Musée

A Marseille, les musées se concentrent sur leur patrimoine

Mais l’art contemporain reste soutenu par le tissu associatif et les initiatives privées

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 2028 mots

Après la création de trois musées au début des années quatre-vingt-dix, Marseille dresse aujourd’hui son bilan patrimonial en restaurant ses collections et ses bâtiments. La réouverture du Musée Cantini, en mai, précède un vaste programme de rénovation du Palais Longchamp qui abrite le Musée des beaux-arts. Quant au Musée d’art contemporain, fer de lance de la politique marseillaise en faveur de la jeune création, il sort doucement d’une période de sommeil qui n’a pas aidé à la visibilité d’une scène artistique dynamique, mais peu valorisée au niveau local.

“Une ville de province mais une capitale méditerranéenne”. Cette contradiction revient sans cesse dans la bouche des acteurs de la scène culturelle marseillaise pour qualifier leur cité. Une situation que le récent projet de “décentralisation” du Musée national des arts et traditions populaires à Paris, amené à élargir son champ d’études aux civilisations méditerranéennes, n’a fait que confirmer. “Avec la création du pôle économique et culturel Euroméditerranée, dans lequel doit s’inscrire le futur Musée national, Marseille est en pleine explosion, et la question se pose de savoir comment les musées de la ville vont accompagner cette mutation”, estime Danielle Giraudy. Nommée en novembre 1999 à la direction des Musées de Marseille, elle décrit un patrimoine “constitué par des vagues de collections, abrité dans une quinzaine de musées et autant de bâtiments disparates”, à l’image de la cité phocéenne qui vient de fêter le 2 600e anniversaire de sa fondation. 2000 sera l’année d’un “bilan patrimonial”, rendu nécessaire par cette évolution. Avec l’ouverture fin 2001 de la première antenne décentralisée des Laboratoires de recherche des Musées de France – dont le budget pour son installation dans l’îlot 1 des anciens entrepôts de la Seita des Friches de la Belle de Mai est de quarante millions de francs, partagé entre l’État et la Ville –, elle entend poursuivre la restauration des collections, “dont déjà un quart a bénéficié d’un examen”, ainsi que la publication de catalogues et l’informatisation des inventaires. “La demande de la population de voir ces pièces est forte”, estime Danielle Giraudy, qui annonce pour le 4 mai la réouverture du Musée Cantini, après un réaménagement de sept mois et un gain d’espace de plus de 500 m2 permettant l’accrochage de la collection permanente, du début du siècle à 1960. Cette restructuration pourrait profiter au Musée Borély afin de reformer un musée des arts décoratifs avec les collections de Jules Cantini, donateur du musée homonyme. Le Musée des arts africains, océaniens et amérindiens installé à la Vieille Charité devrait, lui, s’adjoindre les collections d’art musulman actuellement invisibles. “Un manque pour une ville qui, sur 800 000 habitants, compte une population de confession musulmane de 200 000 personnes”, remarque la directrice des musées.

Mais le principal chantier concerne le Palais Longchamp, conçu en 1802 par Espérandieu, l’architecte de Notre-Dame-de-la-Garde, pour célébrer l’arrivée des eaux de la Durance dans la ville et accueillir dans ses deux ailes le Muséum d’histoire naturelle et le Musée des beaux-arts. Premiers visés, la façade et le couvrement feront l’objet d’un vaste programme de rénovation, d’un coût de 140 millions de francs, qui, à partir de 2001, doit s’étendre sur six années. L’aménagement intérieur des deux musées devrait s’inscrire dans le projet. Au stade de l’appel d’offres, la rénovation du Musée des beaux-arts, formé au lendemain de la Révolution et installé dans l’aile gauche du palais depuis 1869, est aujourd’hui un impératif pour sa conservatrice, Marie-Paule Vial : “La philosophie de ces travaux est simple. Avec la réouverture des verrières et la remise au jour des mosaïques du sol, il s’agit de rendre au musée son aspect initial. Quant aux derniers aménagements intérieurs, du début des années quatre-vingt, ils ne sont plus adaptés”. Le musée devra alors fermer ses portes entre 2002 et 2005, l’occasion de réfléchir à une possible extension à l’arrière du palais pour abriter les services scientifiques et adjoindre sur sa façade latérale une galerie de sculptures. Au-delà des effets de mode, qui avaient conduit à occulter totalement les ouvertures et installer une mezzanine au premier étage, la nécessité apparaît de s’adapter à une collection qui a largement évolué et fait aujourd’hui une large place aux grands formats, autrefois délaissés au profit des paysages et scènes de genre. Il possède en effet de grands cycles, tels celui de Geminiani pour l’Église des Jésuites. Son exposition récente annonçait l’”année baroque”, organisée autour de “Triomphes du Baroque” au mois de novembre et élargie à l’ensemble de la cité et de ses nombreux exemples architecturaux : Saint-Théodore dans le quartier de Belsunce, le Préau des Accoules construit au milieu du XVIIIe siècle par les jésuites, ou la chapelle à plan centré de Puget à la Vieille Charité.

