« C’est le cœur du marché de l’art »

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 965 mots

La galeriste Dominique Lévy s’est installée il y a un an à New York, en même temps qu’Emmanuel Perrotin et dans le même bâtiment, sur la Madison Avenue, dans l’Upper East Side.

Est-ce un rêve de devenir galeriste à New York ?
Non, le rêve est de devenir galeriste. Je crois que lorsqu’on a la passion de l’art, que l’on a envie de le montrer et de le partager, c’est un choix naturel. Je me sens aussi bien galeriste que marchande d’art ou conseillère artistique.

Est-ce que New York était mon rêve ? Non, au départ c’était l’Europe. Il se trouve que j’ai été contactée par François Pinault pour diriger le département international de Christie’s. L’idée de m’installer à New York m’a énormément excitée ; au bout de trois jours, je m’y suis sentie à la maison. Mais pour moi ce qui est important, c’est la galerie. Il s’avère que c’est à New York et c’est magnifique, car New York, c’est le cœur du marché de l’art.

Donc New York est encore la capitale des arts ?
Oui, je pense. Peut-être moins dans la créativité, qui se rencontre un peu partout : à Los Angeles, à Berlin, dans un tas de pays émergents. Mais New York reste l’endroit où l’on voit l’art, où l’on écrit sur l’art, où l’on vend l’art, où l’on vit l’art. Elle reste le pôle de l’action et du regard.

Est-il plus difficile de lancer un artiste à New York qu’ailleurs ?
Non, je crois que le contexte est aujourd’hui plus international. Un artiste peut démarrer à Londres, à Hongkong ou ailleurs. La localisation est beaucoup moins importante. Avec les foires, la mondialisation, ce n’est plus un problème de géographie.

Justement, les foires semblent moins présentes, moins imposantes à New York…
À New York, vous avez une telle concentration de galeries que les foires en deviennent presque inutiles. Si vous vous déplacez pendant trois jours dans la ville, vous aurez probablement vu plus que dans n’importe quelle foire. Les foires sont peut-être moins nécessaires. Mais celles de New york ont pris de l’importance ; Frieze New York, Armory Show se sont grandement développées même si elles n’ont pas la puissance de Bâle [Art Basel].

Une « promenade artistique » à New York permet-elle de dégager un style, une tendance nouvelle ?
Une tendance ? absolument pas. La grande caractéristique de notre époque est la liberté de création, la recherche voire la confusion, qui font que l’on ne voit plus aucun des -ismes qui ont fait leur apparition dans l’après-guerre.

Parlons du marché. Les prix sont-ils ici plus élevés qu’ailleurs ?
J’insiste : il n’y a plus de géographie. Les prix sont très élevés pour des œuvres de grande qualité mais ces ventes sont réalisées aussi bien à Londres qu’à Hongkong. Certes, New York et Londres sont de grands centres financiers, donc en général les prix obtenus y sont plus importants, mais des records s’établissent aussi bien à Genève qu’à Paris. Mais ce n’est pas New York contre Paris ou Genève ; le marché est plutôt global et les prix, j’insiste, sont liés à la qualité.

Est-il difficile d’être une galerie européenne à New York ?
Oui, car il existe encore une forme de chauvinisme de l’art américain. Une de mes passions, c’est de montrer l’art européen ici. Je montre également des artistes américains, mais jusqu’à maintenant, les grandes expositions que j’ai montées sont des expositions d’artistes européens. Par exemple, l’année dernière, avec Emmanuel Perrotin, nous avons monté une exposition importante de Pierre Soulages et publié un livre (Soulages in America). J’ai l’impression d’être une pionnière, d’aller à contre-courant même s’il existe une vraie sensibilité, une vraie ouverture face à ces expositions. Je ne suis d’ailleurs pas la seule. Non loin d’ici, la galerie Luxembourg & Dayan fait aussi ce type d’exposition et d’autres galeries américaines montrent également de temps à autre des artistes européens.

Y a-t-il des liens entre les galeries et les musées ?
Oui, il existe de vrais liens. Les conservateurs ont la possibilité d’écrire dans les catalogues des galeries. J’emprunte souvent des œuvres aux musées (au San Francisco Museum of Modern Art ou au MoMA, parmi d’autres). Nous faisons le même métier de façon différente. Il n’y a pas ce snobisme qu’on voit ailleurs, on forme tous une équipe. Par exemple, le Whitney Museum va faire une exposition importante de Frank Stella, artiste que je co-représente, et nous sommes très impliqués pour trouver des tableaux.

Quelle importance représente pour vous l’exposition de Roman Opalka que vous ouvrez aujourd’hui ?
C’est pour moi un artiste essentiel dont le geste unique, impossible, n’est pas encore assez reconnu. C’est un don du corps et de l’âme, une façon de repousser les limites du minimalisme et de l’art conceptuel. On trouvera dans l’exposition aussi bien les œuvres les plus anciennes que les dernières qui s’approchent d’un blanc absolu.

À l’opposé de l’œuvre silencieuse d’Opalka, on assiste au festival Jeff Koons, au Whitney mais aussi un peu partout à New York. Qu’en pensez-vous ?
C’est un artiste que je connais très bien, que j’aime et que je respecte. Je pense que l’exposition du Whitney lui rend enfin justice. On a l’habitude d’associer Koons au kitsch et au pop, du fait qu’il est l’un des artistes les plus chers. Pour moi, il a une façon subversive de regarder le luxe. En sortant de l’exposition, j’avais l’impression d’avoir vu quelque chose qui dérange dans ses excès et dans ses perfections. Je pense que dans vingt ans les sociologues vont regarder cette œuvre avec beaucoup d’intérêt.

Roman Opalka, peinture, jusqu’au 18 octobre, galerie Dominique Lévy, 909 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 772 2004, www.dominique-levy.com.

Et aussi Farhad Moshiri, jusqu’au 4 octobre, Galerie Perrotin, 909 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 812 2902, www.perrotin.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : « C’est le cœur du marché de l’art »

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