Émirats arabes unis - Musée

Le Louvre Abu Dhabi se veut universel et local

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2023 - 897 mots

Le musée a conçu sa politique d’acquisition et de prêts d’œuvres d’art pour conforter sa place dominante dans le paysage culturel du golfe Persique.

Vue de l'exposition « Picturing the Cosmos » au Louvre Abu Dhabi. © Siddharth Siva / Department of Culture and Tourism, Abu Dhabi
Vue de l'exposition « Picturing the Cosmos » au Louvre Abu Dhabi.
© Siddharth Siva / Department of Culture and Tourism, Abu Dhabi

Abou Dhabi, Émirats arabes unis. Manuel Rabaté, directeur du Louvre Abu Dhabi, a placé « l’enracinement » au cœur de son projet. De la politique d’acquisition aux expositions temporaires en passant par la médiation culturelle, l’intégration du musée à l’écosystème régional est une priorité, suivant en cela la volonté des Émiratis.

Les concepts de « musée-racine » et « musée-miroir » sont issus des travaux d’Alexandre Kazerouni et de son ouvrage intitulé Le Miroir des Cheikhs. Musée et politique dans les principautés du golfe Persique (2017, lire JdA n° 479). Le chercheur oppose une première génération de musées créés à partir du patrimoine local (musée-racine) à une seconde, sans racine, issue de la volonté politique des familles régnantes de consolider leur pouvoir sur la scène internationale (musée-miroir), comme le Louvre Abu Dhabi.

Premier musée universel dans le monde arabe

Le musée dépendant du ministère de la Culture d’Abou Dhabi, cette émiratisation se reflète dans le développement de sa collection permanente : les collections propres représentent désormais 60 % des pièces exposées, contre 50 % lors de l’inauguration du musée en 2017. Les 40 % restant sont essentiellement issus des musées français via l’agence France Muséums, un partenariat « tellement important qu’il restera structurant », selon Rabaté. L’accord-cadre avec la France a d’ailleurs été récemment étendu de 2037 à 2047. Les prêts des musées français permettent l’exposition de chefs-d’œuvre comme le Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci, faute de Salvador Mundi, œuvre attribuée à l’atelier du maître, un temps escomptée, mais qui n’intégrera finalement pas le musée.

Outre l’enracinement, Manuel Rabaté défend le modèle du musée universel. Il le conçoit comme « un point de rencontre entre le Louvre et Abu Dhabi » dont « l’universalisme réinventé dans son territoire » repose sur des « bases anthropologiques universelles ». Inaugurée en février 2023, la Abrahamic Family House, complexe interconfessionnel réunissant une mosquée, une église, une synagogue ainsi qu’un centre éducatif, ajoute un pendant œcuménique à cet universalisme.

Attirer le public local

Le programme d’expositions s’adapte aux publics des Émirats arabes unis, à l’instar de « Bollywood Superstars : A Short Story of Indian Cinema » (24 janvier-4 juin 2023), dont le commissariat a été assuré par le Musée du Quai Branly pour le Louvre Abu Dhabi. C’est un choix délibéré sachant que la communauté d’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, Népal et Sri Lanka) compte pour plus de la moitié de la population du pays. Les Émiratis ne représentent que 12 % des résidents. D’autres initiatives ont été développées en direction de la communauté philippine avec le prêt d’un masque funéraire préhispanique en or de l’Ayala Museum (Manille). Selon Rabaté, ce prêt a stimulé la fréquentation des résidents philippins.

À cela, s’ajoute une attention particulière au jeune public afin de fidéliser les jeunes générations sur le long terme. L’exposition actuelle « Picturing the Cosmos » dans le cadre du Musées des Enfants (au Louvre Abu Dhabi) en est un parfait exemple. Celle-ci fut par ailleurs accompagnée d’une opération événementielle en août dernier : une conférence en direct de l’espace avec Sultan Al Neyadi, premier astronaute émirien en mission sur la station spatiale internationale.

Bien que la question du trafic d’antiquités n’ait pu être abordée du fait la procédure en cours, Guilhem André, récemment promu directeur par intérim pour la gestion scientifique, la conservation et la gestion des collections, insiste sur le strict respect de la Convention de Genève de 1970 et des « normes les plus exigeantes en vigueur dans les plus grands musées du monde ».

La parité n’est pas une priorité

Les acquisitions récentes dénotent un recentrage sur les périodes plus actuelles. À cet égard, l’équilibre homme-femme n’apparaît pas comme une priorité, malgré la présence d’un portrait d’Élisabeth Vigée Le Brun, une installation de l’artiste saoudienne Maha Malluh et une vidéo de l’Émirienne Nujoom Al-Ghanem. Les expositions temporaires ne permettent pas de combler ce déséquilibre, comme l’invitation de Michelangelo Pistoletto à exposer ses célèbres miroirs dans les galeries principales du musée. Les prêts du Centre Pompidou, pourtant initiateur d’« Elles » (l’accrochage exclusif d’artistes femmes entre 2009 et 2011), ne semblent pas non plus mobilisés en ce sens. Sur le sujet, Rabaté admet le travail à accomplir en adéquation avec les missions d’un musée résolument universel, tout en saluant la parité obtenue par Hoor Al Qaisimi lors de la dernière Biennale de Sharjah.

Jérôme Farigoule, conservateur en chef, justifie le choix d’acquérir des « œuvres graphiques extra-occidentales » pour contrebalancer « le primat de la peinture en Europe ». La volonté « de ne pas montrer les arts à travers une hiérarchisation classique, mais d’un point de vue global » s’inscrit dans la même veine selon Guilhem André.

Autre chantier que Manuel Rabaté aborde volontiers : l’intégration du patrimoine immatériel émirien. Il confesse la difficulté de la tâche pour « un musée d’objets » comme le Louvre, mais évoque des réflexions en cours, notamment sur la musique.

Complémentarité avec les autres musées

D’ici 2025, le Louvre Abu Dhabi connaîtra l’ouverture de trois autres grands musées : le Guggenheim Abu Dhabi, le Zayed National Museum et le Natural History Museum Abu Dhabi. Afin de ne pas évoquer les mêmes sujets, l’articulation avec le Guggenheim Abu Dhabi est actuellement travaillée par les deux musées sur la partie moderne et contemporaine. Le Guggenheim se concentrera sur la partie la plus contemporaine, ainsi que sur la région du Moyen-Orient. Quant au Zayed National Museum, il présentera principalement des artistes nationaux.

Louvre Abu Dhabi,
Saadiyat, Abou Dhabi, Émirats arabes unis.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°618 du 6 octobre 2023, avec le titre suivant : Le Louvre Abu Dhabi : universel et local

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