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Éditorial

Le Louvre-Abou Dhabi et quelques questions

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 438 mots

ABOU DHABI / ÉMIRATS ARABES UNIS

Realpolitik. Emmanuel Macron a décidément beaucoup de chances. À quelques mois près, c’est François Hollande qui aurait pu inaugurer le Louvre-Abou Dhabi. Mais c’est finalement au nouveau président que revient ce rôle, lui permettant de faire un discours célébrant la beauté « qui sauvera le monde » dans un lieu aussi symbolique que celui qu’il s’était choisi le soir de sa victoire. Et tout cela alors que le milieu muséal français s’est résigné et que l’on est très loin des « cris d’orfraie » qui avaient accompagné l’annonce de l’accord, comme le rappelle le ministre de Culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres. Qu’aurait-on dit si le Guggenheim, auréolé de son succès à Bilbao, ou le British Museum avaient été les seuls à construire des « musées des sables » ? Macron s’est même payé le luxe de dire aux Émiratis que « pour un pays comme la France se séparer – même sous forme de prêt – de quelques-unes de ses plus belles œuvres ne va pas de soi. C’est une forme de torture… ». Mais il s’est bien gardé d’évoquer ce qui fait vraiment débat, à l’époque comme aujourd’hui : les contreparties financières et leur ampleur.

Car au fond, ce n’est pas tant le principe même du prêt des œuvres qui choque, même s’il prive les visiteurs du musée prêteur de leur jouissance et fait prendre des risques aux tableaux et sculptures – cela arrive régulièrement sans faire nécessairement sujet. C’est le principe même que l’on puisse louer de l’art. Une question morale qui peut vite tourner à l’idéologie voire à des postures. Une question sous-tendue par celle de l’argent « forcément sale » qui pollue l’art, ce bien commun de l’humanité…

Ce sont en revanche les dérives de ces pratiques qu’il convient de dénoncer. Par exemple priver un musée français sans grands moyens d’une pièce maîtresse pour son exposition temporaire au profit d’un prêt payant.

Plus légitime – selon nous –, est le débat sur la participation de la France à ce qui ressemble à une opération de relations publiques pour un régime non démocratique qui a accaparé au profit d’une famille régnante les ressources en hydrocarbure du pays. Un débat relancé par l’emprisonnement pendant deux jours de nos deux confrères suisses, au motif qu’ils filmaient des travailleurs immigrés sur un marché d’Abou Dhabi. Cette question, qui se pose à chaque fois que l’on vend des armes à l’Égypte ou à l’Arabie saoudite, ou des Airbus à la Chine, des pays qui ne sont pas réputés pour leur respect des droits de l’homme, oppose la morale à la realpolitik. À moins que les Émiratis soient sincères dans leur démarche, comme l’a laissé entendre Emmanuel Macron.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Le Louvre-Abou Dhabi et quelques questions

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