Italie - Restitutions

PRÊTS ET RESTITUTIONS

Le prêt de chefs-d’œuvre des Offices au Musée de Minneapolis fait polémique

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 28 septembre 2022 - 981 mots

FLORENCE / ITALIE

Le musée florentin prête certaines de ses toiles emblématiques au musée américain, lequel refuse de restituer à l’Italie une statue antique volée dans les années 1970, ce alors même que des juges italiens la réclament.

Sandro Botticelli, Pallas et le Centaure (détail), c.1482, tempera sur toile, 205 x 147 cm. © Galerie des Offices, CC-PD Mark
Sandro Botticelli (1445-1510), Pallas et le Centaure (détail), c.1482, tempera sur toile, 205 x 147 cm.

Florence, Minneapolis. « Botticelli and Renaissance Florence : Masterworks from the Uffizi. » Le titre de l’exposition qui se tiendra du 15 octobre 2022 au 8 janvier 2023 au Minneapolis Institute of Art (MIA, Minnesota) n’est pas trompeur. Le musée américain peut compter sur 45 chefs-d’œuvre des collections des Offices de Florence. La collaboration des deux côtés de l’Atlantique a été particulièrement aisée. Et pour cause, Eike Schmidt, avant d’être nommé directeur du musée florentin, a dirigé de 2009 à 2015 le département sculptures, arts décoratifs et textiles du MIA.

Sandro Botticelli (1445-1510), Pallas et le Centaure, c.1482, tempera sur toile, 205 x 147 cm. © Galerie des Offices, CC-PD Mark
Sandro Botticelli (1445-1510), Pallas et le Centaure, c.1482, tempera sur toile, 205 x 147 cm.

Des œuvres importantes ont traversé l’Atlantique : Pallas et le Centaure de Sandro Botticelli ainsi que neuf autres toiles de l’artiste, mais aussi des tableaux de Filippo Lippi, Antonio et Piero del Pollaiuolo, Domenico Ghirlandaio, le Pérugin, Lorenzo di Credi. La Renaissance italienne n’est pas la seule période à être concernée. D’importantes sculptures romaines datant du IIe siècle av. J.-C. au IIe siècle font partie des prêts consentis. L’exposition vise à « raconter les moments les plus extraordinaires de l’art de la Renaissance, précisent les Offices et le MIA dans un communiqué commun, période d’extrême inventivité et créativité qui a forgé le cours de la culture mondiale ». Un projet scientifique somme toute assez mince. Les commissaires de l’exposition, Rachel McGarry, responsable de l’art européen au MIA, et Cecilia Frosinini de l’institut florentin Opificio delle Pietre Dure, rappellent pourtant que des examens en laboratoire ont été réalisés sur les œuvres prêtées. Ces examens ont permis de nouvelles découvertes qui seront publiées dans le catalogue en octobre prochain.

Polyclète (d'après), Doryphore (ou « Porte-lance »), 120-50 avant J.-C., marbre, 198 x 48 x 48 cm. © Minneapolis Institute of Art - Public Domain
Polyclète (d'après), Doryphore (ou « Porte-lance »), 120-50 avant J.-C., marbre, 198 x 48 x 48 cm.

C’est insuffisant pour les détracteurs de l’exposition, des historiens de l’art italiens qui soulignent le risque que représente un tel voyage pour des toiles aussi fragiles et symboliques. Mais plus que la nature du prêt, c’est l’institution qui en bénéficie qui fait polémique. Le 18 février dernier, le tribunal de Torre Annunziata (près de Pompéi), exigeait, au nom des accords de coopération internationale entre l’Italie et les États-Unis, la confiscation et la restitution du célèbre Doryphore de Polyclète. Cette statue antique se trouve au MIA qui l’a acquise il y a quarante ans pour 2,5 millions de dollars. Or, selon la justice transalpine, elle n’a pas été repêchée en mer, au large des côtes italiennes, comme l’affirme le musée américain, mais tout simplement volée sur le site archéologique de Castellammare di Stabia en Campanie. « Les équipes du musée ont forcément eu des doutes », a tenu à souligner le procureur général de Torre Annunziata, Nunzio Fragliasso, qui déplore le silence total des autorités américaines. D’autant plus que la statue, comme il l’explique, « ne montre aucun signe qui permette de dire qu’elle a été sous l’eau de mer, salée, pendant très longtemps. […]. Elle ne peut venir que de la terre ».

Un appel au boycott du prêt des Offices

De nombreuses voix se sont élevées pour appeler au boycott du prêt de Offices tant que le MIA n’a pas restitué le Doryphore de Polyclète. Ce n’est pas l’avis du maire de Florence, Dario Nardella, qui se dit prêt à « relancer le canal diplomatique pour obtenir le retour de la statue». Précisant : « Cette exposition peut être l’occasion de rouvrir le dossier et je suis disposé à accompagner le directeur des Offices et le ministre de la Culture à Minneapolis. » Dario Franceschini a d’ailleurs été officiellement interpellé en octobre 2020 par une commission de huit sénateurs menée par Margherita Corrado. Celle-ci exigeait du ministre « qu’il agisse avec fermeté pour réclamer la restitution au plus vite de la statue pour le compte de l’État italien ».

Quelques restitutions sur les nombreuses demandes en attente  


ROME. L’année dernière a été faste pour les restitutions d’œuvres dérobées à l’Italie. En 2021, un procureur de New York annonçait celle de 142 pièces archéologiques volées estimées à 14 millions de dollars. En ce mois de septembre, Orphée et les sirènes, magnifique groupe de trois personnages en terre cuite grandeur nature datant de 300 avant J.-C., vient de faire son retour à Rome. Il se trouvait au J. Paul Getty Museum de Los Angeles. Cependant le musée américain refuse toujours de restituer l’Athlète de Fano, chef-d’œuvre en bronze découvert en 1964, illégalement exporté aux États-Unis et réclamé par la justice italienne. Deux mandats de restitution ont été délivrés par un juge italien, en 2009 et 2013. À chaque fois, le Getty a réussi à les faire annuler pour vice de forme. L’ultime décision de la Cour de cassation date du 3 décembre 2018. L’Athlète de Fano figure en haut d’une liste qui compte de nombreuses autres pièces réclamées par l’Italie. Un Apollon sauroctone du IVe siècle av. J.-C. conservé au Cleveland Museum of Art, mais aussi le Char de Monteleone. Retrouvé parfaitement intact en 1902 en Ombrie, ce char étrusque remontant à 530 av. J.-C. a été illégalement vendu au Metropolitan Museum of Art (Met), à New York.

Les biens archéologiques ne sont pas les seuls concernés. Toujours à New York, les autorités italiennes réclament également, à la Frick Collection, le Portrait du prince Camille Borghèse par François Gérard (1810). Et au Musée national de Belgrade, on trouve huit toiles dérobées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale en Italie dont une œuvre du Tintoret (Madone à l’Enfant et un sénateur) et une autre de Titien (Portrait de la reine Christine de Danemark). Les rapporter en Italie est la mission des carabiniers pour la protection du patrimoine culturel. Cette unité de police spécialisée fondée en 1969 dispose d’une base de données baptisée « Leonardo », la plus vaste au monde avec plus de 1,3 million d’œuvres d’art et de vestiges archéologiques recensés. Les fichiers d’Interpol n’en répertorient que 50 000. En l’espace d’un demi-siècle, environ 3 millions d’œuvres et objets ont pu être retrouvés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Le prêt de chefs-d’œuvre des Offices au Musée de Minneapolis fait polémique

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