Urbanisme

PATRIMOINE URBAIN

Des parasols remplacent les fontaines de Buren et Drevet

Par Gabriel Ehret · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2018 - 863 mots

LYON

Il y a vingt-cinq ans, l’aménagement par le duo de la place des Terreaux à Lyon fit date dans l’art urbain. Sa réfection aujourd’hui la malmène, le nombre de fontaines étant divisé par plus de trois au profit des cafés.

Lyon. Lauréats du concours pour l’aménagement de la place des Terreaux, l’une des deux principales places dans le cœur historique de Lyon, l’architecte Christian Drevet et l’artiste Daniel Buren livrèrent en 1994 une œuvre où était transcrite la belle ordonnance des monuments encadrant le lieu. Principalement, c’est le rythme des pilastres du Musée des beaux-arts que le duo reprit. Le projetant au sol, il en tira une cellule de 5,90 x 5,90 m, avec un jet d’eau central qu’il répéta presque indéfiniment. Chacune des cellules obtenues était en granit gris, les membranes consistaient entre elles en « bandes Buren » de granit noir et blanc.

Le plus étonnant n’était pas là. Contrairement au Palais-Royal à Paris où l’intervention de Buren et Patrick Bouchain fuyait les grondements de la ville, l’œuvre intégrait ici transports publics et voitures. Sa trame, de fait, outrepassait la partie piétonne centrale pour coloniser les chaussées en périphérie, empruntées pourtant par nombre de bus, et ne s’arrêtait qu’une fois conquis les carrefours aux quatre angles. Au milieu de la place, les 69 jets d’eau, chacun avec bassin en granit noir profond de 4 mm, créaient une forêt liquide : une des images fortes de Lyon était née.

Une rénovation nécessaire
La fontaine de la place des Terreaux, réalisée par Bartholdi, et restaurée.
La fontaine de la place des Terreaux, réalisée par Bartholdi, et restaurée.
Photo Gabriel Ehret

Le moindre coup de vent faisait des 69 bassins, peu vastes, une seule et même « piscine », se plaignaient certains habitants. Cela, ajouté à la difficulté à nettoyer le mécanisme de fontainerie, a conduit à couper les jets sur des durées de plus en plus longues. Avec les ans, le passage des bus a fissuré les chaussées. Certains éléments de pierre en partie centrale se sont affaissés sous le poids des camions venant sur le site pour diverses manifestations.

Il y avait même urgence à intervenir s’agissant du chef-d’œuvre d’Auguste Bartholdi qui trônait depuis 1892, la monumentale fontaine des Fleuves. La technique inédite employée pour la réaliser – feuilles de plomb martelé sur ossature métallique – avait permis de projeter littéralement les chevaux dans le vide, mais avait entraîné en même temps sa détérioration progressive. Sa remise en eau, l’automne dernier, a exigé un an et demi de restauration, sur site et à la fonderie de Coubertin. Coût : 3,58 millions d’euros TTC, principalement financé par la Ville, l’État y participant pour un million.

La Métropole de Lyon, de son côté, a engagé en 2015 des études avec Buren et Drevet pour restaurer la place elle-même, son statut d’œuvre d’art permettant de leur confier la tâche sans concours préalable. Le bureau d’études OGI épaule le duo, et la Métropole s’est adjoint les conseils de Diluvial, spécialiste en fontainerie. Son grand souci est en effet de remplacer les fontaines par un modèle où l’eau n’éclabousse pas les passants et ne se répande pas sur la place, et qu’il soit plus simple en fonctionnement comme en entretien. Sur ces critères, un prototype est actuellement testé : bassin élargi à 3,60 m mais toujours à fleur de sol, jet d’eau limité à 1,50 m de haut, l’eau jaillissant et étant récupérée au même point central équipé d’une grille amovible pour le nettoyage.

Une meilleure adéquation aux usages piétons

Plus largement, la Métropole vise la « requalification » de la place et sa meilleure adéquation aux usages, notamment piétons. Drevet et Buren se trouvent ainsi en position inconfortable, entre obligation de satisfaire leur maître d’ouvrage et désir de pérenniser leur œuvre. Pour faire bonne figure, l’architecte évoque dans le permis d’aménager la nécessité d’explorer « la marge dialectique entre le semblable et l’identique ». Avec un coût global estimé à 5,4 millions d’euros TTC, et une consultation des entreprises en cours, le projet est maintenant ficelé. Son point le moins justifiable est la coupe claire effectuée parmi les fontaines, qui donnaient noblesse et féerie au lieu : seules 15 exemplaires du nouveau modèle seront installées, en file sur l’axe longitudinal. Ainsi cantonnées au milieu de la place, elles sont censées permettre aux passants de la traverser plus aisément. Mais les cafés bénéficient aussi de l’opération. Eux dont les terrasses encadraient déjà la fontaine Bartholdi sur toute la longueur de la place, sur deux rangées de parasols, vont pouvoir en gagner une rangée supplémentaire. Au moins lesdits parasols sont-ils d’un type uniforme.

Rien à dire en revanche sur la réfection de tous les sols, selon la trame originelle et à l’aide de pierres plus épaisses pour résister aux passages des camions. Dans les zones ouvertes à la circulation, la chaussée sud avait été remplacée en 2015 par un essai de graves bitumineuses sous le tapis d’asphalte grenaillé. Celle-ci ayant bien résisté au passage des bus, la solution va être étendue à la chaussée ouest. C’est là que le bât blesse, car la trame Buren disparaît des chaussées, les services techniques alléguant le coût qu’entraînerait son traçage régulier au moyen de résine blanche ou peinture blanche. Avec son dessin ainsi rogné sur les bords, la place des Terreaux perd son caractère d’œuvre totale. Moins les trois quarts de ses fontaines, son charme s’évanouit…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Des parasols remplacent les fontaines de Buren et Drevet

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