Art ancien - Restauration

XVE SIÈCLE

Un nouveau regard sur la « Vierge d’Autun »

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2024 - 832 mots

PARIS

La présentation de la « Vierge du chancelier Rolin » restaurée est assortie d’une exposition réunissant, entre autres, six œuvres de Jan van Eyck. Un parcours organisé comme une analyse d’œuvre.

Jan van Eyck (1390-1441), La Vierge du chancelier Rolin, vers 1435, huile sur bois, 66 x 62 cm. © RMN-Grand Palais / Michel Urtado
Jan van Eyck (1390-1441), La Vierge du chancelier Rolin, vers 1435, huile sur bois, 66 x 62 cm.
© RMN-Grand Palais / Michel Urtado

Paris. À Gand, la restauration-fleuve du retable dit « de l’Agneau mystique » de Jan van Eyck (restauration commencée en 2012 et qui devrait s’achever en 2026) a bousculé l’interprétation théologique de ce monument de l’histoire de l’art, avec la découverte d’un agneau originel aux traits anthropomorphes sous le repeint qui présentait un ovin très animal. Fin 2021, c’est un autre chef-d’œuvre du peintre flamand (1390-1441) qui est entré dans le laboratoire du C2RMF pour une restauration fondamentale, La Vierge d’Autun, ou Vierge du chancelier Rolin, d’après le nom de son commanditaire, représenté agenouillé face à la Vierge sur le panneau peint. Moins monumentale mais tout aussi importante, cette œuvre n’a pas livré, lors de cette restauration menée par Élisabeth Ravaud et Patrick Mandron, de nouveaux détails iconographiques qui auraient pu relancer un débat interprétatif. Elle s’est en revanche révélée dans sa vraie nature d’objet, avec la mise au jour d’un verso décoré d’une illusion de marbre, et la profondeur contrainte à nouveau perceptible dans la scène peinte au recto.

Une perception modifiée

Commissaire de l’exposition, la conservatrice du département des Peintures du Louvre, Sophie Caron, souligne ce rapport très matériel à l’œuvre qu’a permis cette première restauration fondamentale : « Jan van Eyck est aussi un “designer” d’objet. Ce moment privilégié d’accès à l’œuvre nous amène à nous poser cette question de l’objet. »

Le parcours conçu pour présenter le résultat de la restauration valorise cette dimension. Auparavant l’œuvre, exposée dans les salles flamandes, était accrochée au mur, dans un cadre ouvragé aux teintes de bois chaud et de métal. Hissée sur une sorte de piédestal, comme une sculpture, dotée d’un cadre noir et sobre et débarrassée de son vernis jauni et encrassé, et surtout visible sur ses deux faces, la Vierge d’Autun s’appréhende tout à fait différemment lors de cette exposition temporaire dans la salle de la Chapelle : on peut tourner autour, s’en approcher et s’en éloigner, frappé par les deux niveaux spatiaux de lecture bien perceptibles grâce à la palette et aux modelés précis retrouvés par la restauration. Au premier plan, une rencontre entre le commanditaire dévot et l’Enfant Jésus porté par sa mère, et au second un paysage fourmillant de détails, dont l’accès via une perspective géométrique est semé d’embûches.

Pour mieux comprendre sa construction, une soixantaine d’œuvres sont réunies autour de la Vierge du chancelier Rolin, parmi lesquelles six autres van Eyck, une concentration inédite dans une exposition française. Six séquences sont réparties de part et d’autre de l’œuvre centrale, à laquelle une perspective de cimaises conduit le visiteur. Chacune approfondit l’une des composantes de l’œuvre, faisant de ce parcours en aller-retour une analyse comparative dont les thématiques sont identifiables, les textes clairs et sans jargon (un effort à souligner au Louvre !). Chacune de ces petites expositions dans l’exposition déploie son van Eyck mis en évidence : La Vierge de Lucques du Städel Museum de Francfort-sur-le-Main évoque les représentations de la Vierge ; l’Annonciation de Washington souligne l’importance du décor architectural dans la création de l’image ; et une page des Heures de Turin-Milan rappelle au visiteur que van Eyck est aussi un peintre de miniatures, dans lesquelles il déploie sa maîtrise du paysage.

La présentation de plusieurs livres d’Heures (Les Heures du maréchal de Boucicaut, ou un Livre de la chasse de Gaston Phebus par le maître d’Egerton) invite ici à renouveler le rapport purement iconographique à la Vierge du chancelier Rolin, en démontrant sa parenté avec d’autres objets de dévotion privée. La découverte du très beau marbre illusionniste au revers de l’œuvre conduit à l’hypothèse d’une œuvre jouant le rôle d’un livre de prières pour le chancelier du duc de Bourgogne : un objet qu’il peut transporter lors de ses nombreux voyages à travers le duché, support de prière pour ce personnage très pieux. Obsédé par son salut dans l’Au-delà, Nicolas Rolin pourrait également avoir réservé une deuxième fonction à l’œuvre, celle d’une épitaphe peinte pour sa sépulture. La présentation de l’œuvre restaurée dans la salle de la Chapelle permet de faire l’expérience de cet usage d’épitaphes figurées, qui, dans les cathédrales des Pays-Bas bourguignons, devaient attirer le regard des fidèles pour leur demander une prière de salut. Le surgissement sculptural, à une certaine distance du panneau peint, des figures du chancelier et de la Vierge, puis le difficile accès à un paysage dans lequel le regard peut ensuite se perdre dans les détails, peuvent se comprendre comme autant de stratégies picturales pour maintenir le regardeur pendant plusieurs minutes devant le tombeau de Nicolas Rolin. La mise en situation des œuvres est ici le meilleur argument pour les hypothèses formulées, à l’image de ces œuvres à double face intelligemment placées dans des vitrines traversantes dont le verso appartient à une section de l’exposition tandis que le verso illustre le discours d’une autre séquence. Une exposition de peinture en trois dimensions.

Revoir van Eyck, La vierge du chancelier Rolin,
jusqu’au 17 juin, Musée du Louvre, aile Sully, salle de la Chapelle, rue de Rivoli, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Un nouveau regard sur la « Vierge d’Autun »

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