Et de rajouter : « Depuis 1920, les commissaires-priseurs payent le droit de suite, et en 54 ans d’existence, l’Adagp n’a pas reçu de contestation de leur part. Nos comptes sont épluchés tous les ans par notre commissaire aux comptes et par la commission permanente de contrôle mise en place par le ministère de la Culture. Nous avons des frais de gestion de 20 % et reversons donc 80 % des montants perçus aux artistes. L’an dernier, nous avons fait 12 633 euros de bénéfices. Nous ne nous en mettons pas plein les poches ! » La directrice générale précise, par ailleurs, que l’Adagp n’a pas perçu un centime de droit de suite pour des auteurs qui ne l’auraient pas mandatée. « Je peux envoyer à Christian Deydier tous les documents qu’il souhaite, poursuit Christiane Ramonbordes. Pour les artistes vivants, il y a les bulletins d’adhésion et pour ceux qui sont décédés, ils devront éplucher les chaînes d’actes notariés, certaines successions ayant jusqu’à 16 ayants droit. Ils veulent nous compliquer la vie, libre à eux, mais cela va nous obliger à recruter des gens pour faire des photocopies, ce qui augmentera les frais de gestion. »
Le SNA fait de l’agitprop pour gagner du temps, mais la montagne accouche d’une souris. « Ça a le mérite de mettre le débat sur la place publique et de renégocier avec les pouvoirs publics, défend Maître Vergilino. Comme il s’agit d’une directive, l’État ne peut pas l’annuler, mais on veut obtenir la suppression de la cotisation des galeries à la sécurité sociale. » L’État, qui a baissé la quote-part des galeries à la Maison des artistes à 1 % sur 30 % du chiffre d’affaires, sera-t-il prêt à payer toute la sécurité sociale de sa poche alors que les ministères doivent se serrer la ceinture ? Pas sûr.

Des artistes mieux informés
Le mot d’ordre de Christian Deydier a trouvé un écho à la Chambre Royale des Antiquaires de Belgique, laquelle soumettra la consigne à ses membres le 10 décembre. Néanmoins, pour beaucoup de professionnels français, le SNA se trompe de combat. Les galeries d’art contemporain préféreront sans doute traiter avec les sociétés de perception plutôt qu’avec les artistes en direct. Ces dernières savourent d’ailleurs peu que les créateurs soient désormais informés des prix de vente. « Ce n’est pas un problème pour les artistes avec lesquels on travaille et qui sont au courant des prix, mais peut être gênant pour ceux qui ont quitté la galerie et qui n’apprécieront pas qu’on brade ou qu’on prenne des marges énormes sur les œuvres qu’on a encore en stock », nous confiait voilà quelques mois un marchand. Le Comité professionnel des galeries d’art a d’autres priorités, comme la bataille pour que le droit de suite s’applique à la plus-value et non à la totalité du prix. Pour sa déléguée générale, Marie-Claire Marsan, il est nécessaire de revoir les taux, puisque la majorité des galeries vend à moins de 50 000 euros et sont taxées à 4 %. « Notre position est différente du SNA, précise pour sa part Henry de Danne, délégué général du Symev qui représente les maisons de vente. Nous voulons demander que l’ensemble des pays européens bénéficient de la dérogation des Britanniques sur les artistes décédés. Nous avons, par ailleurs, décidé de boycotter le paiement de la contribution des maisons de ventes à la Maison des artistes. » Restent d’autres subtilités à éclaircir. La loi impute le droit de suite au vendeur. Le décret, lui, entretient opportunément un certain flou. Ce qui profite à Christie’s laquelle a décidé, dès le mois de décembre, de porter le droit de suite à l’acheteur, mais uniquement sur certains lots. « Nous allons être flexibles, confie François Curiel, président de Christie’s France. La stratégie est de facturer l’acheteur comme à Londres, sauf si le vendeur préfère le prendre en charge. » Surpris par la démarche de son concurrent, Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France, observe, quant à lui, « qu’un décret ne peut déroger à la loi. Si des pratiques différentes naissent sur le marché, une clarification s’impose. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Haro sur l’Adagp

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