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Musée Dobrée, une mosaïque d’architecture et de collections

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 22 avril 2024 - 1323 mots

NANTES

À la fin du XIXe siècle, à Nantes, le fils d’un riche armateur passionné d’art fait construire le manoir de ses rêves. Entièrement restauré et modernisé, le musée redéploie ses trésors d’art médiéval, de bibliophilie et d’archéologie.

Le 18 mai scellera-t-il la fin de la malédiction du Musée Dobrée ? C’est ce que l’on souhaite à l’établissement nantais dont le sort s’apparente à une véritable arlésienne, ponctuée d’interminables rebondissements depuis sa fermeture pour rénovation il y a douze ans. L’institution, que certains comparent à une ZAD tant elle a cristallisé le débat, a ainsi vu ses travaux plusieurs fois reportés en raison de recours déposés par des associations locales dénonçant les choix architecturaux. Le projet initial conçu par Dominique Perrault a été abandonné et c’est finalement celui de l’atelier Novembre qui a été mis en œuvre. Projet lui aussi contesté malgré son respect du patrimoine existant. Coup dur supplémentaire, le site s’est vu dérober sa Joconde, le reliquaire du cœur de la duchesse Anne de Bretagne, en 2018. La pièce d’orfèvrerie a miraculeusement été retrouvée saine et sauve, mais ce vol a encore renforcé l’idée que de mauvais esprits planent sur le musée. Aujourd’hui, il espère tourner la page et aller de l’avant, porté par le souffle d’une réouverture longtemps attendue. Gageons que les travaux, très réussis, mettront un terme à ces tumultes et donneront un nouvel élan à cette institution, née sous les meilleurs auspices en 1899.

palais d’inspiration médiévale et manoir du XVe siècle

Son fondateur Thomas Dobrée (1810-1895) a en effet vu les choses en grand pour héberger sa splendide collection. Le Nantais demande tout simplement à Eugène Viollet-le-Duc, l’« archi star » du moment, de lui dessiner un palais d’inspiration médiévale pour l’abriter. Or le commanditaire est très exigeant et a une idée précise de ce qu’il veut, il retoque ainsi sans complexes les plans du maître, trop néo-gothiques à son goût. Comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, Dobrée prend donc son crayon pour tracer la maison de ses rêves. Il pousse le souci du détail jusqu’à imaginer les animaux qui gargouillent sur le toit, avec une prédilection pour les ours, mais aussi le bestiaire plein de fantaisie des chapiteaux coiffant les colonnes du hall d’entrée. Résolument néo-roman, cet immense bâtiment dialogue élégamment avec le manoir de La Touche, ancien logis épiscopal du XVe siècle trônant au cœur de l’îlot qu’il a acquis. Le maître des lieux avait initialement prévu de présenter ses trésors dans ce bâtiment historique. Un projet compromis par l’irrésistible expansion de cette collection fleuve. D’autant que, depuis, l’esprit du musée a considérablement évolué : outre les acquisitions de Dobrée, il est décidé que le lieu accueille également la collection engoncée dans le minuscule Musée archéologique de Nantes. D’emblée, ce lieu aux faux airs de Poudlard se présente comme un véritable patchwork. Un collage architectural, encore accentué par l’érection, dans les années 1970, d’un édifice brutaliste qui complète le paysage ; mais surtout une détonante mosaïque de collections. À l’inauguration, les pièces archéologiques investissent ainsi le rez-de-chaussée tandis que les perles médiévales et bibliophiliques glanées par le fondateur dans les plus prestigieuses ventes publiques illuminent le premier étage. En homme de son temps et de son rang, Dobrée élève de fait le collectionnisme au rang d’art de vivre. Collectionneur en chambre, il ne se déplace pratiquement jamais et sélectionne méthodiquement les plus beaux objets sur catalogue. Fils d’un riche armateur, dont il a entre autres hérité la collection d’objets asiatiques, il utilise l’art pour notabiliser son patronyme, lui qui n’est pas d’extraction aristocratique contrairement à la bonne société nantaise. Il se distingue ainsi par la finesse de ses choix et le pédigrée des pièces qu’il ravit à la barbe des musées et des grandes fortunes. À la vente du prince Alexis Soltykoff, une célèbre vacation du Second Empire, il s’offre par exemple l’exceptionnelle châsse de saint Calmin et un magnifique aquamanile médiéval. Deux objets qui font toujours la réputation du musée. L’élan décisif que Dobrée apporte à son musée encourage, jusqu’aux années 1950, une kyrielle de donateurs à suivre son exemple. Leur générosité et leur éclectisme ont conféré à l’établissement sa tonalité si originale. Rares sont en effet les lieux à rassembler médailles et monnaies, pièces d’archéologie, d’ethnographie, mais aussi des bijoux, des vases Art Nouveau et des armes historiques. Sans oublier les souvenirs liés aux guerres de Vendée qui font partie des objets les plus admirés du musée. La refonte du site revendique totalement cet ADN de maison de collectionneur et joue judicieusement la carte de l’intimité et l’histoire du goût. La scénographie inspirée d’Adeline Rispal assume des partis pris forts tel ce mur-bibliothèque sublimant la collection de céramiques, et le fil rouge de l’accrochage : une série d’alcôves racontant des histoires singulières plutôt qu’une histoire de l’art. Restructuré de la cave aux combles, le site déploie 2 400 objets, dont 1 900 restaurés, dans un circuit malin qui aiguise la curiosité ; laissant augurer du meilleur pour ce lieu enfin sorti de la tourmente.

