Art contemporain - Musée

Musées : Baselitz devrait faire école

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2023 - 608 mots

Six expositions fêtent cette année les 85 ans de Georg Baselitz et leur ordonnancement reflète la diversité étonnante de son travail.

Les peintures récentes ont été présentées par Thaddaeus Ropac dans sa vaste galerie de Pantin, les dessins à la Morgan Library and Museum de New York, puis à l’Albertina de Vienne, les gravures au Musée Würth dans le Bade-Wurtemberg. Les sculptures le seront à partir d’octobre à la Serpentine de Londres. Un ensemble très bien conçu mais finalement assez convenu. Voilà que dans ce sextuor, « Nackte Meister » (Maîtres nus), l’accrochage imaginé par Baselitz au vénérable Kunsthistorisches Museum (KHM) de Vienne a créé une belle surprise, dont devraient s’inspirer nos musées. L’artiste a réussi à faire vivre, à faire revivre cette institution plus que centenaire.

Dès l’entrée, s’impose une sculpture monumentale. Hormis celle-ci, tout paraît immuable : le vaste escalier, les plafonds peints, le décor style Renaissance italienne, les marbres polychromes, la coupole… Le visiteur retrouve le bâtiment exaltant la collection des Habsbourg et sur lequel le temps ne semble pas avoir de prise. Il le revoit tel qu’il l’a toujours connu. Mais la première salle bouscule son souvenir. Le chef-d’œuvre de Cranach l’Ancien, La Chute, Adam et Ève (1510-1520), est toujours présent, mais d’immenses nus ont chassé d’autres tableaux et envahi l’espace : les peintures que Baselitz réalisait dans les années 1970 à partir de Polaroid qu’avec sa femme Elke ils prenaient d’eux-mêmes. Tableaux aux sujets déjà renversés mais qu’il peignait à cette époque non avec des pinceaux mais avec ses doigts. Une autre salle rapproche l’intimité du couple Baselitz à celle unissant Pierre Paul Rubens et Hélène Fourment. Finger Painting - Black Elke (1973) voisine avec La Petite Pelisse (1636-1638), où le Flamand magnifie la sensualité et la pudeur de sa jeune épouse, moins nue que celle de l’Allemand trois siècles plus tard. Les autres salles sont à l’avenant. Des tableaux ont disparu, ceux de Baselitz sont accrochés de manière peu conventionnelle, allant jusqu’à encercler celui avec lequel ils vont dialoguer.

La confrontation est saisissante, crée un souffle qui traverse cinq salles et les cabinets alentour. Jamais encore, le KHM n’avait offert tant d’espace à un artiste vivant, invité à dialoguer avec le cœur de sa collection. L’octogénaire s’est concentré sur la représentation du nu. Il a sélectionné 40 chefs-d’œuvre qu’il a confrontés au double ou presque de ses œuvres (75), accrochées par groupes chronologiquement.

Nos musées d’art ancien ou du XIXe nous ont initiés depuis quelques années à de telles correspondances, mais celles-ci n’ont jamais connu cette ampleur. Généralement, une seule salle est dévolue à une exposition d’artiste contemporain et quelques rares œuvres d’elle ou de lui ponctuent les collections anciennes. Relevons cependant quelques exceptions. Le Musée des beaux-arts de Lyon a accueilli Éric Poitevin en résidence pendant deux ans pour qu’il crée des photographies en relation avec la collection et les a montrées en 2022. Cet automne, le Musée Rodin convie le grand sculpteur britannique Antony Gormley à dialoguer avec le maître de ces lieux, dans tous les espaces du musée, le cabinet d’art graphique et le jardin. Le Musée Picasso vient aussi d’être ingénieusement métamorphosé par le créateur de mode, Paul Smith. Il attend pour octobre l’intervention de Sophie Calle. Mais Baselitz pourrait faire école ailleurs, dans nombre de grands musées parisiens et régionaux. À eux de donner les clés de leur établissement à un artiste vivant afin qu’il repense largement leur accrochage et le mette en résonance avec son propre travail. Les « primo visiteurs » seront peut-être déconcertés de ne pas rencontrer le musée habituellement décrit, mais les « locaux », les habitués seront si heureux d’y retourner pour le découvrir sous un jour nouveau.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°616 du 8 septembre 2023, avec le titre suivant : Musées : Baselitz devrait faire école

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