Petit dernier des musées marseillais, les Galeries contemporaines du MAC, inaugurées en 1994, apparaissaient comme le fer de lance de la politique contemporaine de la ville. Leur mise en sommeil pour six mois, en partie justifiée par une remise aux normes des systèmes de sécurité, a créé un manque sur la scène régionale et nationale. “Ces travaux tombent mal”, reconnaît Danielle Giraudy. Elle se désole qu’aucun conservateur n’ait encore été nommé pour diriger l’institution qui, jusqu’à l’année dernière avec l’exposition de Rose-Marie Trockel, se singularisait par son dynamisme. La reprise de l’exposition “Errò” augmentée de quelques pièces, après le Jeu de Paume à Paris, pour marquer la réouverture du lieu cet été, semble peu audacieuse, d’autant que le peintre a déjà bénéficié d’une importante monographie l’an passé à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer, voisine d’une centaine de kilomètres. Mais, là aussi, Danielle Giraudy pointe la nécessité d’une mise à plat des collections.

Associations et productions
Parallèlement, elle examine le projet d’un espace consacré à la jeune création. La demande de tels espaces est grande dans une commune qui abrite de nombreux lieux de production artistique. Établies depuis 1989 dans les anciens entrepôts de la Seita, les Friches de la Belle de Mai, où se côtoient troupes de théâtre, ateliers musicaux et groupes d’artistes, sont le symbole de la vitalité associative de Marseille. Installée dans la Friche depuis deux ans, l’association Vidéochroniques, fondée en 1989, travaille à la diffusion de vidéos et collabore à leur production par le bais d’un atelier de montage. La structure porte aujourd’hui ses efforts vers les nouvelles technologies et a pu développer ses collaborations avec d’autres groupes, comme lors de l’exposition “Pioneer Hotel” organisée par le collectif Triangle. L’association a relayé sur l’Internet la construction éphémère réalisée par Ward Shelley : un tunnel suspendu au plafond que l’artiste a construit tout au long de la manifestation ; achevé le mois dernier, le fragile édifice est toujours visible sur le web (www.lafriche.org/tunnel). Partagé entre les travaux des étudiants et des projets parallèles, l’atelier de post-production Fearless Medi@terranée, hébergé par l’École supérieure des beaux-arts, assure depuis 1997 un rôle comparable. Pour Michel Enrici, directeur de l’école depuis 1994, les équipements proposés par la structure, comme le matériel multimédia, sont un “devoir” pour la formation et la professionnalisation des élèves. Située à une quinzaine de kilomètres du centre de Marseille,  l’école souffre toutefois de sa situation géographique, qu’une requalification de l’établissement dans le cadre d’Euroméditerranée pourrait corriger. Pour l’heure, elle assure sa mission de diffusion au sein de la ville grâce à sa galerie, ouverte depuis dix ans rue Montgrand, où se mêlent projets d’élèves et interventions extérieures.

Dans le même temps, elle multiplie les partenariats avec d’autres structures, comme les Ateliers d’artistes de la Ville qui couplent une quinzaine de lieux de travail – loués pour huit francs le mètre carré – à un espace d’exposition. Créée par la municipalité et déléguée à l’Office de la Culture, la structure travaille à s’insérer dans un réseau international et à offrir un relais aux artistes. Pour Thierry Ollat, responsable des Ateliers, la situation excentrée de Marseille, éloignée des réseaux artistiques du Nord, “permet une plus grande liberté artistique, dans un contexte moins cadré”. À l’image de la programmation de l’année 2000, les Ateliers alternent des monographies de personnalités confirmées (Saverio Lucariello en novembre) avec celles de jeunes artistes comme Laetitia Benat ou Stéphane Granger, sélectionnés pour le post-diplôme de l’école et qui feront l’objet d’une exposition en mai. Partie prenante de la manifestation, pour laquelle il réalise la maquette du catalogue, Vincent Hanrot a rencontré à cette occasion Cédric Tanguy avec lequel il souhaite maintenant collaborer au sein de Bik et Book, la société de graphisme et d’édition qu’il a fondée avec Christelle Huc. Indépendantes, les éditions ont inauguré leur activité en 1993, avec Pour l’avènement de l’Union de Frédéric Coupet. C’est là aussi fruit d’une rencontre et d’un “échange entre graphiste et artiste”, ainsi que l’explique Vincent Hanrot, qui a lancé avec Coupet la collection “La réalité : théorie et application” et publié L’Art est mort vive rien, un deuxième ouvrage de ce dernier. La parution en 1999 d’Abt prolégomènes d’Olivier Tourenc et Nicolas Komaroff a lancé la collection “Vous ici ?”, à laquelle s’ajoutent les ouvrages hors collection d’Yves Bélorgey et Niek Van de Steeg, en collaboration avec le Frac de Provence-Alpes-Côte d’Azur, et du photographe Jacques Windenberger.