Le monde dans les combles

La plus grande surprise du nouveau parcours est sans conteste ses combles qui accueillent dorénavant des collections inédites. Cet espace à l’architecture très enveloppante est en effet l’écrin des collections méditerranéennes, mais aussi extra-européennes provenant d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Ces dernières n’ont pratiquement jamais été montrées ni étudiées. La rénovation a par conséquent été l’opportunité de se saisir de ce sujet brûlant, car on le sait, la provenance de ces objets est aujourd’hui un sujet sensible. Plutôt que d’ignorer cette problématique, et de continuer à ne pas montrer ces pièces, l’institution a fait le choix d’assumer le débat et de reconstituer leur historique pour faire, autant que possible, la lumière sur leurs conditions d’acquisition. Ces pièces ont en effet pour beaucoup été achetées dans le contexte colonial ou trouvées par des savants. Pour l’heure, les recherches ont montré qu’aucune n’était issue d’un pillage ni avait fait l’objet de réclamation.


Une extension de verre et d’acier

Le musée s’est offert une rénovation d’envergure, d’un montant de 50 millions d’euros. Le geste architectural le plus emblématique de l’atelier Novembre est la construction d’une extension en verre et en acier Corten, un métal qui se fond harmonieusement avec le patrimoine. Cette extension qui épouse la façade du manoir a pour but d’améliorer les circulations au sein de ce bâtiment dévolu aux expositions, en y aménageant un ascenseur rendant le site accessible aux personnes à mobilité réduite.


Lifting de la cave au grenier

La restauration de la collection a représenté un véritable chantier dans le chantier : elle a en effet duré cinq ans et mobilisé une multitude de corps de métiers. Le bâti a également été bichonné puisque les couvertures du manoir et de la maison ont été reprises. Les fondations du palais ont également été consolidées et étanchéifiés afin de pouvoir transformer les belles caves voûtées en salles d’exposition. Les différentes façades ainsi que la tour et les sculptures ont aussi été restaurées.


Précieux cœur de la duchesse anne

Présent au musée depuis son inauguration, l’écrin funéraire du cœur d’Anne de Bretagne (1477-1514) est la Joconde des collections. Cette pièce d’orfèvrerie exceptionnelle est aussi une véritable miraculée de l’histoire. Son vol en 2018 n’est ainsi que l’une des nombreuses péripéties que le reliquaire a vécues depuis 1514 ! Saisi pendant la Révolution au titre de bien de l’Église, il échappe in extremis à la fonte. Exposé ensuite à la Bibliothèque nationale, son retour à Nantes fait l’objet d’âpres négociations.


36 salles d’exposition

La rénovation a mis aux normes les différents espaces de la demeure offrant désormais 36 salles d’exposition réparties sur quatre niveaux, des caves aux combles, soit une surface totale de 2 000 m2. Les salles ont été repensées en une succession d’alcôves évoquant les multiples donateurs ainsi que différentes facettes de la collection. Les immenses sculptures et les poutres sablières ouvragées, provenant de l’ancien Musée archéologique, se déploient désormais dans une belle salle médiévale.

À voir
Musée Dobrée,
1 place Jean V, Nantes (44). Ouverture le 18 mai.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°775 du 1 mai 2024, avec le titre suivant : Musée Dobrée une mosaïque d’architecture et de collections

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