Le poids d’un passé trop glorieux

Comment Avignon gère son patrimoine

Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 1048 mots

Avec « La Beauté » et l’installation de la collection Lambert, Avignon souhaite se donner une image plus contemporaine, mais ces événements s’inscrivent dans des lieux à caractère patrimonial. Les traces d’un passé glorieux restent en effet prépondérantes dans l’identité de la ville. Outre l’emblématique Palais des Papes, elle conserve un patrimoine digne d’une capitale, sans proportion avec sa taille, et dont la préservation est bien difficile à assurer. État des lieux.

Il suffit de passer la main sur les pierres pour que des morceaux se détachent, qu’elles en partent en poussière. “Toutes les parties hautes du Palais sont dans cet état”, constate Didier Reppelin, l’architecte en chef des Monuments historiques chargé de l’ancienne demeure papale. Si la tour Saint-Laurent a déjà été restaurée en 1998 et 1999, “les urgences sanitaires s’élèvent à près de 75 millions de francs”. Plus grand palais gothique d’Europe avec ses 15 000 m2 de planchers, le Palais des Papes n’est que la partie émergée de l’iceberg, car, derrière sa massive silhouette, se cache “un patrimoine digne d’une capitale”. “Pour faire face, il nous faudrait au moins quatre fois plus d’habitants”, estime Marie-Josée Roig, maire d’Avignon depuis 1995. Si l’habitat médiéval a disparu, la cité compte encore 27 églises classées, élevées pour une grande partie au XIVe siècle, lorsqu’elle était la capitale de la chrétienté, de Saint-Didier à Saint-Agricol, et pour certaines transformées aux siècles suivants. S’y ajoutent les hôtels particuliers des XVIIe et XVIIIe, comme l’hôtel de Caumont bientôt converti en musée d’art contemporain grâce à la donation d’Yvon Lambert… 14,7 % du budget municipal est ainsi consacré au patrimoine. Toutefois, “90 % des interventions dans le Vaucluse portent sur les toitures ; ce ne sont que des mises hors d’eau”, regrette Didier Reppelin. Ainsi, à l’église Saint-Agricol, il déplore la saleté de l’intérieur, les pierres qui se délitent, les fissures apparues à l’extérieur, sans parler du filet qu’il a fallu poser sur le portail pour prévenir la chute des statues. Ce simple exemple souligne l’ampleur de la tâche à accomplir. En décembre 1999, après plus de vingt ans d’attente, Avignon s’est enfin dotée d’un secteur sauvegardé ; ce dispositif devrait notamment permettre de remédier à la défiguration de nombreuses rues du centre par les commerces. Ceux-ci se verront imposer des obligations en termes d’enseigne, de toiture, de restauration de façade (dans ce cas, la municipalité pourra contribuer jusqu’à 40 %). Des mesures salutaires.

Les remparts, inclus dans le plan de sauvegarde, sont une autre source de préoccupation pour la ville. Sur les 4,3 kilomètres de fortifications, trois nécessitent une intervention. Or, il faut 60 000 francs pour restaurer un mètre linéaire de rempart. À ce tarif, la facture devient vite exorbitante. L’État vient juste de verser 500 000 francs dans ce but, la municipalité devrait en faire autant ; de quoi restaurer 16 mètres linéaires ! Mais le véritable enjeu, c’est la mise en valeur de ces remparts. Yves Michel-Béchet, adjoint à la Culture et au Patrimoine, aimerait voir restituées les douves et dégagée la partie enterrée de l’ouvrage, afin de leur rendre leur ampleur originelle, aujourd’hui amputée.

Palais des Papes : vers un établissement public
Quant au Palais des Papes, la charge pourrait bientôt en revenir à l’État. “Depuis 1995, nous sommes en négociation avec le ministère de la Culture, explique Marie-Josée Roig. Au début, la Caisse nationale des monuments historiques était maximaliste, elle voulait tout. En faire un palais national est une nécessité, mais il ne faut pas que les Avignonnais se sentent dépossédés du Palais.” On s’acheminerait donc vers la création, comme au château de Versailles, d’un établissement public qui devra optimiser la gestion des lieux. En attendant, le chantier est permanent. Les travaux menés sur la tour de la Peyrollerie, partie du Palais-Neuf construit au milieu du XIVe siècle, ont permis de faire des découvertes intéressantes. Des fissures inexplicables affaiblissaient les mâchicoulis ; après diverses investigations, leur origine résiderait dans la présence de renforts métalliques au sein de la maçonnerie. “C’est le premier exemple d’utilisation du fer au sud de la Loire”, s’enthousiasme l’architecte. On se souvient alors que la construction avait été dirigée par Jean de Louvres, dont les talents avaient été remarqués à Amiens et Beauvais.

Sous le pontificat de Clément VI, les plus grands artistes de la chrétienté avaient été appelés à Avignon, à commencer par le peintre italien Matteo Giovanetti. La chapelle Saint-Martial, qu’il avait ornée de fresques (1344-1346), est aujourd’hui fermée au public dans l’attente d’une restauration. La couche de restauration posée au début du XXe siècle s’est non seulement rétractée, fragilisant la surface, mais elle a pris avec le temps une vilaine teinte marron. Les premiers essais de nettoyage ont révélé l’intensité des bleus à base de lapis-lazuli et la blancheur lumineuse de l’architecture, tandis que des visages dissimulés par la crasse réapparaissaient. Début des opérations d’ici la fin de l’année.

Des espaces secrets
Un peu plus loin, une autre œuvre de Giovanetti est en cours de consolidation dans la chapelle Saint-Michel : il s’agit d’une sinopia (dessin préparatoire à une fresque), témoin d’une peinture sans doute jamais réalisée. À l’instar de cette chapelle, plusieurs salles du Palais seront exceptionnellement ouvertes pendant la durée de l’exposition : la grande cuisine, avec sa voûte-cheminée en forme de pyramide octogonale sur trompes, semblable à celles de Fontevraud, ou encore le Grand Promenoir – “l’ancêtre de la Galerie des Glaces”, considère Didier Reppelin.

Si le projet de Buren à la Visitation, une des premières églises à coupole baroques en France construite par François Royers de la Valfenière (1631-1638), a été abandonné, les visiteurs de “La Beauté” pourront découvrir l’église Saint-Charles (1740), ancien dépôt lapidaire, ou encore, pour rejoindre notre siècle, des friches industrielles comme le Clos des Trams. Désaffecté depuis huit ans, cet immense dépôt de 8 000 m2 a été restauré avec l’aide d’EDF et de la Datar. En revanche, un lieu exceptionnel et secret, les Bains Pommer, qui devait accueillir le cinéaste taïwanais Hou Hsiao Hsien, gardera portes closes. Construit vers 1870, cet établissement a fermé en 1964 ; depuis, la famille l’a régulièrement entretenu par dévotion pour le grand-père. Autour d’une cour intérieure se déploie, sur deux étages, une galerie en bois desservant les cabines. Les restaurations indispensables n’ayant pu être réalisées, faute d’accord avec les propriétaires, les Bains Pommer garderont leur mystère.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : Le poids d’un passé trop glorieux

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