Pareil dynamisme ne peut que contraster avec la faiblesse du marché de l’art contemporain dans la ville. Pour Jean-Pierre Alis, de la galerie Athanor, ouverte en 1973 autour des tenants de Support-Surface et très attachée à la scène locale, “le marché s’est dégradé depuis 1990, et la baisse d’activité des musées depuis trois ou quatre ans accentue ce fait. Marseille a une image forte, mais tout cela n’est pas exploité sur place. La presse locale se soucie peu de l’activité artistique”. Dans la municipalité de feu Gaston Defferre, la décentralisation ne semble pas encore une réalité concrète. Roger Pailhas a pourtant choisi de quitter Paris pour se consacrer à la galerie qu’il a ouverte il y a quatorze ans à Marseille et où il présente des artistes internationaux comme Eija Liisa Ahtila, Jeff Wall ou Bernard Bazile. Il dénombre une dizaine de collectionneurs marseillais. “Ils achètent autant que l’ensemble de mes clients en France”, confie le galeriste, même s’il reconnaît que son activité se répartit équitablement entre la France, l’étranger et les institutions. Roger Pailhas affiche l’ambition de “faire changer les choses, en proposant des initiatives comme Art Dealer, la foire d’art contemporain qui en est aujourd’hui à sa quatrième édition, pour développer un marché de l’art dans la ville et la région. Il n’y a pas un manque de lieux mais un manque de professionnalisme. Il faut trouver un après l’atelier”.

Pour Éric Mangion, directeur du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, cette carence est un “drame marseillais, dans une ville qui a su tirer parti d’un système économique en crise en offrant de grands ateliers et en développant depuis les années soixante-dix un tissus associatif dense”. Rappelant l’espoir vécu il y a cinq ans par une scène bouillonnante, il reconnaît être un peu déçu par une cité qui risque de “se replier, de se scléroser” par manque de débouchés pour les artistes. “Il est dommage que, politiquement, les élus n’en fassent pas un atout. Ce n’est pas une honte d’établir des stratégies. Nantes et Bourges profitent aujourd’hui de situations comparables”.

- Ateliers d’Artistes, 11-19 bd Boisson, 13004 Marseille, tél. 04 91 85 42 78 ; POST DIPLÔME, 5 mai-9 juin.
- Galerie de l’École supérieure des beaux-arts de Marseille, 41 rue Montgrand, 13006 Marseille, tél. 04 91 33 11 99 ; ERNST MITZKA, 22 septembre-21 octobre.
- Musée Cantini, 19 rue Grignan, 13006 Marseille, tél. 04 91 54 77 75.
- Musée des beaux-arts, Palais Longchamp, 13004 Marseille, tél. 04 91 14 58 80 ; TRIOMPHES DU BAROQUE, 17 novembre-4 mars, Centre de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité, 13002 Marseille.
- Vidéochroniques, Friches de la Belle de Mai, 19 rue Guibal, 13003 Marseille, tél. 04 91 11 48 70, www.lafriche.org/ videochroniques.
- Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 1 place Francis-Chirat, 13002 Marseille, tél. 04 91 91 27 55 ; DIDIER MENCOBONI, jusqu’au 17 juin.
- Galerie Roger Pailhas, 19 quai Rive-Neuve, 13007 Marseille, tél. 04 91 54 02 22.
- Galerie Athanor, 84 rue Grignan, 13001 Marseille, tél. 04 91 33 35 73.
- Bik et Book éditions, 19 quai Rive-Neuve, 13007 Marseille, tél. 04 91 33 19 36.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : A Marseille, les musées se concentrent sur leur patrimoine

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque